Le gouvernement aborde la seconde phase de son mandat avec des dossiers épineux qui requièrent des arbitrages difficiles. Décryptages.
A deux ans de l’échéance de son mandat, le gouvernement se voit dans l’obligation de passer à la vitesse supérieure pour appliquer la totalité de son programme. Après une brève trêve estivale, le navire gouvernemental reprend le goût de la navigation. La rentrée, qui se déroule sous l’ombre d’un hypothétique remaniement ministériel, s’annonce laborieuse. Après avoir présidé le premier Conseil de gouvernement post-trêve, Aziz Akhannouch a fait le point sur l’état d’avancement de la reconstruction de la région d’Al-Haouz, dont il s’est dit satisfait.
Politiquement parlant, l’Exécutif a, dès la reprise, renoué avec les réformes majeures, telles que celle de la procédure pénale, que le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a finalement fait adopter en Conseil de gouvernement après des mois de suspense. La polémique ne s’est pas fait attendre. L’opposition a vite commencé à critiquer le texte jugé pas assez ferme sur la saisine de la Justice dans les affaires de corruption. Pour sa part, le ministre de tutelle se félicite d’une réforme porteuse de plus de garanties du procès équitable. En adoptant un texte d’une si grande ampleur à ce moment-ci, alors que la réforme de la procédure civile fait que la refonte du système judiciaire sera au centre du débat politique pendant cette année. Le débat dépasse la sphère politique pour s’étendre jusqu’à la société civile sur les questions sociétales, surtout qu’il s’agit de réformes touchant en profondeur les libertés publiques. La réforme de la Moudawana est également très attendue après avoir été soumise au Souverain qui a ensuite saisi les oulémas.
Le souci de l’emploi
Le gouvernement entame la seconde phase de son quinquennat les yeux rivés sur l’emploi dans un contexte de hausse du chômage. Raison pour laquelle le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a érigé l’emploi et l’investissement au sommet de ses priorités lorsqu’il s’est réuni avec ses ministres. Il va sans dire que le gouvernement se voit gêné par la situation actuelle, d’autant plus qu’il s’est engagé à créer un million d’emplois d’ici 2026. Aujourd’hui, on en est encore loin au moment où l’hémorragie de la perte d’emploi se poursuit. Environ 157.000 postes ont été perdus de 2022 à 2023, selon les estimations du Haut-Commissariat au Plan (HCP). En réalité, bien que l’emploi déclaré ait augmenté, la situation reste globalement inquiétante. Les indicateurs sont au rouge. Le HCP fait état d’un taux de 13,3%, un niveau qui risque de se creuser davantage avec les pertes d’emplois signalés, surtout en milieu rural à cause de la sécheresse, sans parler des NEET (sans emploi ni formation) qui se comptent par centaines de milliers. Ils sont près de 4,3 millions (âgés jusqu’à 35 ans) selon les chiffres du Conseil Economique, Social et Environnemental, dont le dernier rapport sur cette catégorie de jeunes n’avait guère réjoui Aziz Akhannouch. Lequel s’est plaint de l’incidence de la copie d’Ahmed Réda Chami en termes de propositions. Cela dit, au-delà des polémiques, les politiques d’insertion et la formation professionnelle n’ont jamais été si importantes.
En quête d’un sursaut du secteur privé
Face à l’insuffisance du programme Awrach, sur lequel on attendait des miracles, il faut plus que jamais une nouvelle dynamique. Pour enclencher cette nouvelle dynamique sur le marché de travail, le gouvernement parie sur l’investissement, mais ne peut compter uniquement sur la Charte qui commence à donner des résultats dont les effets concrets ne se feront sentir qu’à long terme. L’Exécutif place ses espoirs dans d’autres instruments, tels que la nouvelle génération des réformes du climat des Affaires. Soutien à l’entrepreneuriat, facilitation de l’acte d’investir, promotion de la compétitivité nationale, autant d’objectifs ciblés par la nouvelle stratégie.
