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Projet de loi de procédure civile et la nécessité d’une critique constructive

Projet de loi de procédure civile et la nécessité d’une critique constructive
Dans le cadre de la liberté d’opinion et d’expression garantie à tous, ainsi que du dialogue intellectuel souhaitable, il est facile de continuer à critiquer le projet de loi de procédure civile. Cela est positif, car le débat juridique en général produit des opinions qui enrichissent et affinent la disposition légale en question. Cependant, la demande de retrait du projet de loi de procédure civile du Parlement, bien qu’il ait été adopté par les représentants de la nation à la Chambre des représentants, et l’opposition à son renvoi au Conseil de la concurrence pour un avis consultatif sur certaines de ses dispositions, exigent que tous assument la responsabilité scientifique de fournir des lectures sérieuses des dispositions constitutionnelles et légales en question, et de se conformer à ce que stipule la constitution, ainsi qu’aux instruments internationaux, qui définissent clairement plusieurs concepts liés à la justice et aux droits de l’homme en général, tels que l’égalité et la non-discrimination. Il est important de noter que contester le non-respect de ces concepts ne peut se faire en dehors de ce qui est prévu par la constitution, les décisions de la justice constitutionnelle et d’autres documents onusiens qui, pour beaucoup, ont un caractère contraignant en tant que cadre normatif international approuvé par la communauté internationale.
 
Il n’est pas caché que notre souci de suivre ce débat et d’y réagir avec sérieux et responsabilité n’est rien d’autre qu’une illustration de l’importance du dialogue intellectuel constructif et un renforcement du débat sociétal encadré par la constitution et la loi, dont le but principal est d’opposer des opinions et des arguments sur des bases scientifiques, afin d’atteindre un objectif supérieur : améliorer le texte législatif pour servir l’intérêt général et renforcer les droits des citoyens et des usagers sur un pied d’égalité, dans le cadre d’un État de droit.
 
Il est certain que les opinions exprimées à ce sujet, avec la diversité de leurs sources, la variété de leurs angles d’approche, la différence de leur valeur juridique et la hiérarchisation de leurs priorités, créent un champ fertile pour puiser des idées et partager des expériences et des pratiques exemplaires. Cependant, ce débat ne constitue en aucun cas une alternative aux compétences de la Cour constitutionnelle dans le contrôle de la conformité des lois à la constitution, ni ne prive cette cour de son droit d’exercer les compétences qui lui sont conférées par la constitution. Cette pratique est désormais partie intégrante du paysage législatif de notre pays, ce qui est une victoire pour les valeurs démocratiques, une garantie de protection des droits et des libertés, une défense de la constitution, et un renforcement de la primauté du droit. Ce débat est, en tout état de cause, en harmonie avec l’opinion de certains juristes, qui estiment que la Cour constitutionnelle ne doit pas se contenter de déclarer la vérité sur les significations de la constitution, mais qu’elle doit également faire du droit une « vérité vivante » à laquelle les institutions, les organismes, les citoyens et la société dans son ensemble se conforment et qui guide leurs pratiques sociales.
 
La persistance de certains préjugés récemment exprimés concernant la prétendue violation des principes des droits de l’homme par le projet de loi de procédure civile ne saurait en aucun cas contribuer à une lecture scientifique objective permettant d’exposer les différents points de vue, conformément au cadre normatif reconnu par le droit international des droits de l’homme. Ces jugements perdent ainsi toute valeur scientifique, car invoquer la violation de principes universellement reconnus n’est convaincant que lorsqu’on s’aligne sur les concepts établis dans ces documents ainsi que sur les diverses jurisprudences et doctrines, ce qui n’a pas été le cas dans plusieurs des écrits et opinions récents à ce sujet.
 
