L’entrepreneur Eddie Wang se souvient des coquilles du mollusque bivalve qui jonchaient les rues de sa localité d’origine du comté de Yunlin (ouest) et que les habitants employaient pour isoler leur logement.
« Ils brûlaient les coquilles et appliquaient les résidus sur les murs. Les maisons devenaient ensuite chaudes pendant l’hiver et fraîches durant l’été », relate pour l’AFP le Taïwanais de 42 ans dans son usine de Tainan, dans le sud-ouest de l’île.
« J’étais donc curieux quant aux raisons pour lesquelles les coquilles d’huîtres avaient un tel effet miraculeux. »
Son entreprise Creative Tech Textile, créée en 2010, a produit un « tissu écoresponsable », du polyester obtenu à partir de bouteilles en plastique recyclées, mais M. Wang le trouvait « ordinaire ».
Il a ainsi collaboré avec un institut de recherche pour expérimenter la fabrication de tissu à partir de résidus de coquilles d’huîtres, son souvenir d’enfance en tête. Les recherches ont abouti en 2017 avec la découverte d’un procédé permettant de fabriquer un matériau semblable à la laine.
Aujourd’hui, son usine taïwanaise emploie quelque 100 tonnes par an de ces enveloppes protectrices pour produire environ 900 tonnes de « Seawool » (en français, « laine de mer »), un tissu breveté et dont la marque a été déposée.
Ce tissu et les vêtements qui en découlent rapportent quelque 220 millions de nouveaux dollars de Taïwan (6,2 millions d’euros) par an. La majeure partie est achetée par des marques d’habits durables et pour l’extérieur en Europe et aux Etats-Unis.
La fabrication de cette laine à Taïwan ne serait pas possible sans l’ostréiculture unique de l’île autonome, estime M. Wang.
« On ne trouve pas cette chaîne industrielle ailleurs dans le monde », assure l’entrepreneur.
« Nous avons des gens pour récolter les huîtres, nous avons des spécialistes pour nettoyer les coquilles d’huîtres et nous avons des gens pour sécher et calciner (traiter) les coquilles », observe-t-il.
L’île de Taïwan connaît un fort appétit pour le mollusque, qu’elle récolte à hauteur de quelque 200.000 tonnes chaque année et déguste localement, entre omelettes croustillantes d’huîtres et plats de nouilles.
Sa popularité signifie aussi qu’environ 160.000 tonnes de coquilles du bivalve sont jetées annuellement, selon le ministère de l’Agriculture.
Elles s’entassent dans les rues des localités ostréicoles, principalement dans les comtés de Yunlin, Changhua et Chiayi de l’ouest de Taïwan, et dégagent aux alentours comme des relents de poisson, fournissant aux moustiques des lieux de reproduction.
Dans l’usine de M. Wang, les coquilles sont réduites sous la forme de minuscules billes, mêlées ensuite à du fil issu de bouteilles en plastique recyclées.
« Cela crée une laine magique », explique-t-il. « La coquille d’huître est un matériau avec une faible conductivité thermique – elle n’absorbe ni ne dissipe la chaleur. »
A une demi-heure du magasin où l’entrepreneur expose ses vestes de sport et survêtements, l’entreprise d’Etat Taiwan Sugar Corporation (TSC) dispose aussi d’une usine qui réduit les coquilles en poudre, utilisée pour fabriquer des produits de la maison, comme des bâtonnets d’encens.
Les enveloppes calcaires moulues permettent d’atténuer la fumée et la toxicité liées à la combustion de l’encens, explique Chen Wei-jen, responsable adjoint de la division chargée de la biotechnologie chez TSC.
« Nous espérons que les coquilles d’huîtres puissent avoir des applications industrielles, et que des entreprises intéressées puissent les utiliser comme matériau brut pour rendre leurs produits plus écoresponsables » et leur conférer une valeur ajoutée, déclare Chen Wei-jen.
Pour pouvoir être consommés puis voir leurs coquilles utilisées par l’industrie, les bivalves du comté ostréicole de Chiayi sont d’abord récupérés à l’aube dans des casiers installés le long de la côte.
Ils y sont triés avant d’être envoyés dans des usines comme celle de l’entrepreneur Dai Sen-tai. Des machines les y nettoient. Ils sont ensuite acheminés vers de petites entreprises familiales qui les écaillent puis envoient les coquilles vides plus au sud.
M. Dai incarne la troisième génération d’ostréiculteurs de sa famille. Il se dit heureux que Taïwan redonne vie à ces déchets marins.
« Quand j’étais enfant, personne ne voulait de coquilles d’huîtres. Elles étaient jetées et abandonnées partout », raconte-t-il à l’AFP.
« C’est une bonne chose que ces déchets soient désormais transformés en or. »