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Intissar Haddiya : L’écriture est un processus mystérieux, parfois déroutant, mais toujours gratifiant

Intissar Haddiya : L’écriture est un processus mystérieux, parfois déroutant, mais toujours gratifiant
Le privilège de l’écrivain est de nous entraîner là où il veut et où nous ne serions pas allés sans lui. Disposant d’outils de recherche, le lecteur va d’aventure en aventure pour pouvoir solliciter les plis et replis du texte afin d’en dégager un sens et en déguster sa part du plaisir qu’il lui offre.
Nos écrivains sont là pour nous ouvrir, nous lecteurs, quelques pistes de lecture et même des outils, un avant-goût de ces djouissances amenant la satisfaction, voire la satiété, étant leurs complices.
 
Libé :Comment avez-vous pu et su adopter l’écriture, cette monture indomptable et si capricieuse, et l’adapter à vos exigences ?

Pour moi, l’écriture est avant tout une question de passion. Et c’est la suite logique de la lecture. Lorsqu’on est passionné de lecture, on peut acquérir les outils de l’écriture.
Avec le temps, j’ai appris à adapter l’écriture à mes exigences tout en restant fidèle à l’authenticité de mes émotions et à mes convictions. J’ai toujours eu, dès mon plus jeune âge, cette envie de raconter des histoires, de partager des réflexions sur la société qui m’entoure, créer des personnages, leur donner une voix et les faire interagir. 

Quel a été votre premier texte, nouvelle ou roman, que vous avez publié, que vous avez soumis au lecteur ?

Mes premiers textes publiés, étaient des essais et nouvelles en anglais, parus dans la collection « In ourownwords » de Cambridge UniversityPress entre 1999 et 2005, alors que mon premier roman intitulé « Si Dieu nous prête vie » est paru en 2016 aux éditions St. Honoré (Paris) et a été coédité à Casablanca par Orion éditions. C’est un roman qui met la lumière sur le vécu empreint d’amour, de douleur, d’espoir et d’aventure d’un groupe d’individus partageant la même séance de dialyse. Un récit de vie qui dénude ingénument la détresse et les contraintes liées à la dialyse tout en soulignant la difficulté d’accès à la greffe d’organe.
Il faut dire que mes premiers ouvrages publiés ont été un véritable tournant pour moi, car ils m’ont permis de prendre conscience de l’impact que l’écriture peut avoir sur les lecteurs, en particulier lorsqu’il s’agit de thèmes liés aux questions sociétales, et tous les débats et réflexions qu’elle suscite.

Quels sont alors les auteurs ayant influencé votre manière de regarder les faits et de les écrire ?

Il y en a plusieurs. Je citerais d’abord les auteurs marocains qui avaient marqué mon adolescence tels Moubarak Rabie et Tahar Ben Jelloun. Leur manière de raconter la réalité marocaine avec lucidité a certainement influencé ma plume. Il y a aussi Naguib Mahfouz, avec sa vision de la société égyptienne qui, à bien des égards, résonne avec les dynamiques marocaines que j’explore dans mes textes.
J’ai également été particulièrement marquée par la littérature afro-américaine, à travers les écrits de Tony Morisson, James Baldwin, Langston Hugues, entre autres. C’est une littérature poignante dont on ne sort pas indemne.
Enfin, je suis reconnaissante à tous ceux que j’ai lu à différentes périodes de ma vie dont les textes ont stimulé mon imaginaire et m’ont encouragé à écrire à mon tour des romans en écho à notre réalité sociale.

Pour écrire, faudrait-il se faire imposer un cérémonial quelconque, se soumettre à ses contraintes ? En est-il de même pour tous vos romans ?

Je crois que chaque auteur a son propre rituel. Pour ma part, je n’ai pas de cérémonial strict. Je m’adapte en fonction des moments, des lieux et des émotions du jour. Il suffit que je sois habitée par l’histoire à raconter pour entrer pleinement dans mon univers d’écriture, construire mes personnages et tramer mes intrigues. Il faut dire qu’avec la nature du métier que j’exerce, il n’est pas facile d’avoir un rituel particulier. J’écris quand je peux, généralement les week-ends et les jours de vacances.

