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Nouvelle Procédure pénale : Les Robes noires enhardies face à l’accusation [INTÉGRAL]

Nouvelle Procédure pénale : Les Robes noires enhardies face à l’accusation [INTÉGRAL]

La nouvelle réforme du Code de procédure pénale équilibre manifestement le rapport entre l’accusation publique et la défense. Les avocats y trouvent leur compte. Décryptage.

Adoptée en Conseil de gouvernement, la réforme du Code de procédure pénale est censée être bientôt transmise au Parlement.  “Le texte sera soumis à l’examen législatif, la discussion ne manquera pas d’être intense et difficile, mais nous y sommes prêts”, lâche une source ministérielle, qui souligne le caractère vital d’une telle réforme qui touche les libertés publiques. “Cette révision aura un impact irréversible sur la politique pénale pendant de nombreuses années, raison pour laquelle il faut un débat serein et que tout le monde fasse preuve d’ouverture”, continue notre interlocuteur, qui fait état d’une réforme progressiste. En effet, le texte porté par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a vocation d’humaniser le système judiciaire à travers un assouplissement sans précédent d’une procédure jugée trop rigide. Le ministère de tutelle a tenu ses promesses en présentant un texte favorable au droit de la défense au grand bonheur des avocats qui réclamaient depuis longtemps plus de prérogatives face à l’implacable Ministère public. D’où leurs appels répétitifs à équilibrer le rapport avec l’accusation publique. Avocat de profession, Ouhabi, lui aussi sensible à cela, a veillé à ce que les robes noires s’en sortent renforcées. 

Cela ne veut pas dire qu’il est à l’origine de tous les cadeaux qui leurs sont offerts, puisqu’il s’agit d’une stratégie nationale visant à humaniser notre système judiciaire pour l’approcher autant que possible des normes internationales. 

 

Garde à vue : Deux garanties précieuses
L’avocat se voit renforcé dès le début de la procédure qui, rappelons-le, commence dès que son client franchit le perron du commissariat. Désormais, la garde à vue est plus régulée qu’avant avec plus de garanties pour la présomption d’innocence. La réforme donne le droit à quiconque placé en garde à vue de contacter son avocat dès la première heure, sans autorisation préalable du parquet. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. 

L’avocat peut aussi assister aux interrogatoires de police qui, rappelons-le, seront désormais enregistrés, y compris le moment de la lecture de la déposition du suspect et de la signature du procès-verbal. Il s’agit de deux acquis précieux pour les avocats de défense qui s’assureront ainsi que leur client a été informé de son droit de garder le silence. Aussi, le risque d’extorsion de la parole sous la contrainte est visiblement réduit maintenant que tout est transparent. 

Le fait que l’avocat ait impérativement besoin de l’aval du parquet pour entrer en contact avec son client était perçu comme un obstacle majeur. “L’enregistrement audio-visuel aura vocation de protéger le suspect, ainsi que les organes d’investigation, dans la mesure où la matérialisation visuelle et auditive empêcherait toute interprétation subjective d’une déposition écrite”, explique Rabii Chekkouri, avocat au barreau de Rabat, qui voit dans l’enregistrement une solution aux confusions qui surgissent dans la transcription des dépositions. “En pratique, les procès-verbaux d’audition sont intégralement rédigés en arabe classique, y compris les dépositions du mis en cause, cela risque d’entraîner une dénaturation des propos initialement proférés en arabe dialectal”, poursuit l’avocat pénaliste. En gros, la garde à vue est désormais perçue comme une exception, raison pour laquelle les juristes du ministère ont restreint le champ de sa prolongation. Cette décision, qui incombe au Procureur du Roi, doit désormais être motivée nonobstant la nature de l’infraction.  Cela dit, la levée de toutes ces restrictions qui pesaient lourdement sur la défense aux premières heures de la procédure pénale a la vertu de raffermir le droit fondamental qu’est l’assistance juridique. “L’assistance juridique des personnes et le renforcement de la présomption d’innocence sont deux revers d’une seule médaille”, plaide pour sa part Mohammed Bouzlafa, spécialiste du droit pénal et Doyen par intérim de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Fès.  
 