Tout cela pour amener le privé à prendre l’initiative d’investir dans un pays où l’Etat reste le premier investisseur quoi qu’on dise. Nous sommes encore loin de l’idéal de 50% que le secteur privé est censé représenter dans l’investissement total d’ici 2027. Le temps presse ! Aussi, il y a l’épineux souci des PME qui ne parviennent pas à tenir le rythme faute de fonds de roulement. La succession des failles continue à une cadence inquiétante au point que le ministre de tutelle, Younes Sekkouri, est souvent interrogé sur cela au Parlement. Comment créer plus d’emplois alors que 90% des entreprises du pays sont en si grande détresse et que le secteur privé peine à bouger. Conscient d’un tel défi, le gouvernement parie sur la réforme du Code du travail pour flexibiliser davantage le recrutement pour les entreprises sans toucher pour autant à la stabilité de l’emploi. Les discussions devraient avancer lors du prochain round du dialogue social, prévu en ce mois de septembre. Un round qui s’annonce épineux eu égard aux nombreux dossiers à trancher (voir repères).
L’urgence hydrique
Au sommet de la hiérarchie des priorités figure incontestablement le stress hydrique qui a atteint une dangerosité sans précédent. Après avoir vécu l’une des saisons estivales les plus chaudes de notre Histoire, les réserves sont à un niveau critique au point que personne aujourd’hui ne doute que le réchauffement climatique et la pénurie sont devenus aujourd’hui des phénomènes structurels avec la succession des années de sécheresse. Nous sommes maintenant à 27,7% de taux de remplissage des barrages. L’enjeu est de préserver un approvisionnement durable. Ce à quoi a répondu le gouvernement jusqu’alors avec le succès des autoroutes de l’eau qui ont épargné à plusieurs villes le risque des coupures. Réalisées en un temps record, ces passerelles hydrauliques nous ont permis d’échapper au pire. Maintenant, l’enjeu est d’accélérer la cadence des chantiers prioritaires tels que les barrages, les stations de dessalement et l’interconnexion entre les bassins hydrauliques. Le gouvernement se voit ainsi devant une course contre la montre pour mettre à jour le plan national d’approvisionnement en eau potable pour l’adapter en permanence à la situation hydrique. L’Exécutif a une boussole claire avec une feuille de route clairement définie par le Souverain dans le discours du Trône. Pour sa part, Aziz Akhannouch n’a pas manqué de consacrer une partie importante de son allocution pendant le dernier Conseil de gouvernement à cette question. Il s’est engagé à actualiser continuellement les mécanismes de la politique nationale de l’eau et à accélérer les différents projets afférents.
Anass MACHLOUKH
Trois questions à Allal Amraoui : “Il faut encore plus d’efforts de communication”
A votre avis, qu’est-ce qui distingue cette rentrée politique des précédentes ?
Nous faisons face à une multitude de défis avec des enjeux de taille. Il y a un tas de réformes importantes auxquelles il faut s’atteler rapidement, dont les réformes à caractère judiciaire telles que la réforme du Code de procédure pénale. C’est un chantier important pour bâtir un système judiciaire équitable et conforme aux normes internationales avec plus de garanties de procès équitable. La situation hydrique actuelle requiert une attention particulière conformément aux Orientations royales. Pour aller de l’avant, il faut poursuivre ce qui a été réalisé durant ces deux dernières années sur le plan des infrastructures. Jusqu’à présent, le bilan est positif. En témoignent les succès des projets structurants tels que les autoroutes de l’eau qui ont permis de sauver plusieurs régions de la pénurie. On ne peut donc que saluer le travail du ministère de tutelle sur lequel il faut capitaliser.
Les questions du chômage et du pouvoir d’achat restent importantes. Comment voyez-vous la stratégie gouvernementale jusqu’à présent ?
Le chômage demeure l’un des problèmes principaux. Il est plus que jamais vital de dynamiser l’investissement privé pour stimuler la création d’emploi. Concernant le pouvoir d’achat, il y a eu des efforts louables. N’oublions pas que le gouvernement s’apprête à réduire la pression fiscale dans la prochaine loi des finances avec le réaménagement du barème de l’IR, ce qui va se traduire par une augmentation de revenus pour les ménages de la classe moyenne, des salariés du privé et des fonctionnaires.
