a
a
HomeActualités du NetInondations au Maroc : Au-delà des systèmes d’alerte, l’enjeu de la sensibilisation [INTÉGRAL]

Inondations au Maroc : Au-delà des systèmes d’alerte, l’enjeu de la sensibilisation [INTÉGRAL]

Inondations au Maroc : Au-delà des systèmes d’alerte, l’enjeu de la sensibilisation [INTÉGRAL]

Malgré l’utilisation des dispositifs d’alertes, les récentes inondations ont révélé l’urgence de sensibiliser davantage les populations aux conduites à tenir en cas de crues.

Il y a une semaine, nous rapportions l’alerte de la Direction de la Météorologie Nationale concernant des averses orageuses intenses dans certaines zones au Sud du Royaume. Depuis, le phénomène s’est confirmé en causant au passage des dégâts humains et matériels. Le dernier bilan provisoire des autorités évoque 18 personnes décédées et 4 autres portées disparues. Si les dégâts aux infrastructures et au niveau des habitations construites dans les zones potentiellement inondables étaient probables, comment expliquer les pertes humaines en dépit des bulletins et dispositifs d’alerte ? « On nous a informés que la crue était en route vers nous, mais on ne s’attendait pas à ce que ce soit aussi grave. Les gens sont allés voir les eaux arriver au niveau de l’oued. Face à l’ampleur de la crue, les habitants ont pris la fuite et se sont réfugiés chez eux. Les douze personnes qui se sont réfugiées dans les cinq habitations situées en première ligne au niveau de la berge de l’oued sont mortes, puisque les eaux ont complètement détruit leurs maisons », témoigne un habitant du douar Aoukerda, Province de Tata, dans une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux.
 
Comportements à risque
D’autres vidéos qui ont également largement circulé montrent des automobilistes traversant à leurs risques et périls des tronçons de route pourtant barrés par des eaux déchaînées. Certains y ont même laissé leurs véhicules, emportés ou renversés par le courant. « Les systèmes d’alerte précoce ont pour objectif d’informer à l’avance les populations concernées par le risque de crue afin qu’elles puissent anticiper le danger d’inondation et évacuer les lieux », nous explique Pr Laila Mandi, professeure universitaire, membre de l’Académie de l’Eau de France et anciennement directrice du Centre National d’Études et de Recherche sur l’Eau et l’Énergie. « Même si l’alerte précoce permet d’obtenir l’information relative au danger imminent et de la communiquer aux populations concernées, le risque de dégâts humains n’est pas exclu si l’on ne sait pas quels réflexes adopter. Cela met en évidence l’importance de la sensibilisation des populations sur la conduite à tenir en cas de catastrophe naturelle en général, et d’une inondation en particulier », poursuit-elle.
 
Phénomène récurrent
Depuis quelques années déjà, le Maroc vit régulièrement des épisodes d’averses orageuses intenses, sévissant durant la période estivale et le début de l’automne, en raison des changements globaux liés au réchauffement climatique, ainsi que d’autres phénomènes comme le déplacement vers le Nord du front intertropical (voir article ci-bas). Autrement dit, notre pays est loin de vivre son dernier épisode d’averses orageuses intenses, dont les conséquences sur le terrain réveillent de plus en plus régulièrement des oueds parfois à sec depuis plusieurs décennies. « Notre pays dispose d’une stratégie dédiée à la lutte contre les inondations qu’il faut continuer à développer et à mettre en œuvre, tout en touchant la population. On peut voir des exemples à travers le monde où la sensibilisation des populations joue un rôle primordial dans la prévention des risques liés aux catastrophes naturelles. C’est le cas au Japon, où la population est éduquée dès le plus jeune âge à adopter les bons réflexes en cas de séisme », compare Laila Mandi.
 
Anticiper et éduquer
« Avec les changements qui s’opèrent au niveau des tendances liées à l’intensité et à la couverture spatiale de la pluviométrie, il est vital que les populations soient sensibilisées et éduquées sur ce qu’il convient de faire et de ne pas faire pour se protéger lorsqu’une alerte est donnée. Autrement, on sera réduit à devoir revivre les mêmes risques et subir des dégâts humains qui auraient pu être évités. Cela est aussi valable pour les crues que pour d’autres types de catastrophes ou de phénomènes extrêmes », poursuit notre interlocutrice, notant qu’il ne faut pas attendre pour trouver des solutions adéquates de déplacement des familles qui habitent dans des lits d’oued, « même ceux qui sont à sec depuis un siècle ». À noter que le bilan provisoire des dégâts dans les zones touchées par les inondations évoque 56 effondrements (dont 27 entiers) de maisons, l’endommagement partiel ou complet de 8 infrastructures techniques, un impact sur les réseaux d’assainissement, de l’eau et d’électricité, ainsi qu’une coupure temporaire de 110 voies routières, dont 84 ont depuis été dégagées.
Omar ASSIF

3 questions à Laila Mandi, experte dans le domaine de l’eau « Lorsque nous avons une inondation de ce genre, l’eau a tendance à tout éroder sur son chemin »
Sachant que les eaux des crues charrient beaucoup de sédiments, comment en tirer le meilleur profit possible ?
 
