Portrait de Gabriel Banon
Gabriel Banon est né dans la médina de Casablanca en 1928. Issu d’une famille juive influente, son père était le chef de la communauté juive marocaine. Après des études à l’école hébraïque et au lycée Lyautey à Casablanca, il s’envole vers Lyon, puis à Oslo, où il complète des études de droit et d’ingénieur.Polyglotte, il maîtrise plusieurs langues qui témoignent de son parcours international et de ses nombreux rattachements. : le français, l’hébreu, l’arabe, l’anglais, et le suédois. Homme d’affaires, il est connu pour avoir été le conseiller de plusieurs personnalités politiques, sur les politiques industrielles, économiques mais aussi relevant de la diplomatie du Moyen-Orient. Pour ne citer que quelques-uns : Georges Pompidou, Pascal Lissouba, Vladimir Poutine au début des années 2000, et surtout, Yasser Arafat, de 1993 à 2002. Au Maroc, il était à l’origine de la chambre syndicale des ingénieurs, avant de contribuer à la fondation de l’école des responsables syndicaux de l’Union marocaine du travail (UMT).
Engagé en faveur d’un dialogue entre partis israéliens et palestiniens, il était le Secrétaire Général du groupe de travail israélo-palestinien de Caux (Suisse) pour la paix et la réconciliation. A la suite du rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, dans le cadre des accords d’Abraham en décembre 2020, Gabriel Banon est nommé président du Cercle d’amitié Israël-Maroc. Cette structure œuvre pour la pérennité du rapprochement diplomatique et politique entre les deux pays.
La puissance des liens judéo-marocains : Entre représentations exaltées et réalités historiques
De nombreux acteurs associatifs et politiques insistent sur les liens judéo-marocains, faits de coexistence harmonieuse. Dans quelle mesure cela est-il vrai ? Gabriel Banon partage le point de vue selon lequel il existe un lien spécial entre le Maroc et sa diaspora juive. Il a vécu, à l’instar de beaucoup de Juifs marocains, dans plusieurs pays, dont il possède la citoyenneté, notamment, en France et en Suisse. Mais il se dit profondément attaché à son pays de naissance, le Maroc. Interrogé sur la nature du lien visiblement fort entre les Juifs d’origine marocaine et le Maroc, Gabriel Banon a d’abord répondu avec un sourire « Ce lien est fort, mais ne me demandez pas de l’expliquer ». Cette relation serait donc transcendante, relevant de l’ordre du mystère. Gabriel Banon poursuit, fournissant un élément d’explication important : « Il existe presque un million d’Israéliens d’origine marocaine, sur six millions de citoyens en Israël, qui sont restés marocains. Ce phénomène ne se limite pas à Israël, mais vaut pour tous les Juifs d’origine marocaine, vivant en France, en Amérique, ou ailleurs. Ils sont attachés aux Alaoui ».
La monarchie marocaine comme point d’ancrage
Gabriel Banon a particulièrement insisté sur leur relation avec la monarchie marocaine. En l’espèce, la monarchie et le Makhzen, et leur rôle dans la protection de la minorité juive. L’attachement des Juifs marocains au Maroc peut donc se lire en premier lieu comme un attachement à la monarchie marocaine. L’image du roi Mohammed V, protecteur de la communauté juive contre le nazisme, lors du régime de Vichy au Maroc, vient tout de suite à l’esprit. Ce pan de l’histoire semble structurer les relations judéo-marocaines. En effet, durant la période de Vichy, le roi Mohammed V a multiplié les promesses de protections aux responsables de la communauté juive, déclarant notamment qu’« aucun malheur n’arrivera aux Juifs avant que cela n’arrive à moi et à ma propre famille. » Mais les historiens ont noté la présence du sceau chérifien apposé à la loi régissant le statut des juifs, promulguée en France sous le gouvernement Laval et appliquée le 31 octobre 1940 au Maroc, alors sous protectorat français. Suite à cette loi, la communauté juive est graduellement exclue de la vie publique et sujette à de nombreuses discriminations. Les professions libérales sont interdites aux Juifs – 435 Israélites sont chassés de l’administration – et le nombre d’élèves juifs dans les institutions françaises est limité à 10%. Gabriel Banon fait alors partie de ces rares élèves juifs qui poursuivent leurs études au lycée Lyautey durant cette période.