Certains sont même allés jusqu’à affirmer que le Maroc n’a pas besoin d’une nouvelle loi, soutenant que le Code de procédure civile de 1974, malgré le demi-siècle écoulé depuis sa promulgation, reste suffisant. Ils préfèrent maintenir le statu quo, se reposant sur l’adaptation des changements par l’interprétation et l’exégèse, et prônent une approche étroite où la fin justifie les moyens, plutôt que de s’en tenir à une structuration selon un texte législatif adopté démocratiquement dans le cadre d’un État de droit et de pouvoirs indépendants. Cette tentative d’imposer des interprétations particulières des droits constitutionnels ne peut servir de fondement à des projets législatifs avisés, car elles manquent de fondement solide, de justification convaincante et d’objectivité dans l’analyse, qui devrait prendre en compte les intérêts de tous les acteurs et parties prenantes du service public de la justice.
 
Qualifier le travail des instances qui ont supervisé la préparation du projet de loi de procédure civile, malgré leur diversité, de simple initiative législative d’un gouvernement confiant dans sa majorité parlementaire pour consacrer une « tyrannie législative », contredit les valeurs d’une société démocratique régie par la Constitution, où l’initiative législative est une vertu, et où l’exercice des compétences constitutionnelles par les institutions et les autorités constitue un succès pour la démocratie.
 
Le fait que l’exécutif élabore des projets de loi est une expression claire de sa vitalité, de sa responsabilité et de sa volonté de défendre ses convictions dans le cadre des prérogatives que lui accorde la Constitution. Ces initiatives échappent au contrôle de la Cour constitutionnelle, car elles relèvent du domaine de la politique législative dans lequel l’exécutif dispose d’une pleine liberté, étant un domaine politique.
 
Conscients de l’importance de poursuivre notre engagement dans le débat public autour du projet de loi de procédure civile, et soucieux d’éclairer l’opinion publique, nous avons jugé opportun de continuer, selon la même approche fondée sur le dialogue, à interagir avec les opinions exprimées à ce sujet. Nous entendons ainsi revisiter Certaines des orientations qu’elles ont adoptées, afin de les examiner sereinement à la lumière de la Constitution et des normes internationales des droits de l’homme. Il convient de noter que l’ensemble des textes critiqués dans les écrits et opinions exprimés dans ce contexte peuvent être réduits à dix articles sur un total de 644 articles du projet.
 
En conséquence, nous avons décidé d’aborder (premièrement) le concept du pouvoir discrétionnaire du législateur à la lumière des décisions du juge constitutionnel, ainsi que l’étendue de ce pouvoir, afin de clarifier certains concepts liés aux limites du pouvoir discrétionnaire du Parlement et de lever toute ambiguïté concernant le sens de l’inconstitutionnalité. Nous aborderons ensuite (deuxièmement) la notion de discrimination au regard de la Constitution et des normes internationales des droits de l’homme, afin de souligner les insuffisances dans l’utilisation de ce concept pour prétendre à l’inconstitutionnalité de certaines dispositions du projet de loi de procédure civile. Enfin, nous conclurons (troisièmement) en réagissant au débat concernant la constitutionnalité et la légalité de la demande d’avis du Conseil de la concurrence sur certaines dispositions liées à l’exercice des professions juridiques libérales.
 
Premièrement : Le pouvoir discrétionnaire du législateur à la lumière des décisions du juge constitutionnel (la pertinence).
 
Le concept de pouvoir discrétionnaire du Parlement repose, en droit public, sur deux fondements principaux. D’une part, il découle de la nature même de la fonction législative, qui exige une marge de manœuvre permettant de répondre aux diverses questions et situations nécessitant l’intervention législative. D’autre part, il est ancré dans la dynamique évolutive de la vie, qui impose l’adoption de règles juridiques pour accompagner les évolutions et répondre aux réalités concrètes, nécessitant l’intervention du législateur en tant que détenteur du pouvoir de légiférer, tout en respectant les droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution. Il est donc nécessaire de reconnaître au législateur une certaine latitude d’appréciation, communément appelée pouvoir discrétionnaire ou pertinence législative, conformément aux principes établis par la justice constitutionnelle.
 