Lorsque nous avons une inondation de ce genre, l’eau a tendance à tout éroder sur son chemin. Les eaux charrient tout, au risque d’exacerber le problème d’envasement des grands barrages qui se trouvent sur leur passage. D’autre part, la vitesse de ces eaux en surface ne permet pas une bonne infiltration et alimentation de la nappe. En plus de la lutte contre l’érosion, à travers le reboisement notamment, je pense qu’il faut continuer à multiplier l’édification des petits barrages, parce que ces ouvrages ont la capacité de freiner les eaux. Cela permet d’utiliser cette ressource pour l’irrigation des cultures, mais également pour la recharge de la nappe. Il y a également des techniques traditionnelles qui pourraient s’avérer très utiles et devraient être encouragées, comme les « matfias », qui peuvent assurer le stockage de volumes importants de ces eaux. 
 

Quel rôle l’Intelligence Artificielle peut-elle jouer dans la gestion des crues ?

L’Intelligence Artificielle est actuellement au cœur des projets de recherche et développement, et cela dans quasiment tous les domaines. Ajoutez à cela que l’IA permet actuellement de développer localement des logiciels et des applications, notamment mobiles, qui sont mieux adaptés à nos besoins et spécificités, et qui peuvent être à un coût plus faible par rapport à des outils équivalents développés au niveau international. Il y a eu pas mal de projets intéressants au niveau national, notamment des modèles pour la bonne gestion des crues, qui ont par exemple été développés entre l’Université Cadi Ayad et l’Agence du Bassin Hydraulique du Tensift. Cela dit, le potentiel est encore énorme.
 

Comment renforcer la collaboration entre les chercheurs et les décideurs pour mieux gérer les risques d’inondation ?
 

Il faut construire de véritables passerelles entre les Universités et les décideurs, parce qu’il y a énormément de bonnes pratiques qui sont développées au niveau de l’Université marocaine, et qui ne sont pas exploitées et valorisées localement. Le secteur privé marocain peut également jouer un rôle, et nous avons d’ailleurs commencé à voir des initiatives qui capitalisent sur la recherche au niveau national pour encourager l’investissement dans la recherche, l’entrepreneuriat et la création de start-ups. C’est toutefois une dynamique qu’il faut consolider, et cela passe également par un travail que l’Université publique marocaine doit faire sur elle-même afin de mieux capitaliser sur ses atouts et ses forces, et ainsi d’arriver plus facilement à mettre le fruit de son travail à la disposition des décideurs et de l’intérêt général.

ITCZ : Les crues au Sahara, un phénomène nouveau, désormais récurrent ?
Severe Weather, une plateforme spécialisée dans l’analyse des événements climatiques extrêmes, a récemment publié un article révélant qu’en septembre 2024, le Sahara connaîtra des précipitations exceptionnelles. Celles-ci sont causées par un déplacement du front intertropical (ITCZ) vers le Nord. Depuis juin, les données montrent que l’ITCZ s’est décalé plus au Nord qu’à l’habitude, entraînant des averses orageuses intenses dans le Sahara. Ce phénomène est lié à des anomalies climatiques, telles que des températures de surface anormalement élevées dans l’Atlantique et la Méditerranée. En raison de cette tendance, les averses orageuses qui ont frappé le Sud du Maroc ces derniers mois doivent probablement être considérées comme un phénomène récurrent et saisonnier. Ces nouvelles conditions climatiques augmentent les risques d’inondations dans cette région. Le déplacement de l’ITCZ pourrait, à l’avenir, continuer d’influencer les schémas météorologiques, rendant la gestion des risques plus complexe.

Comparaison entre la position climatologique et la position observée du front intertropical en août 2024

Gestion des risques : Le Maroc renforce ses programmes de lutte contre les inondations
La Direction Générale de la Protection Civile a mis en place une stratégie de lutte contre les inondations dans le cadre du Plan Opérationnel 2021-2026. Ce plan met l’accent sur l’amélioration des systèmes d’alerte précoce et la construction d’infrastructures adaptées. Les systèmes d’alerte précoce permettent de surveiller en temps réel les niveaux des cours d’eau et les précipitations. Un réseau de stations météorologiques et hydrologiques réparties sur l’ensemble du territoire collecte les données. En cas de risque imminent, les alertes sont transmises par divers moyens : SMS, applications mobiles, radio et télévision. Le plan inclut aussi l’amélioration de la cartographie des zones inondables, pilotée par les Agences des Bassins Hydrauliques (ABH), en partenariat avec le ministère de l’Équipement et de l’Eau. Ces cartes permettent d’identifier les territoires les plus vulnérables et d’anticiper les scénarios de crue grâce à des modèles de simulation. Côté infrastructures, de nouveaux barrages sont construits tandis que ceux existants sont modernisés pour renforcer la capacité de rétention des eaux et protéger les zones à risque. Les zones urbaines et les secteurs agricoles sont particulièrement prioritaires en raison de leur exposition accrue aux inondations. Les infrastructures essentielles, telles que les routes et les réseaux d’eau, sont également renforcées pour limiter les dégâts lors des crues. La coordination entre les autorités locales, les ABH et divers acteurs est renforcée pour assurer une réponse rapide et efficace lors des crises. 

L’Opinion Maroc – Actualité et Infos au Maroc et dans le monde.Read More