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Déplacés par les bombes, « invisibles » au Liban

Déplacés par les bombes, « invisibles » au Liban
Dans le chaos qui s’est abattu sur le Liban, ils sont « invisibles ». Sri-Lankais, Soudanais, Philippins, Ethiopiens… Eux aussi ont fui les bombes israéliennes qui pilonnent le pays où ils vivent, dans l’ombre, depuis des années.

La paisible paroisse Saint Joseph des Frères jésuites, à Beyrouth, résonne de cris d’enfants. Des femmes, les traits tirés, discutent doucement autour d’une table. D’autres, assises par terre dans la cour, attendent la distribution de repas, sous le bourdonnement incessant d’un drone israélien.

Ils arrivent tous les jours, du sud, de l’est du Liban, de la banlieue sud de Beyrouth. L’église, habituellement lieu d’accueil de jour pour les migrants, s’est transformée « du jour au lendemain » en abri avec le début des frappes israéliennes, raconte le frère Michael Petro, un des responsables du Service jésuite des réfugiés (JRS).
Parmi les communautés immigrées déplacées et sans nulle part où aller, le bouche à oreille s’est mis en branle.

« Une première famille est arrivée, a demandé si elle pouvait rester. Nous avons dit oui, et le matin suivant 30 personnes sont venues, puis 50 autres », raconte le jésuite américain.

« Le premier jour, nous avons appelé tous les centres pour déplacés du pays, mais en vain. Soit ils étaient déjà pleins, soit ils n’acceptaient pas les migrants », soupire-t-il.
Quelques familles ont finalement pu être casées, et à l’heure actuelle la paroisse héberge 52 migrants.

Les bombardements israéliens ont provoqué le déplacement de centaines de milliers de personnes. A Beyrouth, les Libanais déplacés sont hébergés dans des écoles, des centres ou des hôtels, souvent dans des conditions précaires, et certains dorment encore dans la rue.

« Les migrants aussi sont des déplacés, ils ont besoin d’aide! » s’exclame Dea Hage Chahine, une jeune activiste libanaise. « Ils sont juste invisibles, des citoyens de troisième zone », s’insurge-t-elle, soulignant qu' »ils n’ont pas de droits, même pas de passeports », souvent confisqués par les employeurs.

Kumiri Parara, une Sri-Lankaise de 48 ans, est arrivée il y a quelques jours avec son fils de 12 ans, fuyant Saïda, dans le sud, sous les bombes. Etablie au Liban depuis 20 ans, où elle s’est mariée avec un Palestinien avant de divorcer, elle travaillait comme domestique, à l’instar de la plupart de ses compatriotes.

Ses employeurs à Saïda ont fui eux aussi, mais elle n’est pas en contact avec eux. « Personne ne s’est préoccupé de moi », dit doucement cette femme vêtue d’une tunique orange éclatante.

Sa compatriote Malani Somalatha, une cuisinière de 46 ans, vivait, elle, dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah pilonné par Israël. « On a tout laissé et on est venus ici », raconte-t-elle, avant de fondre en larmes. Le restaurant où elle travaillait a fermé.

Le Liban accueille plus de 160.000 migrants de nationalités différentes, dont 65% de femmes, selon un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations de l’an dernier. Sans doute plus, car nombre d’entre eux sont en situation irrégulière, ou dans un flou légal.

Beaucoup viennent sous le système de la « kafala », un processus de parrainage régissant la présence des travailleurs étrangers, mais qui permet de nombreux abus, dénoncent les défenseurs des droits humains.

Susan Baimba est venue de Sierra Leone il y a deux ans pour travailler comme femme de ménage près de Saïda. Quand les frappes ont commencé, elle a fui vers Beyrouth avec des compatriotes et dormi dans la rue avant d’atterrir à Saint Joseph.

Elle a bien tenté de rejoindre des Sierra-Léonais installés dans des appartements à Beyrouth, mais « les propriétaires nous ont chassés. Ils nous on dit: ‘Partez, nous ne voulons pas de problèmes' », raconte la jeune femme de 37 ans.
« Maintenant, nous voulons juste rentrer chez nous. Nous sommes fatigués », dit-elle.
A Saint Joseph, les femmes et les enfants ont été installés dans une salle au premier étage, les hommes au second.

Malika Joumaa, une Soudanaise de 30 ans, a fui en 2014 son Darfour natal ravagé par la guerre. Il y a quelques jours, elle a fui Arnoun, dans le sud du Liban, avec son mari et sa petite fille. Elle raconte un voyage éprouvant, une journée et demie en moto, une nuit sous un pont près de Beyrouth, et finalement Saint Joseph.
Elle s’interrompt un long moment, avant de lâcher:
« Je ne comprends pas pourquoi la guerre a éclaté au Soudan, et je ne comprends pas pourquoi elle a éclaté ici ».

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