Une société sophistiquée, maîtrisant l’agriculture intensive et l’élevage, a prospéré à Oued Beht entre 3400 à 2900 av. J.-C. Zoom sur une découverte qui bouleverse nos perspectives sur le Maroc antique.
Il y a plus de 5400 ans, alors que l’Egypte se préparait à peine à entamer son aire pharaonique, une société agricole prospérait déjà en bordure de terres fertiles et d’un réseau d’affluents du Oued Beht. C’est ce que révèle une récente découverte publiée dans la revue scientifique Antiquity, fruit de fouilles archéologiques multidisciplinaires menées durant plusieurs années par Youssef Bokbot (INSAP), Cyprian Broodbank (Université de Cambridge) et Giulio Lucarini (CNR-ISPC et ISMEO). Le site en question, situé dans la province de Khémisset, dépasse les 10 hectares de superficie et se confirme désormais comme « le plus ancien et le plus grand complexe agricole jamais découvert en Afrique au-delà de la vallée du Nil ». Daté de 3400 à 2900 av. J.-C., ce site dévoile une société qui maîtrisait l’art de cultiver des céréales comme l’orge et le blé, tout en élevant plusieurs animaux domestiques comme les chèvres et les moutons. Selon les auteurs de l’étude, cette découverte « comble une lacune dans notre compréhension de la préhistoire du Maghreb ».
Société agricole sophistiquée
« Alors que les cultures datant de la même période pratiquaient plutôt une agriculture de subsistance, la société agricole du Beht était déjà dans une agriculture intensive. En témoignent les milliers d’énormes silos de stockage creusés profondément dans le sol », nous confie Youssef Bokbot. Ces structures témoignent donc d’une population très dense dotée d’une organisation avancée, visant à conserver les récoltes pour en faire le commerce notamment. Les chercheurs ont également découvert des outils de broyage en pierre, utilisés pour transformer les céréales, révélant une chaîne de production alimentaire déjà bien structurée. Des indices nous livrent aujourd’hui une nouvelle perspective du Maroc antique. « La taille du site de Oued Beht est comparable à celle des sites égéens de l’âge du bronze ancien, tels que Troie et d’autres sites de Crète et de Grèce continentale, qui sont depuis longtemps au cœur de l’Histoire de l’émergence de la civilisation dans cette région », écrivent les auteurs de l’article scientifique.
Vie quotidienne raffinée
Outre les silos de stockage, les fouilles ont mis à jour de nombreux objets, notamment des poteries dont le degré de sophistication a surpris les chercheurs. « Nous étions parfois déboussolés face au niveau de technicité de certaines céramiques que nous avions découvertes que l’on pourrait confondre avec de la porcelaine. C’est d’ailleurs la première fois que l’on trouve en Afrique du Nord des céramiques datées de cette période qui sont finement peintes en plusieurs couleurs différentes », nous explique Youssef Bokbot. La diversité des objets et des outils retrouvés illustre par ailleurs une spécialisation des tâches au sein de la communauté. « Nous n’avons pas trouvé d’objet en métal, puisque nos fouilles ont concerné une période qui précède l’apparition de l’utilisation des métaux, notamment le cuivre et qui ne débute que 200 ans plus tard », poursuit l’archéologue, qui n’exclut pas que les futures fouilles puissent dévoiler que cette société elle-même ait pu évoluer directement vers la fabrication et l’utilisation de métaux.
D’autres secrets à dévoiler
Cette découverte, selon les auteurs de l’étude, « affirme le rôle central du Maghreb dans l’émergence des sociétés complexes en Afrique et dans la Méditerranée ». Jusqu’à présent, la période couvrant 4000 à 1000 av. J.-C. restait largement méconnue au Maghreb. Les résultats obtenus à Oued Beht comblent ce vide, en dévoilant une société capable de grandes réalisations agricoles, artisanales et sociales. « Durant plusieurs années de fouilles minutieuses, nos travaux n’ont pu réellement se focaliser que sur 300 mètres carrés à travers lesquels nous avons pu constater une évolution culturelle entre 3400 à 2900 avant J.C. avec, bien sûr, des traits d’une civilisation. Sachant que le périmètre du site est actuellement estimé à plus de 10 hectares, il est important de souligner tout le potentiel qui reste à exploiter », prédit l’archéologue, avant de conclure : « Pour livrer tous ses secrets, le site de Oued Beht va occuper plusieurs générations d’archéologues. Dans un siècle, les chercheurs y seront toujours en train de fouiller et il y aura certainement encore des nouveautés à y trouver ».
3 questions à Youssef Bokbot, archéologue : «Cette découverte se fonde sur un travail de longue haleine que j’ai commencé il y a 19 ans avec une équipe 100% marocaine »
Les artefacts et les outils que vous avez trouvés sont souvent des objets en pierre. N’est-ce pas comparable à ceux que pouvaient également utiliser des chasseurs-cueilleurs ?