Ce concept a conduit la doctrine à rejeter l’idée d’une interprétation du texte constitutionnel comme un document figé dans ses termes et son sens. Au lieu de cela, elle préconise une vision de la Constitution qui, tout en étant fondée sur des valeurs constantes, doit être appliquée de manière flexible aux circonstances toujours changeantes. Par exemple, le droit d’accès à la justice, en tant que valeur fondamentale, ne peut être envisagé de la même manière qu’il l’était en 1913, lors de l’adoption du premier Code de procédure civile, ou en 1974, lors de sa révision. Il est impératif de considérer cette disposition constitutionnelle en tenant compte de l’application actuelle des valeurs sous-jacentes au texte constitutionnel, dans un contexte très différent de celui des années 1913 ou 1974, qui n’était peut-être pas envisagé par le législateur constitutionnel lors de la rédaction de la Constitution. Qui aurait pu prévoir les effets de la révolution numérique dans tous les domaines, y compris le droit et la justice ?
 
Il est indéniable que la responsabilité de la cour constitutionnelle réside dans sa capacité à démontrer que la loi respecte les valeurs fondamentales énoncées dans la Constitution, même dans des circonstances changeantes, en s’appuyant sur les critères de valeurs et de proportionnalité. L’intelligence attendue du pouvoir exécutif, en tant qu’initiateur de la législation, réside dans sa capacité à concilier les valeurs constitutionnelles immuables avec les besoins législatifs évolutifs, dans le cadre de sa mission de gestion des affaires publiques. Le domaine de la pertinence législative reste un domaine propre et exclusif au pouvoir exécutif, ce qui contribue, d’une part, à garantir que la loi atteigne mieux les objectifs substantiels de la Constitution, et, d’autre part, à créer des législations démocratiques capables de fonctionner dans le respect total des droits et libertés, en assurant la primauté de l’État de droit.
 
La justice constitutionnelle a réaffirmé l’importance du pouvoir discrétionnaire du législateur dans plusieurs de ses décisions, notamment dans la décision n° 11/817 rendue par le Conseil constitutionnel le 13 octobre 2011, qui stipule : « Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de se substituer au législateur dans le choix des mesures législatives qu’il juge appropriées pour atteindre les objectifs fixés par la Constitution, tant que celles-ci ne contreviennent pas aux dispositions de cette dernière. »
 
Cette position a également été confirmée par la Cour constitutionnelle suprême égyptienne dans sa décision du 2 janvier 2011, dans l’affaire n° 5, où il est précisé : « Le principe est que le pouvoir du législateur en matière de réglementation des droits est un pouvoir discrétionnaire, sauf si la Constitution impose des restrictions spécifiques qui en limitent l’exercice… »
 
Le pouvoir discrétionnaire du législateur repose sur plusieurs principes fondamentaux, dont l’un est que le contrôle de la constitutionnalité des lois ne s’étend pas aux motifs sous-jacents à leur adoption. Ce principe a été solidement établi par la Cour suprême des États-Unis dès 1810, dans l’affaire *Fletcher v. Peck*, où la Cour a précisé à plusieurs reprises que, si une loi respecte toutes les conditions et formes légales, elle ne peut pas être jugée inconstitutionnelle sur la base d’accusations selon lesquelles elle aurait été adoptée pour des motifs inavoués influençant certains membres du corps législatif.
 
En effet, si une loi, en apparence et selon ses termes, ne contredit pas la Constitution et relève des compétences législatives autorisées, le juge constitutionnel ne peut, selon ce principe, enquêter sur les intentions légitimes ou non légitimes qui ont pu motiver le législateur à adopter cette loi.
 
De surcroît, l’évaluation de la nécessité et de l’opportunité d’une loi relève exclusivement de la compétence du pouvoir législatif, en tant qu’élément de la politique législative, un domaine dans lequel les cours constitutionnelles ne peuvent intervenir. Le juge Holmes a souligné ce principe dans l’affaire *Lochner v. New York* en 1905, en déclarant : « Une loi peut être appropriée ou non, mais cela ne nous concerne pas tant qu’elle est adoptée dans le respect de la Constitution. »
 
La Cour suprême des États-Unis a toujours pris l’apparence du texte législatif comme base pour évaluer sa constitutionnalité, estimant que si l’apparence de la loi relève des pouvoirs conférés par la Constitution au législateur, il n’est pas du ressort de la Cour d’en juger l’opportunité, comme l’a exprimé le juge Holmes.
 
