À la faveur des multiples reconnaissances de la marocanité du Sahara, plusieurs rapports augurent la fin imminente du conflit. Conclusion précoce ou constat réaliste ? Décryptage.
L’Institut américain pour la paix a estimé que le conflit touche à sa fin à la faveur du soutien international à la cause marocaine. Le directeur de l’Afrique au sein dudit think-tank, Thomas Hill, auteur du fameux rapport abondamment repris par la presse marocaine, a élaboré une théorie aussi claire que discutable : la reconnaissance américaine a enclenché une véritable dynamique de soutien aux revendications du Royaume et s’est soldée par une vague de décisions pro-marocaines dont celle de la France qui, aux yeux de l’expert, est décisive. Par conséquent, la légitimité de la revendication du Maroc sur son territoire historique est désormais incontestable. Face à cette réalité implacable, le Polisario et son parrain algérien n’ont nul autre choix que de négocier une solution dans le cadre de la souveraineté marocaine avant qu’il ne soit trop tard et pour ne pas sacrifier toute une génération de pauvres gens qui moisissent dans les camps de Tindouf pour une chimère irréalisable. Voilà en gros la thèse de Thomas Hill.
Une analyse tout aussi tranchée nous est parvenue, le 22 août, de l’Organisation pour la paix mondiale (OWP), basée au Canada, qui a fait état d’un consensus international en faveur de la marocanité du Sahara, ce qui signifie que toute négociation future ne peut avoir pour base que le plan d’autonomie. Ainsi, le Polisario passe à la trappe aux yeux de l’Institut sud-africain pour les études de sécurité, qui a reconnu que la thèse séparatiste est en train de s’amenuiser.
Le point commun entre ces analyses est le caractère décisif de la position française. Certes, la France a fait un pas majeur en avant en reconnaissant qu’il n’y a pas d’avenir imaginable pour le Sahara en dehors de la souveraineté marocaine. Or, la question est de savoir si la nouvelle décision de Paris est susceptible de déclencher un effet domino au point de persuader d’autres pays de lui emboîter le pas. Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), pense qu’il ne faut pas sur-interpréter la position française, si importante soit-elle. “Il ne faut pas s’attendre à une réaction en chaîne dès maintenant, ce genre de phénomène prend du temps, la position française est destinée par-dessus tout à désamorcer la crise avec le Maroc”, insiste-t-il, soulignant que la vague de soutien international à la cause marocaine est de nature à orienter les négociations, au cas où elles auraient lieu un jour, vers une base favorable aux revendications du Royaume. “Il est donc trop tôt de parler de trancher que la bataille est déjà gagnée”, tranche M. Dupuy, qui juge que l’étape suivante est de consolider la position française par une mesure concrète. “La meilleure façon de donner forme à cette décision est d’ouvrir un Consulat à Dakhla”, préconise le président de l’IPSE.
En témoigne le dernier appel entre Nasser Bourita et son homologue britannique, David Lammy. Aussi, au Parlement britannique, le Maroc a de plus en plus d’alliés qui plaident pour le soutien au plan d’autonomie et Dieu sait à quel point le cœur du pouvoir britannique bat à Westminster. Le départ proche de l’actuel ambassadeur britannique à Rabat, Simon Martin, qui déconseillait une décision pro-marocaine, pourrait faciliter les choses. Pour Emmanuel Dupuy, « la Grande-Bretagne est susceptible de prendre une décision en faveur du Maroc ». “Quand elle l’aura fait, elle ira plus rapidement en ouvrant un Consulat au Sahara sans hésitation”, assure-t-il.
Pour l’instant, la position française ne va pas spontanément susciter les changements de positions d’autres pays, néanmoins, ça peut exercer une sorte de pression positive sur la Grande-Bretagne. Le changement de paradigme de la France est censé ouvrir une nouvelle phase de négociation telle que prévue dans les Résolutions onusiennes. Cela dit, les reconnaissances de la souveraineté du Maroc ne signifient pas systématiquement la fin du conflit mais l’ouverture de négociations sur une base inexorablement favorable aux revendications du Royaume. Donc, il ne s’agit pas de savoir si la bataille est gagnée par le Maroc, mais de ressusciter le processus politique en tenant compte de la nouvelle réalité qu’est le soutien international incontestable à la marocanité du Sahara. L’objectif est de parvenir à une solution négociée. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs.
La nouvelle donne pourrait-elle faire bouger le processus politique au niveau des Nations Unies ?
Il va sans dire que ni la France ni les autres pays n’ont la capacité de forcer les protagonistes, y compris l’Algérie, à s’asseoir sur la table de négociations. Il faut garder en tête que le pas en avant qu’a fait Emmanuel Macron est destiné avant tout à se réconcilier avec le Maroc. Le cœur du conflit se trouve toujours au Conseil de Sécurité des Nations Unies dont les Résolutions saluent les efforts du Maroc et le plan d’autonomie tout en insistant sur la reprise des tables rondes.
On parle depuis longtemps d’une éventuelle évolution de la position britannique. A votre avis, est-ce possible à court terme ?
Sans parler du timing qui reste difficile à prévoir, je pense que le Royaume-Uni pourrait être le prochain sur la liste puisque le nouveau gouvernement laisse entendre que Londres pourrait sortir de sa neutralité. Il est probable que les Britanniques adoptent une position similaire à celle des Américains. Je pense très sincèrement que ce scénario est fort réaliste et que le Royaume-Uni ne tardera pas à ouvrir un Consulat sitôt qu’il aura pris sa décision en faveur de la souveraineté marocaine.
Pour leur part, nos “frères arabes” ne sont pas tous à notre côté. A part les pays du Golfe et la Jordanie, le reste du Monde arabe est soit indifférent, soit neutre. Force est de constater que l’Irak, la Syrie, l’Egypte, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie adoptent une position, le moins que l’on puisse dire, inamicale. Du côté du monde émergent, les BRICS, sauf l’Afrique du Sud, observent une neutralité positive. Le Brésil comme l’Inde sont plus proches du Maroc que de l’Algérie, ce qui en fait des pays potentiellement favorables.
Toutefois, un tel objectif se heurte, d’abord, à l’obstination algérienne et, encore plus, à la radicalisation du Polisario qui se vante toujours de son retrait de l’accord du cessez-le-feu de 1991 et ne s’embarrasse pas de faire obstruction à la libre circulation des casques bleus dans la zone tampon. Face au marasme actuel, la reprise des négociations, telle qu’imaginée par l’instance onusienne, se heurte à l’intransigeance du front séparatiste qui, rappelons-le, n’est pas maître de son destin du moment que sa conduite est dictée par Alger. Raison pour laquelle seule la bataille de l’opinion compte désormais pour trancher un conflit qui n’a que trop duré. Le Maroc l’a bien compris.