L’entrepreneuriat au Maroc se trouve à la croisée de trois dynamiques de gouvernance problématiques : l’inaptocratie, la kleptocratie et le népotisme. Ces systèmes créent un environnement défavorable pour le développement économique et l’innovation, particulièrement pour les jeunes entrepreneurs.
Kleptocratie : Quand la corruption sape l’innovation
La kleptocratie se réfère à un système où des individus en position de pouvoir exploitent leur rôle pour s’enrichir personnellement en détournant les ressources de l’Etat. Au Maroc, plusieurs rapports montrent que ce problème persistant touche divers secteurs de la société et de l’économie. Le manque de transparence dans les processus administratifs et les allégations de mauvaise gestion des fonds publics illustrent ce type de gouvernance. Les effets sont délétères : ils compromettent l’intégrité du système entrepreneurial et découragent les investissements internes et externes, créant un climat de méfiance et d’inefficacité.
Népotisme : Le favoritisme au détriment des compétences
Le népotisme est la pratique de favoriser des proches ou des amis pour des postes de pouvoir, souvent sans égard pour leurs qualifications. Cette pratique est fréquemment citée comme un problème au Maroc, où des postes clés dans l’administration publique et les entreprises sont attribués à des personnes ayant des connexions personnelles plutôt qu’à des candidats qualifiés. Cette situation compromet l’équité et l’efficacité, et engendre une perception d’injustice qui peut démotiver les talents qualifiés et compétents
Inaptocratie : Des politiques déconnectées des réalités économiques
L’inaptocratie est un système de gouvernement où les moins capables de gouverner sont élus par les moins capables de produire et où les autres membres de la société les moins aptes à subvenir à eux-mêmes ou à réussir, sont récompensés par des biens et des services qui ont été payés par la confiscation de la richesse et du travail d’un nombre de producteurs en diminution continuelle.
Dans ces trois systèmes, les moins qualifiés en position de pouvoir ont tendance à prendre des décisions qui ne sont pas basées sur une compréhension claire des besoins économiques ou des dynamiques de marché, mais plutôt sur des motifs politiques, personnels ou résultant de l’incompétence de ceux qui décident. Les décisions arbitraires peuvent se manifester sous plusieurs formes, notamment à travers des réglementations lourdes et incohérentes, des politiques fiscales punitives, ou des pratiques de favoritisme avantageant certaines entreprises au détriment d’autres, plus méritantes mais moins connectées politiquement. Ces pratiques conduisent inévitablement à la réduction de la compétitivité, et au découragement des investissements, poussant certaines entreprises à opérer de manière informelle
Pour créer un environnement plus propice à l’entrepreneuriat, il est impératif de renforcer la transparence, la responsabilité et l’équité dans la gouvernance. Cela peut inclure l’introduction de mécanismes clairs et cohérents pour la prise de décision, la mise en place de contrôles et de balances pour limiter le pouvoir arbitraire. Des efforts soutenus doivent être déployés pour lutter contre la corruption à tous les niveaux de l’administration.
Finalement encourager une participation plus large des parties prenantes, y compris des entrepreneurs, dans le processus législatif et réglementaire. Cela peut aider à s’assurer que les nouvelles lois et régulations prennent en compte les réalités et les défis spécifiques auxquels font face les petites et moyennes entreprises.
Ce changement de logiciel, tant attendu et tant réclamé, reste néanmoins tributaire de l’existence d’une volonté politique claire et d’un engagement à mettre en œuvre des réformes qui non seulement abordent les symptômes de ces trois systèmes mais aussi leurs racines structurelles. Ces réformes, si elles sont appliquées de manière cohérente et soutenue, peuvent améliorer le climat des affaires au Maroc, en faisant de la transparence et de l’intégrité la base du développement économique et de l’innovation.
Simplification et réforme du système fiscal et comptable au Maroc
Réformer le système fiscal marocain pour le rendre plus transparent et compréhensible pourrait considérablement encourager la formalisation des entreprises, notamment des petites et moyennes entreprises (PME). Actuellement, la loi de Finances est perçue comme complexe et difficile à comprendre pour la majorité des entrepreneurs. Bien que nul ne soit censé ignorer la loi, une grande partie des entrepreneurs peine à l’assimiler en raison de sa complexité. Cela crée un obstacle majeur à la formalisation des entreprises et, par conséquent, à leur contribution à l’économie formelle.
