Libe : Ma première question chercherait à savoir quelle idée vous faites de l’art photographique.
Jellel Gasteli : Je ne me fais aucune idée de la photographie. Je l’utilise comme un outil pour exprimer et partager des émotions. Il est probable que le sculpteur ou le peintre ne se font aucune idée du burin ou du pinceau. Ils l’utilisent aussi pour donner forme à leur émotion.
Comme vous le savez bien, l’écrivain marocain Edmond Amran El Maleh a consacré un article à vos photos, et je me demandais (je me le demande toujours) ce que vous pensez de sa manière d’approcher votre art.
Le texte de Edmond Amran El Maleh est daté de 1996. Soit presque trente ans. C’est le texte d’un homme de lettres et poète qui s’inspire d’un travail photographique pour décliner des concepts et des références littéraires en tentant de les rattacher à des images, parfois de manière forcée. Je garde un excellent souvenir de cet homme affable et humble que j’ai eu le plaisir de croiser à plusieurs reprises à Tanger. On peut juste reprocher au texte de parler de la Série Blanche en l’associant au livre « Tanger Vues Choisies » dont elles ne font pas du tout partie.
D’autre part, vos photos, bien qu’elles représentent des murs, sont dotées d’un visage. Est-ce une manière d’exprimer une autre conception de ce qu’on pourrait considérer comme un simple objet? Autrement dit, est-ce que le fait de donner un visage au mur vient du fait que vous pensez qu’un simple objet est un visage qui nous regarde au moment où nous le contemplons, pour faire allusion à l’ouvrage de Georges Didi-Huberman : Ce que nous voyons, ce qui nous regarde?
Rares sont ces images. Lorsqu’on y détecte une forme qui peut évoquer un visage, il s’agit plus d’une allusion qui renvoit à l’esthétique du masque que celle d’un visage. Il est vrai que, parfois, l’évidence est telle que j’en joue volontiers.
En fait, le rapport qu’expriment vos photos avec le visage est ambigu, et la difficulté devient de plus en plus complexe quand on cherche à comprendre. Cela dit, il y a un mot-clé qui semble indépassable envers la question du visage, à savoir « l’éthique ». Est-ce que vous pensez, comme E. Levinas, que le rapport avec le visage est d’emblée éthique ?
A vrai dire, je ne me suis jamais posé ce genre de question. Lorsque je photographie, il s’agit principalement d’un jeu entre les formes, la lumière, mes références esthétiques, la caméra et mon regard.
En dernier lieu, on pourrait penser que votre travail est une véritable quête spirituelle. On remarque effectivement que de même que vos photos sont simples, de même elles sont profondes et complexes. Quelle serait à vos yeux la première fonction de la spiritualité, entendons par celle-ci ce qui rend possible une certaine forme d’élévation de soi, qui ne passe pas forcément par la religion.
Le dépouillement. C’est à dire identifier le superflu et s’en débarrasser. Ne garder que l’essentiel. Simplifier à l’extrême.
Propos recueillis par Najib Allioui
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