Détention préventive : Verrouillage d’un vieux réflexe !
À l’instar de la garde à vue, le recours à la détention préventive est manifestement restreint afin de remédier à un vieux réflexe de notre appareil judiciaire qui privilégie la réclusion. Maintenant, les magistrats du parquet ont plus de moyens alternatifs, comme le bracelet électronique, pour éviter de poursuivre en détention. L’emprisonnement provisoire n’est légitime que si la poursuite en liberté est susceptible de nuire au bon fonctionnement du procès. Aussi bien les magistrats du parquet que les juges d’instruction sont tenus de n’y recourir que sous conditions strictement définies dans l’article 47-1. Les avocats peuvent aussi faire recours de la décision de mise en détention du Procureur du Roi auprès du Conseil du tribunal chargé de statuer sur l’affaire. Aussi, les décisions de libération provisoire et de contrôle judiciaire (décidées par la Chambre criminelle du tribunal de première instance) peuvent-elles faire l’objet de recours.  La réforme a répondu favorablement à l’une des plus vieilles revendications des avocats en réduisant la prolongation de la détention préventive. Maintenant, celle-ci n’est reconductible que deux fois au lieu de cinq sauf pour les crimes terroristes et actes portant atteinte à la sûreté de l’Etat. Pour ce qui est des délits, on a opté pour une seule fois à la place de deux.  Cela est d’autant plus pratique que le contrôle judiciaire est plus aisé avec le bracelet électronique. 
 
Pour le JLD !
Par ailleurs, on voit bien que le rapport de force est plus équilibré et que le parquet comme le Juge d’instruction ont moins de marge de manœuvre pour recourir systématiquement à la détention. Cela n’est pourtant pas suffisant aux yeux de plusieurs avocats pour qui l’idéal serait que cette décision soit dévolue exclusivement à un juge indépendant, c’est-à-dire le Juge des Libertés et de la Détention (JLD). “Ce serait en principe un magistrat du siège impartialement externe au dossier pénal en cours, contrairement au parquet qui, en plus d’être une partie, constitue une autorité de poursuite, et au juge d’instruction qui instruit le dossier à charge et à décharge”, plaide Me Chekkouri, qui rappelle que le magistrat de siège existe dans plusieurs droits pénaux internationaux. “Le JLD prendra sa décision lors d’une audience à huis clos en présence des parties, assisté par un greffier”, conclut-il. 
 
Anass MACHLOUKH

Trois questions à Rabii Chekkouri : “Il serait pertinent d’envisager l’instauration d’un délai dit de carence”
La nouvelle procédure pénale octroie de nouvelles prérogatives au droit de la défense. Etes-vous satisfait des nouveaux acquis en ce qui concerne le régime de garde à vue et pour ce qui est de la capacité de remettre en cause des décisions de détention ? 
En tant qu’avocat pénaliste, je me réjouis de cette avancée, tant attendue, concernant l’évolution des droits de la défense. En effet, il s’avère que malgré les dispositions actuelles du Code de procédure pénale relatives à l’entretien du gardé à vue avec son avocat, les droits de la défense demeurent négligés tant que le suspect n’a pas la garantie d’une assistance effective lors de son interrogatoire policier. L’on entend par assistance une simple présence permettant de présenter éventuellement des observations écrites au Ministère public. A l’instar de certaines législations européennes, il serait pertinent d’envisager l’instauration d’un délai dit de carence d’une ou deux heures obligeant les officiers de police judiciaire à attendre l’avocat du gardé à vue, en se contentant de recueillir uniquement ses éléments d’identité, sans l’interroger sur le fond.
 

Que pensez-vous de la soumission exclusive des officiers de la police judiciaire aux autorités judiciaires pendant l’exercice de leurs fonctions ? 