La justice constitutionnelle a été catégorique dans de nombreuses décisions, qu’il serait trop long de citer ici, en accordant au législateur une large marge de manœuvre pour exercer son pouvoir discrétionnaire, afin qu’il puisse remplir son rôle fondamental dans l’élaboration des lois et l’adoption des mesures qu’il juge appropriées pour mettre en œuvre les droits inscrits dans la Constitution, organiser les domaines de sa compétence, et déterminer ses choix législatifs, choix sur lesquels le contrôle constitutionnel ne peut intervenir, sauf en cas de violation explicite de la Constitution, ou d’atteinte aux droits et libertés qu’elle garantit. Ceci, conformément aux dispositions constitutionnelles et légales qui régissent le contrôle de la conformité des lois à la Constitution, sachant que les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives et sans appel. Dans ce contexte, rappelons ce qu’a dit le juriste Robert Jackson à propos de la finalité des jugements de la Cour suprême : « La Cour n’est pas infaillible parce qu’elle ne se trompe jamais, mais elle ‘ne se trompe jamais’ parce qu’elle est infaillible, » et ses juges sont exempts d’erreurs dans la mesure où leur décision est définitive. »
 
L’importance de la garantie fondamentale pour les juges de la Cour constitutionnelle réside également dans le fait qu’ils ne sont pas nécessairement des politiciens, mais avant tout des experts en droit. Si leurs jugements étaient fondés sur une perspective politique, leurs points de vue pourraient être totalement erronés, étant donné que la politique est, par nature, sujette à des fluctuations.
 
Deuxièmement : Définir le concept de discrimination dans la Constitution et les normes internationales des droits de l’homme, et mettre en lumière les insuffisances dans l’utilisation de ce concept.
 
Les opinions exprimées concernant la violation du principe d’égalité et l’instauration d’une forme de discrimination dans le projet de loi de procédure civile, que ce soit entre citoyens en fonction de leur richesse, entre les citoyens et l’administration, ou entre différentes régions, révèlent une certaine confusion de la part des auteurs de ces opinions quant à la compréhension du concept de discrimination tel qu’il est défini dans la Constitution et le droit international des droits de l’homme.
 
Pour aborder le concept de discrimination et son lien avec la réalisation du principe d’égalité, il est essentiel de commencer par examiner, d’une part, les dispositions constitutionnelles qui le traitent, et d’autre part, de définir ce concept selon les normes internationales des droits de l’homme. Ensuite, il sera nécessaire de mettre en lumière les insuffisances dans l’utilisation de ce concept pour affirmer l’inconstitutionnalité de certaines dispositions du projet de loi.
 
1- Le concept de la discrimination selon la Constitution :
 
La Constitution du Royaume du Maroc met en avant, à travers plusieurs de ses dispositions, le principe d’égalité et l’interdiction de toutes formes de discrimination. Dans son préambule, elle affirme l’engagement du Royaume à interdire et à combattre toute forme de discrimination fondée sur le sexe, la couleur, la croyance, la culture, l’appartenance sociale, régionale, la langue, le handicap ou toute autre situation personnelle, quelle qu’elle soit.
 
En outre, le premier alinéa de l’article 6 stipule que « la loi est l’expression suprême de la volonté de la Nation. Tous, qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales, y compris les autorités publiques, sont égaux devant elle et tenus de s’y conformer ».
 
Pour réaffirmer la détermination du Royaume du Maroc à éradiquer toutes les formes de discrimination, le dernier alinéa de l’article 19 de la Constitution prévoit la création d’une Instance de parité et de lutte contre toutes formes de discrimination, dont les missions sont précisées à l’article 164. Cette instance veille au respect des droits et libertés énoncés dans cet article.
 
Si l’interdiction de toutes formes de discrimination est ce qui garantit la réalisation du principe d’égalité, considérant que ces deux éléments sont intrinsèquement liés, la question qui se pose est la suivante : quelles sont les formes de discrimination interdites par la Constitution ?
 