Nous espérons que le prochain round du dialogue social soit aussi productif que les précédents afin de consolider davantage l’État social et accumuler les acquis sociaux. En parlant de social, il est aussi urgent de mettre en exécution effective les lois votées au parlement. C’est une nécessité pour permettre de réhabiliter le système hospitalier de façon à le rendre attractif en offre de soins largement élargie avec la généralisation de la couverture médicale universelle tel que voulue par SM le Roi.
Le gouvernement a franchi la deuxième phase de son mandat. Faut-il réinventer la communication gouvernementale, l’un des points faibles de l’Exécutif ?
Il va sans dire que c’est un constat qui s’impose. Le gouvernement travaille beaucoup mais communique peu. Il serait préférable de revoir la politique de communication. Cela incombe également aux partis de la majorité qui, à mon avis, sont appelés à s’impliquer davantage dans le débat public pour expliquer l’effet des politiques publiques du gouvernement sur le quotidien des citoyens. Cet effort communicatif n’incombe pas seulement et exclusivement aux membres du gouvernement. Les élus doivent aussi y participer. A cet égard, il faut redynamiser le débat public contradictoire sur les chaînes de télévision publiques. Cet exercice démocratique salutaire est important pour regagner l’intérêt du citoyen pour la chose politique.
Recueillis par Anass MACHLOUKH
Réforme des retraites : La confrontation inéluctable !
C’est l’une des réformes les plus pénibles auxquelles est confronté le gouvernement d’Aziz Akhannouch depuis son investiture puisqu’il est synonyme de choix difficiles. Menacées de faillite, les caisses sont dans un état critique. Selon un premier diagnostic mené par un cabinet de conseil, le régime de pensions civiles est le plus menacé puisque la Caisse Marocaine des Retraites souffre d’un déficit de 7,8 MMDH et risque ainsi d’épuiser ses réserves d’ici 2028. La CNSS dispose d’une durée de vie plus longue mais reste menacée de faillite dès 2038, en dépit de ses réserves estimées à 61 MMDH. La situation la plus confortable est celle du Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR), dont les 135 MMDH de réserves lui permettent de continuer à verser les pensions jusqu’en 2052. Le gouvernement se prépare à exposer son plan aux syndicats dès le prochain round du dialogue social avant de soumettre la réforme au Parlement dès la session d’octobre. L’Exécutif s’achemine vers un nouveau relèvement de l’âge légal de départ à la retraite avec un nouveau système unique à deux pôles – privé et public – et un régime complémentaire obligatoire. Les discussions risquent d’être difficiles sur le niveau des pensions et des cotisations.
Dialogue social : Vers un compromis sur le droit de grève ?
Depuis son arrivée aux commandes, le gouvernement essaye de trouver grâce aux yeux des syndicats dont il a besoin pour consolider l’Etat social. Raison pour laquelle Aziz Akhannouch s’est évertué à institutionnaliser le dialogue social, organisé en deux rendez-vous chaque année. Prévu en septembre, le prochain round est censé être celui des compromis. L’Exécutif ainsi que les partenaires sociaux devraient trancher une fois pour toutes l’épineuse question du droit de grève. Censés en principe parvenir à un accord avant juillet dernier, ils ont préféré différer les pourparlers jusqu’au mois de septembre. Une façon de prendre le temps nécessaire, quitte à déroger au calendrier initial, pour éliminer tous les points de désaccord. Si ce compromis tant espéré est trouvé lors du prochain rendez-vous social, ce sera la base sur laquelle sera amendé le projet de loi organique bloqué au Parlement depuis 2016. Rejeté catégoriquement par les centrales syndicales, ce texte devrait être transformé en profondeur. Le gouvernement, pour sa part, ne cesse de rassurer les partenaires sociaux en promettant un texte équilibré. Pour y parvenir, une trentaine de réunions formelles entre le ministre de tutelle, Younes Sekkouri, et les représentants de tous les partenaires sociaux ont eu lieu depuis janvier. Le jeune ministre, connu par sa politesse et son sens de la formule, essaye depuis longtemps de concilier les points entre un patronat qui veut restreindre l’exercice de la grève sous prétexte d’en finir avec les grèves arbitraires et les syndicats qui sont passionnément attachés à l’exercice plein et entier à la grève qu’ils considèrent comme un droit sacré.
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