Au risque d’être en situation de « conflit d’intérêts » entre l’autorité administrative hiérarchique et l’autorité judiciaire, le parquet en l’occurrence, il serait judicieux d’envisager une subordination exclusive des officiers de police judiciaire au procureur du Roi. L’autorité administrative constituant la hiérarchie au sein de la Sûreté Nationale ou la Gendarmerie Royale doit se voir limiter les prérogatives liées, même indirectement, à la direction de l’enquête. Les attributions de la hiérarchie doivent se limiter au fonctionnement administratif de l’institution. 
 

Pour ce qui est de la réduction des peines, la réforme introduit la possibilité d’une réduction automatique après avoir purgé le quart de la peine à raison de quatre jours par mois si le détenu répond aux critères de bonne conduite. Quel est votre avis là-dessus ?

A mon avis, la réduction de la peine privative de liberté, justifiée par la bonne conduite du détenu, serait un moyen efficient pour désencombrer les prisons. En effet, le détenu qui intègre dans son esprit qu’une bonne conduite de sa part lui permettra de réduire sa peine, sera pour lui une source de motivation pour s’améliorer en détention, sur le plan artisanal, académique, artistique, etc… ou encore éviter toute conduite malveillante susceptible de porter atteinte à l’intégrité des codétenus ou du personnel de l’établissement pénitentiaire. Cette mesure encourageante contribuerait à une réinsertion sociale à moyen et à long termes.
Recueillis par Anass MACHLOUKH

Affaires de deniers publics : Pas de réforme sans polémique
Il n’est pas une réforme qui ne fait pas des mécontents. Habitué aux critiques, même les plus virulentes, Abdellatif Ouahbi a suscité la colère en restreignant la possibilité de saisie de la Justice aux associations de défense des deniers publics.  En effet, l’article 3 dispose que seul le Procureur du Roi près la Cour de Cassation peut enclencher des poursuites judiciaires en cas d’infraction relative aux deniers publics sur la base d’un rapport de la Cour des Comptes ou de l’Inspection des Finances. Ainsi, la réforme estime que seuls les pouvoirs publics sont habilités en la matière, au grand dam des associations de la société civile, qui se voient exclues. En fait, les crimes concernés par cette restriction incluent uniquement les crimes à caractère financier comme la dilapidation des deniers publics, les malversations et la manipulation des marchés publics. Le Ministère public allègue la protection de la présomption d’innocence parce qu’il s’est avéré, selon le ministre Ouahbi, que des associations utilisent les plaintes comme un moyen de chantage contre les élus. Raison pour laquelle on juge qu’il vaut mieux passer obligatoirement par les instances constitutionnelles.  

Médiation pénale : Plus de flexibilité
La réforme introduit un nouveau mécanisme de médiation destiné à remédier aux carences révélées par la pratique. Pour baisser la charge sur les tribunaux, un mécanisme de réconciliation est mis en place. Le ministère de tutelle a élargi le champ des infractions pouvant en faire l’objet pour y inclure les délits punis d’amende inférieure à 100.000 dirhams. Lesquels s’ajoutent aux délits punis de deux ans de prison ou moins. Le champ est ouvert également à tous les délits où il y a possibilité de réconciliation, même au cas où la peine est supérieure aux niveaux susmentionnés. L’avocat est au centre de la procédure puisqu’il y représente son client, mais l’initiative émane du procureur, qui n’a plus besoin de l’aval du juge pour y procéder. “Le procureur du Roi représente un organe de poursuite et détient naturellement ce que l’on appelle l’opportunité des poursuites. Par conséquent, l’initiative d’une médiation pénale consistant à mettre fin à une situation conflictuelle caractérisant une ou des infractions, devrait être à l’initiative du Parquet”, juge Rabii Chekkouri, qui estime, toutefois, qu’il faudrait penser à rendre obligatoire l’assistance d’un avocat aux côtés des parties. “La médiation pénale serait un moyen efficace pour désengorger les juridictions, notamment concernant des délits dont le préjudice reste minime ou à caractère économique”, précise notre interlocuteur, qui cite, à titre d’exemple, les infractions pénales prévues par le Code de protection du consommateur ou encore par le Code de la propriété industrielle. 

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