La jurisprudence constitutionnelle a affirmé à plusieurs reprises que le principe d’égalité ne contraint pas le législateur, sur la base de critères objectifs, à établir une distinction entre les situations qu’il encadre. À cet égard, la Cour constitutionnelle suprême égyptienne a déclaré, dans son arrêt rendu dans l’affaire n°36 de la dix-septième année judiciaire en date du 2 janvier 1999 :
 
« … Le principe de l’égalité des citoyens devant la loi n’est pas un principe rigide ou doctrinaire, incompatible avec les nécessités pratiques, ni une règle inflexible qui rejetterait toute forme de discrimination… ».
 
De même, la Cour d’arbitrage belge avait précédemment validé cette approche dans sa décision n°1366/1992, où il est stipulé :
 
« … Les règles constitutionnelles relatives à l’égalité des Belges et à la non-discrimination entre eux n’excluent pas la possibilité d’établir un traitement différencié pour certaines catégories de justiciables… ».
 
À la lumière de ce qui précède, il ressort clairement que la notion de discrimination, telle qu’énoncée dans la Constitution, ne peut restreindre le pouvoir discrétionnaire du législateur lorsqu’il s’agit d’adopter des choix législatifs répondant aux besoins pratiques. Ces choix peuvent nécessiter l’élaboration de règles juridiques adaptées aux évolutions et aux réalités concrètes, pouvant entraîner un traitement différencié pour certaines catégories de justiciables.
 
2- Le concept de discrimination selon les normes internationales des droits de l’homme :
 
Il est bien établi que tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme s’accordent sur le principe d’égalité et l’interdiction de toute forme de discrimination. Cependant, les critiques formulées dans le cadre du débat public sur le projet de loi de procédure civile, accusant ce projet de contenir des dispositions discriminatoires, ne sont pas en phase avec les normes internationales des droits de l’homme qui définissent le concept de discrimination tel qu’il est énoncé dans la Constitution. En se référant aux explications fournies par divers mécanismes onusiens des droits de l’homme, chargés d’interpréter les articles des conventions internationales pertinentes, on constate une confusion manifeste. À cet égard, on peut citer, à titre d’exemple, l’Observation générale n° 20 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, adoptée en mai 2009, qui précise que la discrimination consiste en toute distinction, exclusion, restriction ou préférence, ou en tout autre traitement différentiel, basé directement ou indirectement sur des motifs de discrimination interdits, dans le but ou avec l’effet de compromettre ou de réduire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits sur un pied d’égalité. La discrimination inclut également l’incitation à la discrimination et le harcèlement.
 
L’Observation générale mentionnée, ainsi que de nombreuses autres sur le sujet, montrent que la discrimination repose sur une différenciation fondée sur des motifs interdits, tels que ceux mentionnés dans la Constitution du Royaume, comme la couleur, le sexe, la croyance, la culture, l’appartenance sociale ou régionale, la langue, le handicap ou toute autre situation personnelle. Ces motifs empêchent une personne de jouir de ses droits en toutes circonstances. Ces formes de discrimination, dont le cœur réside dans l’atteinte à la dignité humaine, créent des distinctions entre les membres de la famille humaine et entravent l’exercice du droit de recours, tant pour le plaignant que pour le défendeur.
 
3- Les insuffisances dans l’application du concept de discrimination :
 
Après avoir présenté brièvement le concept de discrimination tel qu’il est défini dans la Constitution et les normes internationales des droits de l’homme, il apparaît clairement qu’il ne correspond pas à la discrimination évoquée dans certaines opinions. Dès lors, il convient de se demander où se situe la discrimination dans les dispositions régissant l’exercice du droit d’appel, par exemple, et sur quelle base cette discrimination est-elle fondée dans l’exercice de ce droit ?
 
Le concept de discrimination interdite, tel que nous l’avons expliqué, fait référence à une jouissance des droits basée sur une discrimination négative, visant essentiellement à instaurer une inégalité de traitement envers certaines composantes de la société, telles que la couleur, le sexe, la religion ou l’origine nationale. Or, ce concept n’apparaît pas dans les dispositions du projet de loi de procédure civile, qui ne prévoit aucune discrimination de ce type. En effet, le plaignant peut devenir le défendeur dans le même type d’affaire ; où se situe alors la discrimination interdite par la Constitution ?
 
