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Rétro-Verso : Les Habous, de la naissance d’un quartier à la genèse d’un plan urbanistique

Rétro-Verso : Les Habous, de la naissance d’un quartier à la genèse d’un plan urbanistique

La mue de Casablanca, au gré de son nouveau plan urbanistique, nous donne envie de nous remémorer le quartier des Habous, conçu dans les années 1920 selon la vision du Maréchal Lyautey. Rétrospective.

Au cœur de Casablanca, ville symbole de la modernité marocaine, se niche un quartier singulier qui témoigne des complexités de l’ère coloniale : le Quartier des Habous. Conçu dans les années 1920 sous l’égide du maréchal Lyautey, cette « nouvelle Médina » mérite une attention particulière pour comprendre les enjeux urbanistiques et culturels du Protectorat français au Maroc.
 
Né de la volonté de décongestionner l’ancienne médina tout en préservant l’essence de l’habitat traditionnel marocain, le Quartier des Habous représente une expérience unique d’urbanisme colonial. Son concepteur, Albert Laprade, assisté de l’architecte Auguste Cadet, s’est attelé à la tâche délicate de créer un espace qui répondrait aux normes d’hygiène et de circulation modernes tout en respectant les codes esthétiques et fonctionnels de l’architecture marocaine.
 
« L’aménagement du quartier révèle une réflexion approfondie sur la fusion entre tradition et modernité. Les rues, bien que tracées selon un plan orthogonal propre à l’urbanisme occidental, conservent la sinuosité et l’intimité caractéristiques des médinas. Les places, comme celle du souk, s’inspirent des espaces publics traditionnels tout en intégrant des éléments de planification moderne », témoigne un responsable à l’Agence urbaine de Casablanca.
 
L’architecture du Quartier des Habous incarne parfaitement le style néo-traditionnel promu par le Protectorat. Les bâtiments, construits avec des matériaux locaux, arborent des façades ornées de motifs géométriques, de céramiques colorées et de boiseries sculptées, rappelant l’artisanat marocain séculaire. « Cependant, derrière ces façades d’apparence traditionnelle se cachent des innovations techniques modernes, notamment en matière de plomberie et d’électricité », poursuit notre source.
 
Ce projet urbanistique s’inscrit dans la politique dite de « préservation » mise en œuvre par Lyautey, visant à maintenir les structures sociales et culturelles marocaines tout en les modernisant. Le Quartier des Habous devait ainsi servir de modèle pour un développement urbain respectueux des traditions locales, en contraste avec les quartiers européens qui se développaient parallèlement à Casablanca.
 
Néanmoins, cette approche n’était pas exempte de contradictions. Si le quartier visait à préserver le mode de vie traditionnel marocain, il était également un outil de contrôle social et de ségrégation spatiale. La population y était soigneusement sélectionnée, créant ainsi un environnement « idéalisé » qui ne reflétait pas nécessairement la réalité sociale de l’époque.
 
Aujourd’hui, près d’un siècle après sa création, le Quartier des Habous continue de fasciner par son ambiance unique. Il reste un témoignage vivant de cette période charnière de l’Histoire marocaine, où les aspirations coloniales se heurtaient aux réalités locales. Son étude approfondie nous permet non seulement de mieux comprendre les dynamiques de l’urbanisme colonial, mais aussi d’interroger les notions de patrimoine, d’authenticité et d’identité culturelle dans un contexte postcolonial.
 
En conclusion, le Quartier des Habous se présente comme un véritable palimpseste urbain, où se superposent les strates de l’histoire coloniale et post-coloniale du Maroc. Son analyse offre une fenêtre unique sur les complexités de l’héritage architectural et urbanistique du Protectorat, invitant à une réflexion plus large sur la manière dont les villes négocient leur passé colonial dans la construction de leur identité contemporaine.

Modernité : De modeste bourgade à grande métropole
« L’histoire moderne de Casablanca débute véritablement avec l’arrivée du général Lyautey en 1912 », précise l’historien Mohammed Es-Semmar. « Visionnaire, il perçoit le potentiel de ce port naturel et en fait le laboratoire de sa politique urbaine. Henri Prost, urbaniste de renom, est chargé de dessiner le futur de la ville. Son plan directeur de 1917 jette les bases d’une cité moderne, avec de larges artères, des espaces verts et une séparation nette entre zones industrielles, résidentielles et de loisirs », continue notre interlocuteur.
 
Les années 1920 et 1930 voient l’émergence d’un style architectural unique : l’Art déco marocain. Des architectes comme Marius Boyer et Pierre Jabin fusionnent les codes esthétiques occidentaux avec des motifs traditionnels marocains. La Place administrative (aujourd’hui Place Mohammed V) devient l’épicentre de cette effervescence créative, ornée de bâtiments emblématiques comme l’Hôtel de Ville et le Palais de Justice.
 
Parallèlement, la médina de Casablanca, bien que récente, se développe selon des schémas urbains traditionnels, créant un contraste saisissant avec la ville nouvelle. Cette dualité urbaine, chère à Lyautey, se matérialise pleinement à Casablanca.
 
 
La Seconde Guerre mondiale marque un tournant. L’afflux de réfugiés et le boom économique d’après-guerre accélèrent la croissance urbaine. Les architectes du Mouvement moderne, comme Jean-François Zevaco et Elie Azagury, laissent leur empreinte. Le quartier des Habous, conçu par Albert Laprade, tente une synthèse audacieuse entre urbanisme traditionnel et confort moderne.
 
