Le Forum triennal Chine-Afrique est une occasion pour Pékin de démontrer qu’il est désormais un acteur incontournable sur le continent. Grâce à une stratégie bien rodée, la Chine s’impose progressivement comme le principal partenaire commercial, d’investissement et, parfois même, politique des pays africains.
Exit l’Europe, voire les États-Unis, les pays du continent regardent désormais vers le géant asiatique, plus enclin à sortir le chèque sans menace apparente d’ingérence dans leurs affaires internes. Même les pays qui ne sont pas des partenaires traditionnels de la Chine cèdent aux sirènes de Pékin et à ses promesses d’une relation « gagnant-gagnant » axée sur le commerce et le développement. À la tête de ces pays, on compte le Maroc.
En l’espace de quelques années, la relation entre les deux États s’est intensifiée à une vitesse grand V, faisant de la Chine l’un des plus importants investisseurs dans le Royaume. Depuis 2023, les entreprises chinoises ont annoncé pas moins de 10 milliards de dollars d’investissements dans l’écosystème de batteries électriques au Maroc. Récemment, d’autres groupes chinois ont remporté des marchés d’extension des lignes TGV.
Signe de ce partenariat d’exception, le Maroc était représenté au FOCAC par une délégation très importante, conduite par le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, et comptant le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, le ministre délégué chargé de l’Investissement, Mohcine Jazouli, ou encore le président de la CGEM, Chakib Alj.
Ainsi, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique sont passés de 210 milliards de dollars en 2013 (année de l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping) à plus de 280 milliards de dollars aujourd’hui, avec un déficit commercial évidemment en faveur de Pékin. Avec le Maroc, l’accélération des échanges est encore plus marquée, puisqu’ils sont passés sur la même période de 3,4 milliards de dollars à 7,6 milliards de dollars.
La Chine voit d’abord en l’Afrique un immense marché à conquérir, avec ses 1,4 milliard d’habitants, qui lui permettra de continuer à écouler ses produits et de soutenir son vaste tissu industriel. Ce nouveau marché devient d’autant plus primordial que la guerre commerciale s’intensifie avec les autres puissances, notamment les États-Unis d’Amérique et l’Europe.
Par exemple, face aux restrictions imposées dans d’autres pays, la Chine adopte une stratégie de déploiement très offensive de la 5G sur le continent africain, notamment en Côte d’Ivoire, au Sénégal, et potentiellement bientôt au Maroc. Les conglomérats chinois du BTP voient dans ces pays, souvent dépourvus d’infrastructures, un nouveau terrain d’opportunités, soutenus en cela par l’État chinois qui accorde des financements aux gouvernements engagés dans des projets de construction de ports, de routes ou de chemins de fer.
Pour Xavier Aurégan, cette domination est à nuancer, puisque « énormément de sous-traitants occidentaux sont présents en Chine, qui dépendent tout autant des ressources africaines ». « Les acteurs chinois sont les plus visibles, mais au final, ce sont l’ensemble des acteurs économiques de filières comme celle de la voiture électrique qui sont intéressés par l’Afrique », précise le spécialiste des relations sino-africaines.
Pour marquer sa différence des pays occidentaux, l’Empire du Milieu met en avant sa non-ingérence dans les affaires internes des pays africains. Dans la déclaration de Beijing publiée à l’occasion du FOCAC, la Chine et l’Afrique se déclarent “attachés à l’indépendance, au respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, à la non-ingérence dans les affaires intérieures”.
“Effectivement, ils cherchent à se différencier de l’Occident et de son passé colonial et impérialiste à travers leurs discours, leur rhétorique et leur phraséologie. Cependant, concrètement sur le terrain, on constate que les acteurs politiques et économiques chinois pratiquent la géopolitique de la même manière que les autres”, analyse Xavier Aurégan, auteur du livre “Chine, puissance africaine”.
La Chine s’est en effet ingérée, directement ou indirectement, dans plusieurs foyers de conflits sur le continent, notamment dans la Corne de l’Afrique, en Afrique centrale, et plus particulièrement dans les deux Soudans, du Nord et du Sud. Certes, contrairement à la Russie et à ses milices Wagner, la Chine n’envoie pas de mercenaires, mais elle peut recourir à des sociétés de sécurité privées pour protéger ses mines, ses investissements et, plus largement, ses intérêts.
« La Chine envoie aussi des Casques Bleus pour sécuriser les puits de pétrole, notamment au Soudan du Sud », poursuit notre expert. Le piège du surendettement peut également fragiliser certains pays, les rendant dépendants financièrement, économiquement et politiquement vis-à-vis des banques chinoises, et donc, in fine, du pouvoir chinois, puisque la majorité des grandes banques chinoises appartiennent à l’État.
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Dans ce contexte, le Maroc cherche à se positionner en tant que pays “connecteur”. Afin de ne pas se priver de l’accès aux marchés des pays concurrents, certains industriels choisissent d’investir dans des pays spécifiques pour en faire leurs bases industrielles de relais. Il s’agit ainsi du Vietnam pour le marché chinois, du Mexique pour le marché américain et du Maroc pour le marché européen.
Lié par un accord de libre-échange avec l’UE et bénéficiant d’un écosystème automobile solide, le Royaume est en passe de devenir la plateforme privilégiée d’exportation de voitures électriques chinoises vers l’Europe. Les annonces d’investissements dans les batteries électriques, portées par les entreprises chinoises BTR et Gotion High Tech, ne sont que les premières étapes de la ruée vers cette nouvelle industrie.
Lors de cette réunion, le Chef du gouvernement a assuré du soutien de l’État pour la réalisation d’un projet stratégique d’investissement du groupe Sunrise au Maroc, d’un montant de 4,1 milliards de dirhams. Ce projet, qui a fait l’objet d’un protocole d’accord (MoU) en avril 2024, permettra la création de 11.000 emplois directs d’ici trois ans dans plusieurs régions du Royaume, grâce au lancement de complexes industriels intégrant l’ensemble de la filière.
Le Chef de l’Exécutif a également visité l’usine de Gotion High Tech et a fait le point sur l’avancement des travaux de la gigafactory de Kénitra, lors d’une réunion de travail avec le président du groupe, Zen Li. Cette gigafactory est un projet intégré de production de batteries électriques, dont la première phase nécessitera un investissement de 14 milliards de dirhams et permettra de créer 17.000 emplois. Le démarrage de l’exploitation est prévu pour le second trimestre 2026.
Enfin, la délégation marocaine s’est rendue dans la province d’Anhui, considérée comme la deuxième plateforme du pays en termes de production et d’exportation d’automobiles. Elle abrite notamment deux constructeurs nationaux : Chery Automobile (basé à Wuhu) et Anhui Jianghuai Automobile (JAC, basé à Hefei), ainsi qu’Anhui Ankai Automobile, un des principaux fabricants chinois d’autobus et d’autocars. L’objectif de cette visite était de convaincre ces industriels de s’installer au Maroc.
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