Bien que cette loi ait pour objectif de collecter des fonds pour l’utilité publique, son application n’est pas toujours équitable. Il est impératif que la collecte des fonds publics ne se fasse pas au détriment de la classe moyenne ou des populations les plus vulnérables. Malheureusement, cette injustice est souvent amplifiée par le favoritisme et les pressions exercées par les grands lobbys économiques, qui réussissent à influencer la loi en leur faveur. Par conséquent, les grands groupes bénéficient souvent d’exemptions fiscales et d’avantages, tandis que les petites entreprises, ainsi que les citoyens ordinaires, supportent une charge fiscale disproportionnée. Un exemple récent est la loi de Finances 2024, qui prévoit une réduction progressive du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) pour les grandes entreprises, atteignant 20% pour les bénéfices importants. En revanche, le taux d’IS a été augmenté pour certaines petites entreprises réalisant un chiffre d’affaires modeste, ce qui exacerbe ce déséquilibre.
Simplifier la loi de Finances, en la rendant plus accessible et compréhensible pour tous, encouragerait davantage d’entreprises à se formaliser. Cela pourrait également réduire l’évasion fiscale et stimuler l’activité économique. Une réforme dans ce sens devrait inclure la révision des procédures fiscales, la mise en place de supports éducatifs pour aider les entrepreneurs à naviguer plus facilement dans le système, ainsi que la réduction des formalités administratives.
Pour encourager les PME et soutenir les jeunes entreprises, des taux d’imposition réduits pour les nouvelles entreprises devraient être envisagés, ainsi que des incitations fiscales. Par exemple, au lieu d’augmenter le taux d’imposition pour les petites entreprises, il serait plus judicieux de leur offrir des exonérations fiscales temporaires ou des taux allégés, afin de leur permettre de croître sans être accablées par des charges excessives dès leurs premières années d’existence.
Révolution comptable pour une meilleure intégration économique
Dans un monde économique en constante évolution, le système comptable marocain doit se moderniser pour répondre aux exigences croissantes de transparence et de compétitivité. Actuellement, structuré autour de plans comptables généraux à connotation juridique, il offre peu de flexibilité pour valoriser les actifs des entreprises, freinant leur développement international et leur attractivité auprès des investisseurs étrangers. Une approche plus souple, inspirée des modèles anglo-saxons, permettrait aux entreprises marocaines de mieux refléter leur réalité économique, en réévaluant régulièrement leurs actifs et en s’adaptant aux fluctuations du marché.
Cette modernisation ne se limite pas aux grandes entreprises. Bien que ces dernières, souvent cotées en bourse ou opérant à l’international, maintiennent déjà une double comptabilité pour satisfaire les normes locales et internationales, les PME pourraient également grandement bénéficier d’une transition vers des pratiques comptables modernisées. Cela faciliterait leur accès aux financements et améliorerait leur compétitivité sur les marchés internationaux, où la transparence et la comparabilité des états financiers sont des critères essentiels pour attirer les investisseurs.
Pour réussir cette transformation, il est crucial que le gouvernement marocain, avec les parties prenantes, mette en place une stratégie nationale de transition comptable. La formation continue des professionnels du secteur, en partenariat avec des organisations internationales, garantirait une maîtrise des nouvelles pratiques. Parallèlement, la numérisation des processus comptables favoriserait une transition plus fluide et l’optimisation administrative.
Un autre levier essentiel pour faciliter cette transition est la formalisation de l’économie informelle. En réduisant l’usage de l’argent liquide et en renforçant la traçabilité des transactions financières, les entreprises marocaines seraient mieux placées pour s’aligner sur les standards comptables internationaux. Cette formalisation améliorerait également la transparence financière et renforcerait la sécurité des transactions à long terme.
Pour les PME, cette modernisation n’est pas une contrainte, mais une opportunité. En s’alignant sur les pratiques comptables modernes, elles renforceront leur transparence, leur accès aux capitaux, et leur compétitivité internationale. Ces évolutions permettraient également aux PME marocaines de s’ouvrir aux marchés mondiaux en harmonisant leurs pratiques avec celles de leurs homologues étrangères.