Pour dissiper toute confusion et rectifier l’utilisation inappropriée des concepts, il est important de rappeler que les législations nationales et comparées établissent souvent une distinction entre les situations qu’elles régissent, sur la base de critères objectifs, sans pour autant violer les principes constitutionnels ou les normes internationales des droits de l’homme. À cet égard, on peut citer, à titre d’exemple, la loi organique relative aux partis politiques, qui stipule dans son article 4 la nullité de la création d’un parti politique fondé sur une base religieuse, linguistique, raciale, régionale ou, de manière générale, sur toute base discriminatoire ou contraire aux droits de l’homme. En application du principe d’égalité, cette loi accorde, dans son article 19, à tous les citoyens âgés de 18 ans révolus, le droit de s’affilier librement à tout parti politique légalement constitué. Toutefois, l’article 23 de cette loi exclut certaines catégories du droit de créer ou de rejoindre un parti politique.
En application de l’article 132 de la Constitution, dont le deuxième alinéa stipule que «… les lois organiques sont soumises à la Cour constitutionnelle avant leur promulgation, ainsi que les règlements intérieurs de la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers avant leur mise en application, afin qu’elle se prononce sur leur conformité à la Constitution…», la loi organique mentionnée a été soumise au Conseil constitutionnel (actuellement la Cour constitutionnelle). Dans sa décision n° 11/818 du 20 octobre 2011, relative au dossier n° 11/1172, il n’a pas été déclaré que les dispositions en question étaient contraires à la Constitution, confirmant ainsi l’alignement de l’approche de la justice constitutionnelle marocaine sur les normes internationales en matière de droits de l’homme pour définir le concept de discrimination interdite par la Constitution.
 
Par ailleurs, la Constitution elle-même prévoit, dans plusieurs de ses articles, la possibilité de prendre des mesures spécifiques en faveur de certaines tranches d’âge ou de catégories sociales. Par exemple, l’article 17, relatif à la participation des Marocains résidant à l’étranger aux élections, stipule que «… la loi détermine les critères spécifiques d’éligibilité aux élections et les cas d’incompatibilité, ainsi que les conditions et modalités de l’exercice effectif du droit de vote et du droit de se porter candidat à partir des pays de résidence…». De même, l’article 33 prévoit que les autorités publiques doivent prendre des mesures spéciales en faveur des jeunes, tandis que l’article 34 précise que «les autorités publiques mettent en place et appliquent des politiques destinées aux personnes et aux groupes ayant des besoins spécifiques…».
 
Lorsque la Cour constitutionnelle est saisie conformément aux dispositions de l’article 132 précité, elle a la faculté de se prononcer sur les questions relatives à la discrimination ou sur d’autres dispositions pouvant soulever des doutes quant à leur conformité à la Constitution, même si celles-ci n’ont pas été explicitement contestées ou mentionnées dans le recours. Cette compétence n’est limitée ni par la Constitution, ni par la loi organique régissant la Cour constitutionnelle, ni par le règlement intérieur, surtout lorsqu’il s’agit de textes connexes formant un ensemble cohérent.
 
En revanche, en vertu de l’article 133 de la Constitution, qui accorde aux justiciables ou à leurs avocats la possibilité d’introduire un recours, la Cour constitutionnelle est compétente pour examiner tout moyen soulevé par l’une des parties dans le cadre d’un litige judiciaire. Toutefois, ce contrôle se limite à l’examen des dispositions légales contestées au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, sans s’étendre aux autres articles qui n’ont pas fait l’objet d’un recours.
 
Finalement : Le débat juridique concernant la constitutionnalité et la légalité de la demande d’avis du Conseil de la concurrence sur les professions juridiques libérales.
 
Il est quelque peu étonnant que la démarche consistant à soumettre le projet de loi sur le Code de procédure civile à une institution constitutionnelle pour avis puisse susciter des objections, fondées sur des perspectives personnelles ou professionnelles. Ces objections semblent s’éloigner de l’esprit et de la philosophie de la Constitution, qui vise à encourager les pratiques constitutionnelles susceptibles de renforcer les valeurs de bonne gouvernance, d’équité, et de consolider le rôle des institutions dans l’exercice de leurs attributions constitutionnelles.
 