Les années 1950 voient l’émergence de projets ambitieux. La cathédrale du Sacré-Cœur, œuvre de Paul Tournon, mêle art gothique et motifs mauresques. Le quartier Maarif devient le symbole d’une modernité triomphante, avec ses immeubles aux lignes épurées.
 
À l’aube de l’indépendance en 1956, Casablanca est déjà une métropole cosmopolite. Le défi pour le Maroc nouvellement indépendant est de poursuivre ce développement tout en affirmant une identité nationale. Des architectes marocains formés en Europe, comme Elie Mouyal, participent à cette renaissance culturelle.

Paternalisme colonial : La vision urbaine de Lyautey sur la sellette
« Au début du XXe siècle, le Maroc s’est trouvé à la croisée des chemins, tiraillé entre tradition séculaire et modernité naissante. C’est dans ce contexte que le général Hubert Lyautey, nommé Résident général du protectorat français en 1912, a mis en œuvre une politique urbanistique novatrice, reflet d’une vision plus large de la colonisation », témoigne l’historien Mohammed Es-Semmar.
 
La politique dite de « préservation » de Lyautey s’est, d’emblée, et radicalement, démarquée des approches coloniales antérieures. Plutôt que d’imposer brutalement un modèle occidental, Lyautey a, dans un premier temps, cherché à maintenir les structures sociales et culturelles marocaines tout en les modernisant progressivement. Cette démarche, audacieuse pour l’époque, s’est incarnée tout particulièrement dans ses projets urbanistiques.
 
Au cœur de cette vision, on trouve le concept de la « ville double ». Lyautey y a préconisé la construction de nouvelles villes européennes à proximité immédiate des médinas historiques, sans pour autant les détruire ou les altérer. Le but de cette approche fut de préserver l’intégrité architecturale et sociale des centres urbains traditionnels, tout en permettant le développement d’infrastructures modernes.
 
Ainsi, à Fès, Marrakech, ou Rabat, on voit émerger des villes nouvelles, dotées de larges avenues, d’espaces verts et de bâtiments administratifs modernes, jouxtant les médinas ancestrales. Ces dernières, loin d’être négligées, font l’objet d’une attention particulière. Lyautey a mis en place des mesures de conservation et de restauration, conscient de leur valeur patrimoniale et de leur importance dans le tissu social marocain.
 
Cette politique de préservation est allée bien au-delà de l’urbanisme. Lyautey a encouragé le maintien des institutions traditionnelles, comme les corporations artisanales ou les tribunaux islamiques, tout en introduisant progressivement des réformes administratives et économiques. Il a prôné le respect des coutumes locales et de l’Islam, allant jusqu’à interdire la construction d’églises dans certaines villes saintes.
 
La vision de Lyautey n’est pas exempte de critiques. Certains y voient, jusqu’à nos jours, une forme de paternalisme colonial, voire une stratégie pour maintenir le Maroc dans un état de « pittoresque » figé. D’autres soulignent la ségrégation spatiale inhérente au modèle de la ville double, qui contribue à creuser les inégalités entre populations européennes et marocaines.
 
Néanmoins, l’héritage de cette politique reste visible dans le Maroc contemporain. Les médinas préservées sont aujourd’hui des joyaux touristiques et culturels, tandis que les villes nouvelles forment le cœur des métropoles modernes. Cette dualité urbaine, fruit de la vision de Lyautey, continue de façonner le paysage et l’identité des villes marocaines.
 

Empreinte religieuse : Quid de l’architecture islamique de la ville ?
L’histoire de l’architecture islamique à Casablanca est un récit fascinant de réinvention et d’adaptation. Contrairement aux cités impériales du Maroc, Casablanca ne possède pas un passé médiéval islamique. Son développement architectural dans ce domaine est relativement récent, mais non moins remarquable.
 
Les origines de Casablanca remontent à la petite ville d’Anfa, détruite au XVe siècle. La reconstruction par le Sultan alaouite Sidi Mohammed ben Abdallah au XVIIIe siècle marque les débuts modestes de l’architecture islamique dans la ville. La mosquée Ould el-Hamra, datant de cette époque, en est un témoin rare.
 
C’est véritablement au XXe siècle, sous le Protectorat français, que l’architecture islamique a connu un renouveau à Casablanca. Paradoxalement, c’est sous l’impulsion des autorités coloniales, soucieuses de préserver une certaine « authenticité marocaine », que s’est développé un style néo-mauresque. Le quartier des Habous, construit dans les années 1920, en est l’illustration parfaite.
 
La mosquée Moulay Youssef, achevée en 1953, représente une étape historique charnière. Son style, bien qu’inspiré de l’architecture traditionnelle, a intégré des éléments modernes dans sa structure et ses matériaux.
 
L’indépendance du Maroc en 1956 marqua un tournant. L’architecture islamique devint un moyen d’affirmer l’identité nationale. Des architectes marocains formés à l’étranger commencèrent à réinterpréter les formes traditionnelles dans un langage contemporain.
 
La fin du XXe siècle a vu l’émergence de projets ambitieux. La mosquée Hassan II, inaugurée en 1993, en est l’apogée. Conçue par l’architecte français Michel Pinseau, elle allie traditions architecturales marocaines et prouesses technologiques modernes. Son minaret de 210 mètres, le plus haut du monde est depuis longtemps un grand symbole de Casablanca.
 
Plus récemment, des projets comme la mosquée de la Fondation Mohammed VI, inaugurée en 2019, montrent une évolution vers une architecture islamique épurée et fonctionnelle, tout en conservant des éléments décoratifs d’antan.

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