L’adoption des normes IFRS au Maroc a déjà montré des résultats positifs, notamment dans le secteur bancaire, en renforçant la transparence et en offrant une vision plus réaliste de la situation financière des entreprises. Ces états financiers, conformes aux standards internationaux, permettent aux investisseurs de mieux évaluer les risques et les opportunités, facilitant ainsi l’accès aux capitaux. Adopter ces normes à grande échelle au Maroc consoliderait la compétitivité des entreprises marocaines et ouvrirait de nouvelles perspectives pour une croissance durable.
Vers une régulation équitable et des politiques transparentes et équilibrées
Une concurrence loyale est essentielle pour un marché dynamique et équitable. Promouvoir des pratiques commerciales équitables et empêcher les monopoles et les pratiques anti-concurrentielles assurent que toutes les entreprises, indépendamment de leur taille, ont une chance égale de réussir. Les régulations doivent être mises en place pour prévenir les abus de pouvoir du marché et protéger les intérêts des petites et moyennes entreprises.
La pression des lobbies et des influences politiques peut souvent désavantager les jeunes entreprises au Maroc, en comparaison avec des entités plus établies qui disposent de moyens considérables pour influencer les réglementations locales. Cette influence peut se traduire par des lois et des règles qui favorisent ces « gros joueurs » et restreignent l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché, créant des barrières à l’innovation et à la concurrence équitable.
Pour contrer cette dynamique, il est essentiel d’instaurer des mécanismes de surveillance et de régulation robustes pour s’assurer que les politiques mises en place favorisent une concurrence équitable et soutiennent l’innovation sans favoritisme. Ces mécanismes pourraient inclure des politiques plus transparentes en matière de lobbying, des limites strictes sur les contributions politiques des entreprises, et des obligations de divulgation pour tous les acteurs engagés dans des activités de lobbying. En outre, il serait bénéfique de promouvoir une plus grande participation des PME et des start-up dans le processus législatif, pour que leurs voix et leurs intérêts soient également représentés. Un ajustement de la jurisprudence pourrait également renforcer cette approche, en clarifiant les lois anti-monopoles et en créant des précédents favorisant une concurrence plus équilibrée. Ces mesures aideraient non seulement à créer un terrain de jeu plus équilibré pour les nouvelles entreprises, mais aussi à renforcer la confiance dans les institutions économiques et politiques du pays, en garantissant que les lois et les politiques reflètent les besoins et les aspirations de l’ensemble du tissu économique, et non seulement ceux des acteurs les plus puissants.
Vers une culture d’intégrité, d’innovation, d’optimisation et d’adoption de nouvelles technologies : Les leviers pour l’entrepreneuriat au Maroc
L’intégrité se positionne comme un pilier incontournable d’un environnement entrepreneurial sain et prospère. Promouvoir des pratiques commerciales fondées sur l’éthique et la transparence, tout en garantissant le respect des engagements financiers, constitue une condition sine qua non pour bâtir un climat de confiance entre entrepreneurs, investisseurs et clients. Un tel climat est essentiel pour assurer un développement économique durable et inclusif. Afin d’atteindre cet objectif, il est impératif de renforcer les régulations, tout en appliquant rigoureusement les sanctions à l’encontre des pratiques déloyales. Il est également primordial de sensibiliser les acteurs économiques à l’importance de l’éthique dans les affaires, car elle constitue la pierre angulaire d’une croissance pérenne.