Le refus de la saisine du Conseil de la concurrence au motif qu’il ne serait pas compétent pour fournir des avis sur les professions juridiques libérales, telles que la profession d’avocat, et que son champ de compétence se limiterait aux questions de concentration économique et de liberté des prix, paraît en contradiction avec les dispositions de l’article 2 de la loi n° 13-20 relative au Conseil de la concurrence. Cet article attribue clairement au Conseil des compétences consultatives importantes, en plus de son pouvoir décisionnel en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et de contrôle des opérations de concentration économique, telles que définies dans la loi relative à la liberté des prix et à la concurrence. En effet, le deuxième alinéa de cet article stipule que le Conseil est chargé de donner son avis sur les demandes de consultation, comme prévu par la loi, ainsi que de réaliser des études sur le climat général de la concurrence, que ce soit au niveau sectoriel ou national.
 
Le Conseil de la concurrence a confirmé cette compétence de manière explicite dans plusieurs de ses décisions et avis, notamment dans son avis n° R/3/2019 du 26 décembre 2019, relatif au projet de décret n° 2.17.481 fixant le montant des honoraires des notaires et leur mode de perception. Il y est précisé que «… la profession de notaire est soumise à la logique du marché dans le cadre d’une concurrence libre et loyale, conformément à l’article premier de la loi n° 32.09 relative à l’organisation de la profession de notaire, qui stipule que « le notariat est une profession libérale exercée dans les conditions et selon les compétences prévues par la présente loi… »». Le Conseil souligne également que «…la profession de notaire est soumise à la logique du marché, tout comme les autres activités économiques, y compris les professions libérales réglementées telles que les avocats, les médecins et les ingénieurs…».
 
Par ailleurs, l’article 5 de la même loi dispose que le Conseil donne son avis, à la demande du gouvernement, sur toute question relative à la concurrence. Il est important de noter que cet article ne restreint pas la compétence du Conseil de la concurrence à un type spécifique de concurrence. Ainsi, soutenir que le Conseil n’est pas compétent pour émettre un avis sur les professions juridiques libérales pourrait être perçu comme une limitation non justifiée sur le plan juridique, en plus de contredire l’objectif pour lequel cette institution constitutionnelle a été créée, à savoir la régulation de la concurrence libre, la garantie de la transparence, et la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. Cette position semble également diverger de la pratique établie du Conseil de la concurrence lui-même. De plus, il serait pertinent de se demander si la profession d’avocat et d’autres professions juridiques libérales peuvent véritablement être considérées comme exemptes de toute forme de concurrence.
 
En outre, l’article 7 de la même loi précise que le Conseil doit obligatoirement être consulté par le gouvernement sur les projets de textes législatifs ou réglementaires concernant la création d’un nouveau régime ou la modification d’un régime existant visant directement à imposer des restrictions quantitatives à l’exercice d’une profession ou à l’accès à un marché, ou à établir des monopoles ou d’autres droits exclusifs ou spéciaux sur le territoire marocain.
 
Il apparaît donc clairement que les professions juridiques libérales, y compris la profession d’avocat, sont soumises, dans l’exercice de leurs activités, à la logique de la concurrence libre et loyale, qui s’oppose à tout monopole ou exclusivité. Par conséquent, il semble tout à fait justifié, comme nous l’avons expliqué précédemment, que le Conseil de la concurrence soit habilité à donner son avis consultatif sur certaines dispositions légales encadrant l’exercice de ces professions, conformément aux procédures légales en vigueur.
 
En conclusion, l’initiative de saisir le Conseil de la concurrence, de la part de toute entité légalement compétente, mérite d’être saluée comme une pratique constitutionnelle constructive, plutôt que d’être critiquée. Renforcer le rôle des institutions constitutionnelles ne peut qu’être bénéfique pour la nation, les citoyens et l’ensemble des usagers. Cela s’applique également à l’importance de renforcer le rôle de la Cour constitutionnelle dans le contrôle des lois ordinaires, afin de garantir un contrôle constitutionnel rigoureux sur les lois qui suscitent un débat sociétal.