Dans les faubourgs de la Cité des Corsaires, un chapiteau géant se dresse, refuge temporaire pour une centaine d’artisans. Ces maîtres du feu et de la terre, partis de leur antre séculaire de l’Oulja, y ont trouvé asile.
L’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg, dans sa quête d’un avenir radieux, a jeté bas ces murs chargés d’Histoire. Mais ne nous y trompons pas : ce n’est qu’une parenthèse, une chrysalide d’où émergera, dans dix-huit lunes, un écrin digne de ces artistes de l’utile et du beau. Vingt et un millions de dirhams : c’est le prix de cette métamorphose, de ce rêve d’un complexe en harmonie avec les ambitions urbanistiques du royaume.
Sous la toile tendue comme un ciel d’espoir, les artisans s’activent, leurs mains habiles perpétuant des gestes ancestraux. Leur cœur balance entre gratitude pour ce havre provisoire et l’anxiété du lendemain. Leurs voix s’élèvent, appelant à cor et à cri une campagne pour guider vers eux leur clientèle égarée.
Ce déménagement forcé n’est pas sans rappeler le destin du fleuve lui-même, Bouregreg l’indomptable, aujourd’hui dompté, canalisé, mis au pas de la modernité. Comme lui, les artisans devront s’adapter, se réinventer, sans pour autant perdre leur âme.
Car c’est bien là tout l’enjeu : comment concilier l’héritage des siècles et les promesses de l’avenir ? Comment préserver l’âme de Salé tout en lui offrant un nouveau visage ? Le temps dira si ce pari audacieux est gagné, si la tradition saura trouver sa place dans le Maroc de demain.