« Ecrire, c’est le double plaisir de raconter et de se raconter une histoire, et c’est aussi le plaisir d’écrire, qui est inexplicable », dit Françoise Sagan dans un entretien accordé au Magazine littéraire en juin 1969.

Je partage tout à fait ce sentiment. L’écriture est un processus mystérieux, parfois déroutant, mais toujours gratifiant. Quand j’écris, je me perds dans mes histoires, et c’est une forme de libération. Il y a un plaisir inégalable dans le fait de donner vie à des personnages, de construire des mondes, de manipuler le langage pour créer une émotion ou une réflexion. C’est, en effet, un plaisir qu’il est difficile d’expliquer en dehors du moment où l’on est plongé dedans.

Pour Proust, la vie écrite est plus intense que la vie vécue. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que Proust a raison dans le sens où l’écriture permet d’explorer des dimensions de la vie que l’on ne peut pas toujours appréhender dans le réel. Dans l’écriture, tout est possible : les pensées les plus profondes, les émotions les plus intenses, les réflexions les plus complexes peuvent être exprimées sans contrainte. C’est un moyen d’amplifier la réalité, de lui donner une profondeur qu’elle n’a pas toujours dans le quotidien. C’est le moyen de relativiser les situations les plus insolites de la vie et de vivre plusieurs vies à travers les péripéties auxquelles sont confrontés nos personnages.

Le critique et écrivain Milan Kundera dit que le roman est le lieu de l’ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées de manière définitive, le lieu de l’absence d’une morale manichéenne. Est-ce que cela pourrait s’appliquer à vos romans ?

Tout à fait. Pour ma part, j’essaie dans mes romans de ne jamais porter de jugement définitif sur mes personnages ou les situations. La réalité est faite de nuances, et les êtres humains sont complexes. Il est rare qu’une situation soit totalement noire ou blanche, les zones d’ombre existent bien souvent. Certains de mes personnages évoluent dans cette zone grise où le bien et le mal coexistent, où les choix sont parfois difficiles à faire. Ce qui rend un roman intéressant, à mon sens, c’est cette capacité à refléter la complexité de la vie, sans chercher à imposer une vérité unique.

Propos recueillis par Mouhoub Abdelkrim

Biographie
Intissar Haddiya est médecin néphrologue et auteure marocaine. Elle est professeure de l’enseignement supérieur à la faculté de médecine-université Mohammed Premier, et figure associative très impliquée dans la promotion de la greffe d’organes et le soutien aux insuffisants rénaux au Maroc. Elle est également présidente de l’association de soutien aux insuffisants rénaux dans l’Oriental.
Elle est aussi l’auteure de plusieurs articles scientifiques médicaux publiés au niveau national et international.
Sur le plan littéraire, ses premiers ouvrages littéraires (essais et nouvelles) ont été publiés en anglais par Cambridge UniversityPress entre 1999 et 2005, alors que son premier roman intitulé « Si Dieu nous prête vie » est paru en 2016 aux éditions St. Honoré (Paris), coédité à Casablanca par Orion éditions.
Son second ouvrage « Au fil des songes » (St Honoré éd. 2017 & Orion) a été primé en 2019 en recevant le prix spécial francophonie à l’issue d’un concours littéraire français. Il a été publié en anglais par Austin Macauley Publishers à Londres en novembre 2023.
Son roman « L’inconnue » (St Honoré éd 2019 & Orion), traduit en arabe en 2020, a été primé en obtenant la médaille de la fondation du trophée de l’africanité en 2023.
Son dernier roman « Trahison pieuse » (Orion 2021) a également connu un remarquable succès.
L’auteure est titulaire d’un doctorat d’Etat (PhD) en responsabilité sociale en santé et elle a publié un ouvrage académique intitulé : « Responsabilité sociale en santé : quelle application en Afrique ? Exemple de la prise en charge de la maladie rénale » chez Peter Lang éd. (Suisse) en 2023.
Professeur Intissar Haddiya a été nommée « Médecin de l’année » en 2021  et « Personnalité littéraire de l’année » en 2022 dans la région de l’Oriental.

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