Flou
Pour Mohammed Chaoui, chercheur en sciences politiques, « la situation concernant les événements du 15 septembre demeure brumeuse, et toute tentative d’interprétation s’avère incomplète en raison du manque de données claires sur ce qui s’est réellement passé avant et pendant ces incidents ». Selon lui, « la dynamique et l’ampleur de ces événements soulèvent de nombreuses questions, notamment sur les instigateurs de cette action, leurs motivations, leur capacité à mobiliser des soutiens à la fois au niveau national et régional, ainsi que les moyens de communication utilisés. D’autres zones d’ombre persistent quant à l’organisation, aux itinéraires empruntés, et aux véritables raisons d’une action collective aussi ostentatoire ».
« Toutefois, il est prématuré de parler d’un changement significatif ou d’une nouvelle tendance dans les dynamiques de migration irrégulière au Maroc. Ce que nous observons pour le moment est un acte isolé, qui nécessite une analyse approfondie tenant compte du contexte interne au Maroc, du cadre régional, ainsi que des évolutions récentes dans la région. Il est impératif de replacer cet incident dans un cadre plus large pour saisir toute sa portée », nous a-t-il déclaré. Et de poursuivre : « Il convient de rappeler que la migration irrégulière depuis le Maroc vers l’Union européenne (UE) est devenue de plus en plus complexe, voire impossible, en raison du renforcement des contrôles et de l’augmentation des coûts de passage, notamment dans le nord du pays. Depuis 2017, une approche sécuritaire plus stricte a été mise en place, marquée par des rafles, des arrestations, des éloignements à l’intérieur du territoire et des refoulements vers les pays d’origine. Cette répression a eu plusieurs conséquences, dont la redirection des routes migratoires du nord vers le sud du Maroc et la fin, dans une large mesure, des traversées irrégulières gratuites via la mer ».
Complot
En outre, il ajoute que « si les récents événements s’inscrivent dans cette tendance, ils doivent néanmoins être analysés sous un prisme qui prend en compte à la fois l’impact des politiques de contrôle, l’évolution des routes migratoires, et les réponses locales et régionales à la migration irrégulière ». « La complexité de la situation exige une approche multidimensionnelle, intégrant à la fois les éléments sécuritaires, socio-économiques et politiques qui influencent les flux migratoires », a-t-il souligné. Et de préciser : « Cette conjoncture apporte un éclairage précieux sur la situation et permet de dissiper les théories complotistes et les supposées interventions de « mains invisibles ». En effet, plutôt que d’imaginer des forces occultes à l’œuvre, il est essentiel de replacer les événements dans leur contexte réel, marqué par des dynamiques socio-économiques et politiques spécifiques.
Les mouvements migratoires, tout comme les actes de mobilisation collective observés, s’inscrivent dans un ensemble de facteurs bien identifiables : les politiques de renforcement des contrôles migratoires, les conditions économiques dans les pays d’origine, et les transformations des routes migratoires traditionnelles. Ces réalités objectives, basées sur des faits tangibles, expliquent largement les actions observées, en opposition aux théories qui attribuent ces phénomènes à des manipulations extérieures ou à des conspirations. Les flux migratoires, particulièrement en période de crise, sont le résultat de pressions internes et externes, mais ces forces sont largement visibles et documentées ».
Réseaux sociaux
Concernant la relation entre réseaux sociaux et migration, Mohammed Chaoui observe qu’elle est désormais indissociable, particulièrement dans une époque où les médias numériques ont envahi tous les aspects de la vie quotidienne. «Des plateformes comme Facebook, WhatsApp, TikTok ou encore Telegram jouent un rôle crucial dans l’organisation, la communication, et même l’orientation des flux migratoires. Aujourd’hui, on parle de plus en plus de « migrant connecté », un terme qui illustre l’évolution des pratiques migratoires à l’ère numérique. En effet, les réseaux sociaux permettent aux migrants de contourner les intermédiaires traditionnels et d’accéder directement à des informations en temps réel, que ce soit sur les routes à emprunter, les risques à éviter ou les moyens logistiques pour traverser des frontières. En quelques clics, des groupes et des forums partagent des conseils, des témoignages ou des opportunités pour les passages clandestins, facilitant ainsi une migration plus réactive et coordonnée », analyse-t-il. Notre interlocuteur affirme que « dans ce contexte, l’hyperconnectivité amplifie la visibilité de ces mouvements en rendant publique ce qui était autrefois clandestin, comme en témoignent les récents appels à des tentatives de passage de masse à Sebta ou Melillia ».
Et de conclure : «Toutefois, cette interconnexion entre réseaux sociaux et migration soulève des défis sécuritaires majeurs ». « Les Etats sont désormais confrontés à des mobilisations soudaines, rapides et de grande ampleur, coordonnées grâce aux réseaux numériques. Ces mouvements rendent la surveillance plus complexe, forçant les autorités à adapter leurs méthodes de contrôle à cette nouvelle réalité. Autrement dit, le migrant connecté symbolise une mutation profonde des dynamiques migratoires modernes, où la technologie joue un rôle facilitateur mais aussi transformateur, redéfinissant les contours traditionnels de la migration irrégulière ».
Hassan Bentaleb
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