Toutefois, le roi Mohammed V a apporté des « modérations » au texte initial, instaurant par exemple que ces mesures soient appliquées par des agents du Makhzen. Si le roi Mohammed V a signé la loi sur le statut des Juifs, car sa liberté d’action était en réalité restreinte par le Protectorat français, et devait en l’occurrence jouer les « équilibristes ». D’une part, il ne fallait pas s’opposer foncièrement aux français, afin de ne pas mener à une crise politique. D’autre part, le souverain assurait de sa protection les responsables de la communauté juive, notamment en les invitant aux fêtes officielles du trône et lors de réunions secrètes.
En outre, le roi Hassan II est également populaire auprès de la communauté juive marocaine et notamment connu pour son philosémitisme. Gabriel Banon a rappelé l’émotion du souverain lors de sa visite à New York, en mars 1995, où il fut accueilli avec profusion par la communauté juive marocaine résidente aux États-Unis. Malgré un fait tragique, celui du naufrage du navire Egoz transportant des migrants juifs en Israël, sa popularité n’en pâtit pas beaucoup. D’ailleurs, la restitution des dépouilles par Hassan II en 1992 et leur inhumation à Jérusalem renforcera le lien entre le Maroc et les Israéliens d’origine marocaine.
Le souvenir d’une société unie derrière le roi
Le statut des Juifs au Maroc avant la colonisation française de 1912 est complexe. Si des chercheurs et historiens insistent sur les aspects de coexistence, de symbiose religieuse et culturelle entre Juifs et Musulmans, à l’instar de Michel Abitbol et de Haïm Zafrani, d’autres mettent l’accent sur le statut de dhimmi, les exactions et les humiliations subis par la communauté juive, comme George Bensoussan. Il faut nuancer ceci, selon Gabriel Banon : « S’il est vrai qu’il y a eu des moments difficiles pour les juifs dans le monde arabe, ces moments étaient de courte durée au Maroc, car le makhzen, c’est-à-dire le roi, intervenait et protégeait la communauté juive. Les cabinets royaux ont toujours inclus des Juifs. Il y a toujours eu une relation entre les Juifs et le makhzen. La situation des Juifs au Maroc est très spéciale. » Les deux communautés, juive et musulmane, ont partagé des expériences communes au fil de l’histoire : « Juifs et Musulmans ont été chassé par Isabelle la Catholique lors de la Reconquista. Ils ont trouvé refuge au nord du Maroc, notamment à Fès, où ils étaient en situation de minorité, d’étrangers. A Fès, il y a eu beaucoup de mariages mixtes entre les deux communautés, et une partie de l’élite marocaine fassie est issue d’ancêtre juifs et musulmans. »
Le Royaume juif de Taza
De plus, pour illustrer la singularité des relations judéo-marocaines, Gabriel Banon a évoqué l’épisode du royaume juif de Taza, assez méconnu. Le récit de ce royaume relève en partie de la légende, et il est compliqué de démêler le vrai du faux. Durant la seconde moitié du 17ème siècle, période de déclin de la dynastie saâdienne (1549-1659), au moment du début de prise de pouvoir des Alaouites, un homme influent, Haroun bin Michâal aurait fondé un royaume juif berbère dans la région de Debdou, près de Taza. Les alaouites auraient eu recours à Ibn Michâal pour asseoir leur pouvoir dans la région. Ce dernier leur a porté assistance, financièrement et en envoyant des hommes en appui. Cette version relatée par Gabriel Banon, que l’on retrouve également sur le site de référence des Juifs du Maroc, Dafina.net, diffère des travaux historiques menés sur la question. Ibn Michâal était effectivement un homme de pouvoir, roi de Taza, mais son lien avec les Alaouites aurait été plutôt conflictuel, puisque Moulay er-Rachid, fondateur de la dynastie alaouite, l’aurait assassiné.
Perspectives
Il demeure que la situation des Juifs marocains constitue une exception au Maghreb. Malgré le déclin persistant du nombre de Juifs marocains résidant au Maroc, au nombre d’environ 1500, la diaspora juive marocaine reste attachée à son pays d’origine et au judaïsme marocain, qui se distingue par ses pratiques religieuses et culturelles propres. Si seule la grande bourgeoisie n’a pas quitté le Maroc au siècle dernier, quelques Juifs marocains reviennent au Maroc après des années voire des décennies passées à l’étranger.
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