L’optimisation des ressources constitue un levier crucial dans la quête d’une compétitivité accrue. En effet, l’optimisation implique l’utilisation judicieuse des ressources disponibles pour maximiser les résultats, qu’il s’agisse de l’amélioration des processus opérationnels, de la gestion du temps ou encore de l’adoption de technologies novatrices. Dans un contexte entrepreneurial, l’optimisation permet non seulement d’augmenter la productivité, mais aussi de réduire les coûts, tout en renforçant la capacité des entreprises à s’adapter aux exigences du marché. L’optimisation des ressources ne se limite pas aux aspects opérationnels, elle s’étend également à la sphère fiscale. Ainsi, lorsqu’elle est pratiquée dans un cadre légal et éthique, l’optimisation fiscale offre aux entreprises la possibilité de structurer leurs affaires de manière à minimiser la charge fiscale, sans pour autant transgresser les lois. À ce propos, il convient de rappeler le célèbre jugement de la Cour suprême des États-Unis, stipulant que « chacun peut organiser ses affaires de manière à ce que ses impôts soient aussi bas que possible ; il n’y a même pas de devoir patriotique d’augmenter ses impôts ». Ce principe met en lumière la légitimité d’une telle démarche, à condition qu’elle se fasse dans le respect strict des cadres légaux.
L’adoption d’une culture d’innovation s’avère, quant à elle, indispensable pour soutenir l’entrepreneuriat, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPME). L’innovation constitue un moteur puissant de croissance, en permettant aux entreprises de développer de nouveaux produits, d’améliorer leurs processus internes et de s’adapter aux évolutions du marché. Il est essentiel de créer un environnement propice à la créativité, où l’expérimentation est valorisée et où l’échec est perçu comme une étape naturelle du processus d’innovation. Cela passe, entre autres, par le soutien aux initiatives de recherche et développement (R&D), l’octroi d’incitations fiscales pour les investissements dans l’innovation, ainsi que la mise en place de structures de soutien telles que les incubateurs et accélérateurs. Ces dispositifs peuvent jouer un rôle déterminant en offrant aux entrepreneurs un cadre sécurisé pour tester et développer leurs idées.
De plus, l’adoption de technologies avancées comme l’intelligence artificielle (IA) et le machine learning ouvre des perspectives considérables pour optimiser les processus, personnaliser l’expérience client et accroître l’efficacité opérationnelle. Ces technologies offrent aux TPME des outils puissants pour automatiser les tâches répétitives, analyser des volumes importants de données et obtenir des insights précieux pour orienter leurs décisions stratégiques. En facilitant l’accès de ces technologies aux entreprises de petite taille, celles-ci pourraient non seulement optimiser leurs opérations, mais aussi se positionner de manière plus compétitive sur un marché de plus en plus globalisé.
Il convient également d’établir des liens clairs entre intégrité, innovation et optimisation. Une entreprise qui s’engage dans des pratiques transparentes et éthiques est plus à même de nouer des partenariats de confiance, tant au niveau national qu’international. Ces relations renforcent la capacité des entreprises à innover en accédant à de nouvelles ressources et opportunités. De surcroît, l’optimisation des ressources, lorsqu’elle est bien maîtrisée, permet d’allouer une partie de ces gains à des investissements dans l’innovation technologique, renforçant ainsi la compétitivité des entreprises. Enfin, un autre levier essentiel pour promouvoir ces dynamiques est de favoriser des espaces de collaboration et d’échanges entre entrepreneurs, institutions et grandes entreprises.
Vers un avenir entrepreneurial transparent et inclusif
En conclusion, l’entrepreneuriat au Maroc se trouve à la croisée d’une grande ambition et de défis structurels profonds. Pour que le dynamisme et la créativité de la jeunesse marocaine s’épanouissent pleinement, il est impératif de promouvoir des réformes audacieuses et cohérentes. Cela implique de renforcer la transparence, de simplifier les procédures administratives, de diversifier les sources de financement, et d’adopter les nouvelles technologies au service de l’innovation.
Dans cette quête de développement durable et inclusif, la clé réside dans la création d’un écosystème entrepreneurial où les valeurs d’intégrité, de mérite et de compétence priment sur les intérêts particuliers. La transparence dans la gouvernance, l’efficacité des régulations et l’équité dans l’accès aux ressources doivent constituer les piliers d’une économie moderne et compétitive.
Ce chemin demande non seulement une volonté politique, mais aussi un engagement collectif de tous les acteurs économiques et sociaux, afin de bâtir un avenir où chaque entrepreneur, quelle que soit sa région ou sa taille, puisse avoir accès aux opportunités
et contribuer à l’essor économique du pays.
Par Yassine Assouali
Ingénieur d’Etat en génie civil
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