Pour cette époque, il s’agit plutôt du matériel et des objets d’une société sédentaire qui pratiquait l’agriculture. On a des meules qui servaient à moudre des graines, des céramiques pour cuisiner, ou encore des haches polies qui ont servi à couper les arbres afin de libérer le terrain pour l’agriculture.
Comment a commencé la dynamique de recherche qui a abouti à la découverte de la société agricole antique de Oued Beht ?
Cette découverte se fonde sur un travail de longue haleine que j’ai commencé il y a 19 ansavec une équipe 100% marocaine. Notre travail se focalisait à l’époque sur une grotte qui s’appelle Ifri n’Amr o’Moussa et qui est à 600 mètres du village (antique, ndlr). Les agriculteurs locaux nous avaient alors rapporté que pendant les périodes de labour, ils trouvaient à l’air libre des objets similaires à ceux que nos équipes découvraient dans la grotte. Nous avons donc commencé une planimétrie à divers endroits et nous nous étions rendu compte que la superficie totale dépassait les 10 hectares. C’était énorme et nous étions surpris devant cette ampleur. Nous avons par la suite cherché les solutions pour aller au bout des diverses pistes qui s’offraient à nous, ce qui a fini par aboutir à la découverte de ce village antique en 2017.
Comment avez-vous pu confirmer la présence de ce village à l’échelle des dix hectares ?
Justement, nous nous sommes posé la question de savoir comment faire pour couvrir une superficie aussi importante et la réponse a été d’opter pour des méthodes d’archéologie préventive, qui sont adaptées à un chantier d’urgence. Nous avons fouillé une zone équivalente à 300 m2 dont nous avons essayé de confirmer les résultats à l’échelle des 10 hectares à travers des sondages rapides dans des endroits qui ne présentaient pas d’indices particuliers, mais dans lesquels nous avons trouvé les mêmes éléments trouvés dans la zone de fouille à la profondeur identifiée.
Vestiges : Des artefacts qui révèlent la sophistication agricole du Néolithique
Les fouilles menées à Oued Beht ont permis de découvrir un nombre impressionnant d’artefacts datant du Néolithique final (3400 à 2900 av. J.-C.). Plus de 16.000 fragments de poterie ainsi que 2.947 outils en pierre taillée, dont une grande majorité en silex et quartzite, témoignent des activités liées à la production agricole et à la vie quotidienne. Ces outils, comprenant des pointes et des lames, révèlent la diversité des pratiques artisanales au sein de la communauté. Les archéologues ont également mis à jour 50 haches et herminettes polies, confirmant l’existence d’une production locale d’outils spécialisés, utilisés notamment pour l’aménagement des terres agricoles. En outre, 371 macrolithiques, principalement des outils de broyage, étaient utilisés pour la transformation des céréales. Ces découvertes, associées à la présence de milliers de silos de stockage, indiquent une maîtrise avancée des techniques agricoles et une organisation économique permettant le stockage à grande échelle.
Connexions : Échanges et inter-influences transméditerranéens dès le Néolithique
Les récentes découvertes à Oued Beht, au Maroc, révèlent des connexions entre le Maghreb et la péninsule ibérique à la fin du Néolithique (3400 à 2900 av. J.-C.). Les similitudes entre les silos de stockage retrouvés à Oued Beht et dans certains sites en Ibérie montrent que des échanges culturels et économiques existaient déjà des deux côtés du détroit de Gibraltar. Ces silos, utilisés pour stocker des denrées alimentaires telles que les céréales, révèlent non seulement une organisation agricole avancée, mais aussi des liens transméditerranéens qui remontent bien avant l’âge du Bronze. Selon les chercheurs, ces échanges étaient essentiels à la circulation de biens précieux tels que l’ivoire ou les coquilles d’œufs d’autruche, des produits emblématiques du commerce de l’époque. Des objets similaires retrouvés dans les deux régions démontrent que le Maghreb et l’Ibérie partageaient bien plus que des pratiques agricoles : ils entretenaient des échanges commerciaux et culturels, influençant mutuellement leurs développements. Le professeur Cyprian Broodbank, l’un des responsables des fouilles, explique que ces découvertes « soulignent l’importance du Maghreb comme carrefour d’échanges entre l’Afrique et l’Europe, dès cette période ». Oued Beht, de par sa situation stratégique, permet de mieux comprendre comment les peuples du Maghreb et d’Ibérie ont interagi, façonnant les sociétés préhistoriques du bassin méditerranéen. Ces connexions préfigurent les réseaux commerciaux et culturels qui s’établiront plus tard à l’âge du Bronze.
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