La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu son verdict concernant les accords de pêche et les accords agricoles entre le Maroc et l’Union Européenne (UE). Une décision qui sème l’ambiguïté sur l’avenir des relations maroco-européennes.
Dans ce sillage, José Manuel Albares, le ministre espagnol des Affaires étrangères – pays européen profitant le plus de cet accord -, a affirmé que Madrid continuera à «promouvoir» les relations avec le Maroc. «Notre engagement et notre attachement à la stabilité de la relation avec le Maroc est ferme et ne sera pas altéré», a tranché Albares devant la Commission des Affaires étrangères du Congrès des députés, assurant que son pays continuera à «travailler avec l’UE et le Royaume pour préserver et poursuivre le développement de cette relation».
Cette polémique tourne, cependant, les projecteurs sur les fondements juridiques de la décision de la CJUE, qui va à l’encontre des orientations de Bruxelles et toutes les hautes instances européennes. «La décision de la Cour comprend des approximations juridiques majeures et même contraires au processus mené par les Nations Unies afin de parvenir à une solution au conflit autour du Sahara», nous indique Abdellah El Amri, «security expert» et analyste de risques géopolitiques. «La Cour s’est basée sur une définition restrictive de la notion de populations sahraouies, excluant la population résidente actuelle et ignorant les réalités démographiques complexes de la région.
En droit international, les arrêts doivent se baser sur des définitions approuvées par les instances internationales, l’ONU dans le cas présent, or, pour l’instant, les négociations sous l’égide des Nations Unies sont toujours en cours et donc le cadre conceptuel pour émettre un tel jugement n’est pas tout à fait valide», explique notre expert. Chose qui, d’ailleurs, figure dans l’avis rendu par l’avocate générale de l’Union Européenne, Tamara Capeta, concernant la validité juridique des accords de pêche et agricole entre le Maroc et l’UE. Celle-ci avait soutenu, alors que la procédure judiciaire débutait, que le Front Polisario, à l’origine de la plainte, n’est pas reconnu comme le représentant du peuple du Sahara par les Nations Unies ou l’Union Européenne. Il n’est donc pas le représentant légitime du peuple sahraoui, et par ricochet son consentement n’est nullement obligatoire pour conclure des accords commerciaux. Car oui, bien que le Front Polisario participe aux négociations politiques sur la résolution de la question du Sahara, ce rôle n’est pas le même que celui d’un représentant élu ou reconnu du peuple sahraoui exprimant les aspirations collectives de celui-ci.
Par ailleurs, le Maroc est considéré par l’UE comme «la puissance administrante» du territoire, ce qui lui confère le droit de conclure des accords commerciaux incluant le Sahara, et de consentir à l’application d’un accord conclu entre des États tiers, pour autant que cet accord remplisse les conditions contenues dans la charte des Nations Unies. Un avis également partagé par l’eurodéputé portugais Tiago Moreira de Sá qui considère la décision de la Cour comme une «grave erreur», notant que sur la base des éléments susmentionnés, «le Front Polisario, qui ne dispose d’aucune légitimité représentative», ne fait que saper un partenariat stratégique crucial. «Nous devons renforcer la coopération avec le Maroc, un partenaire de confiance, et ne pas céder aux pressions idéologiques», a-t-il soutenu. Mais malgré l’attachement des vingt-sept au partenariat avec le Maroc, Zakaria Abouddahab, expert en relations internationales et Professeur à l’Université Mohammed V à Rabat, nous explique que les pays membres de l’UE doivent respecter l’arrêt de la CJUE, conformément aux traités de Rome (1957). «Il ne faut donc pas sous-estimer la valeur juridique de l’arrêt par rapport aux pays de l’UE, surtout qu’il constitue une jurisprudence, qui pourrait impacter des dossiers semblables bien qu’ils soient traités hors territoire européen», ajoute notre expert.
De ce fait, les implications sur les relations commerciales entre les deux parties seront conséquentes, note Zakaria Abouddahab, rappelant que l’accord ne concerne pas que l’exploitation des ressources halieutiques, mais également des projets de développement durable, à l’instar du plan Halieutis. «Nous sommes donc face à une situation inédite avec beaucoup d’ambiguïté qui risquerait de suspendre, ne serait-ce que temporairement, toute démarche commerciale, sauf si les vingt-sept et le Maroc trouvent un procédé alternatif pour sortir de cet imbroglio», souligne l’expert.
«En gros, l’enjeu de cet affaire est surtout dans l’étiquetage des fruits et légumes provenant des provinces du Sud du Royaume, qui soulève des préoccupations quant à une reconnaissance indirecte d’une entité fictive, alors même que le dossier est encore sous l’égide de l’ONU», commente Abdellah El Amri, précisant que même sur le plan commercial, l’adhésion à une telle mesure pourrait à l’avenir créer des failles dans les négociations commerciales du Maroc. Ceci dit, la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, et le Haut-représentant de l’Union Européenne, Josep Borell, ont annoncé, vendredi, que la Commission Européenne «analyse actuellement les arrêts en détail», prenant note que «la Cour de Justice Européenne maintient la validité de l’accord sur les produits agricoles pour une période supplémentaire de 12 mois». En effet, les exportateurs marocains confirment la poursuite des échanges pour la durée précitée. Rachid Benali, président de la Confédération Marocaine de l’Agriculture et du Développement rural (COMADER), a déclaré, dans ce sens, que les échanges seront maintenus du moment que les Etats membres de l’UE tiennent au partenariat «win-win» avec le Maroc. Les professionnels du secteur tiendront une réunion la semaine prochaine, selon la même source, pour définir les implications de cette nouvelle décision.
Sur un ton plus ferme, les professionnels du secteur halieutique, notamment la Fédération Nationale des Industries de Transformation et de Valorisation des Produits de la Pêche (FENIP), appelle à développer de nouveaux partenariats commerciaux avec des marchés à fort potentiel, tels que l’Asie, l’Amérique latine et l’Afrique. Même son de cloche au niveau de la Confédération Marocaine des Exportateurs (ASMEX) qui prône la diversification des débouchés des exportations marocaines, de sorte à réduire la dépendance vis-à-vis du marché européen (voir détails en Actu Maroc 1).
Pratiquement, le verdict de la Cour de Justice aura-t-il un grand impact sur les prochaines négociations maroco-européennes ?
Et comment doit-il réagir dans cette phase post-arrêt, sur le plan juridique, mais aussi commercial ?
Quelle est votre lecture du timing de cette décision ?
Cette décision rentre-t-elle dans les prérogatives de la CJUE ?
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