Ce garçon est un cas à étudier, une curiosité zoologique. Il meurt en laissant devant lui des maitrises à méditer. Il quitte la vie en crachant sur les 70 ans prêtent à le rattraper. Seulement, il vit trois ans son âge à chacun de son éternuement. Cet ancien banquier aura tout essayé avec le calme qui ne lui ressemble pas. Le préalable de sa mise en scène, est troublant. Jovialement trotskiste, intraitable militant de gauche, politologue et analyste sarcastique, il crache sur la tambouille des pseudos de tous bords. Culturellement, le Safiot de naissance ne caresse que la qualité, soit-elle devenue élitiste, évoquant Al Aïta. Il est également ami d’artistes plasticiens et compagnon éloigné de cinéastes qu’il tutoie de par leurs nobles réalisations. Sportivement, il est le spécialiste non avoué du football et Rajaoui intraitable. Jamal Berraoui est tout cela à la foi. Journaliste quasi suspect de par son approche et ses révélations, il s’en réjouit et cogne à mains nues. Il est sollicité par plusieurs rédactions à qui il donne le ton de l’approche, des approches. « Détecté », par des hommes politiques de tous bords, il est fortement approché. Seulement, Jamal fait le ménage, gardant les figures de ses premières amours, politiques ou pas. Et avec ceux qu’il entretient des relations politiques, l’amitié est omniprésente. L’un de ses amis, secrétaire général du PPS et ancien ministre, Nabil Benabdallah nous le conte : « Jamal Berraoui est parti et c’est une lumière en moi qui s’éteint. Jamal était un homme singulier. Il respirait la bonté et faisait rayonner naturellement autour de lui sympathie, bonhomie et optimisme. Jamal était un humaniste de la première heure, clamant haut et fort les valeurs des lumières face à l’obscurantisme ambiant. Jamal était aussi un militant dans l’âme, actif sur tous les fronts dans la défense des idéaux de progrès et de démocratie. Jamal était enfin un journaliste de talent. Sa plume aiguisée mais toujours respectueuse, sa culture profonde et sa parfaite maîtrise de la langue nous ont valu quelques-unes parmi les plus belles analyses sur moults questions politiques d’ici et d’ailleurs. Nous étions amis et entretenions depuis de longues années un lien indissoluble se nourrissant de fidélité, de respect et de considération mutuels mais aussi de proximité intellectuelle et politique. Une rencontre par ci, un coup de fil par-là suffisaient à alimenter durablement cette amitié fidèle. J’aimais Jamal, je respectais son style de vie bohémien, j’admirais son détachement à l’égard du matériel, je connaissais son sens profond de la famille et son engagement permanent pour les autres, proches et moins proches. Pour cela et pour bien d’autres choses, je suis triste aujourd’hui mon ami, mon camarade et je te pleure. » Bel hommage d’un ami des journalistes, gérant un temps de la famille « Al Bayane ».
Des mots qui pèsent
hommages rendus à ce bohémien plus nature que vrai. Jamal Berraoui est cet être qui ne croit qu’en ce qu’il voit en s’écarquillant l’esprit, ayant la phrase qui berce et les mots qui pèsent. Jamal Hajjam, ancien directeur de L’Opinion, se rappelle d’un homme au cœur grand comme ça : « Il personnifiait le journalisme engagé et gauchiste authentique. Il comptait parmi les derniers journalistes professionnels marocains dignes de ce qualificatif et l’un des rares militants demeurés accrochés aux idéaux de la gauche classique à la dislocation de laquelle il assistait, désarmé, au point de se sentir terriblement seul. Simple, modeste, altruiste, Jamal Berraoui était un fervent défenseur des valeurs universelles, des droits humains et des valeurs démocratiques qui constituaient toujours la trame de fond de ses écrits. Et puis, Jamal Berraoui était très agréable à fréquenter. Toujours jovial et souriant. Son Humour était désarmant. » De Montréal où il vit depuis plusieurs années, le journaliste et éditorialiste Abdelghani Dades claque une forte bise à celui qu’il cotoie pendant quelques décennies, en s’étalant allégrement : « Sa drôle de dégaine et ses dehors gouailleurs faisaient certes de lui un personnage un peu rabelaisien. Mais ce n’était assurément là qu’une carapace cachant mal une âme sensible, un caractère droit, un être foncièrement honnête. Tel était Jamal Berraoui, le confrère et l’ami que la mort vient de soustraire à notre affection, telles étaient les qualités qui expliquent la marée d’émotions suscitée par sa disparition. Mais en cette pénible occurrence ce serait bien terrible injustice de n’évoquer que l’homme et d’oublier de dire le journaliste qu’il a été. D’abord en soulignant le courage dont il a fait preuve en abandonnant une situation promettant confort et tranquillité dans le secteur financier pour se lancer à corps perdu dans un métier – plutôt une profession… de foi – offrant assez peu de perspectives. Puis pour dire le talent inouï qui était le sien, la finesse de ses perceptions, la pertinence de ses analyses et l’impertinence qu’il savait mettre à les exprimer pour se mieux faire entendre, le tout admirablement servi par des mots toujours justes et une plume toujours parfaitement aiguisée et acérée.
Ensuite pour témoigner d’un fait rare dans notre histoire journalistique, sa constance dans les idées et les convictions que la diversité des rédactions au sein desquelles il a exercé son sacerdoce n’ont jamais pu altérer. Enfin, il faut bien le dire, Jamal Berraoui avait un don du ciel : il se trouvait toujours au bon moment, au bon endroit, là où s’infléchissait la pratique journalistique, là où se mettaient à bouger les plaques tectoniques de la liberté d’écrire et de penser. Et c’est ainsi que, sans jamais tomber dans l’outrance, il a fait bouger quelques lignes, méritant à jamais d’entrer, par la grande porte, dans l’histoire du journalisme marocain. Permettez-moi en terminant de dire combien je me sens privilégié d’avoir partagé l’un de ses moments avec lui. Ainsi, à la fin des années 90, Jean-Louis Servan-Schreiber en cédant la propriété à Aziz Akhennouch, la Vie Économique cessa d’être, au terme des lois en vigueur, une «publication étrangère éditée au Maroc» pour devenir un journal marocain. Ainsi dite, la chose paraît simple, mais la transition entre les deux états l’a beaucoup moins été. Dans une ambiance délétère, au gré de circonstances que ni lui ni moi ne maitrisions, Jamal et moi-même nous retrouvâmes à la manœuvre pour mener le navire à bon port, contre vents et fortes marées. Et le souvenir de ce moment me permet de dire sans aucun risque de me tromper que, à l’instar de son parent par alliance feu Khalid Jamaï, c’est un autre grand maître des mots et des idées que nous venons de perdre. » Dans la foulée des hommages que nous accueillons au lendemain de cette chagrinante disparition, celui d’Ahmed Messaia, essayiste et ancien directeur de l’ISADAC, qui y va avec une théâtralité dégagée : « Rares sont les hommes et les femmes qui suscitent tant de sympathie et de considération dès qu’ils quittent ce monde, laissant ainsi un vide sidéral qu’il serait difficile de combler. Tel est le cas du regretté Jamal Berraoui, cet homme à la pensée libre, ce militant culturel dont les analyses et les commentaires supportent mal les compromis, parce qu’honnête, entier et franc jusqu’à la rigidité. » Et puis part ce garçon aimé de tous, méconnu des autres et critiqué par une marrée d’alphabètes polyglottes. Jamal, Jamal !
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