Mais ce joyau du patrimoine maroco-lusitanien qui attire les touristes plus que tout autre patrimoine local est fermé depuis février 2021.
Il y a quatre ans déjà, le public fut informé, par un communiqué de la Conservation du patrimoine des villes d’El Jadida et d’Azemmour, que la citerne avait été fermée dans le cadre de la préparation d’un projet de restauration après que des effritements de la toiture étaient constatés. La suppression à son accès était aussi la conséquence de problèmes d’infiltration des eaux pluviales à l’intérieur du bâtiment à travers le toit, ce qui constituait et constitue toujours une menace pour la sécurité des visiteurs. Pour Jilali Dérif, secrétaire général de l’association « Doukkala Mémoire pour la préservation du patrimoine », les premières infiltrations des eaux de pluie avaient été déjà constatées vers 2015-2016 à travers le toit limitrophe de la galerie Chaïbia Talal.
La raison de la fermeture était donc justifiée par les détériorations qui avaient été observées. Ainsi les travaux de restauration prévus par le département de tutelle se veulent un moyen de renforcer la sécurité des bâtiments. Un article de presse publié sur le site le360 du 12 juillet 2023 rapporte que le projet de restauration date de 2019 quand des études techniques ont été menées au niveau de la citerne. Les conclusions, rendues en 2020, montrèrent la nécessité d’une restauration, certaines parties de cet édifice ayant commencé à s’effriter.
En juillet 2022, les premières procédures administratives pour la restauration de la citerne ont été lancées. Des experts portugais, écrit-on, ont été mis à contribution, afin que le cachet historique de cet édifice soit respecté et conservé.
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Mais à ce jour la nature des travaux à entreprendre n’est pas explicitement connue. Un ami ingénieur à qui j’ai demandé son avis constate que le toit de la citerne est plat et grand et comporte quelques herbes épineuses. La structure porteuse de la bâtisse nécessite un examen approfondi car le constat à l’œil nu n’est pas suffisant pour déterminer sa solidité.
En effet, le toit repose sur des supports à l’intérieur de la citerne. À la longue, les infiltrations d’eau peuvent détériorer les appuis. La liaison du toit avec les parois est aussi un possible souci. Tout comme la présence de désordres au niveau des fondations sous forme d’un tassement différentiel entre les piliers. Fouzia Kassou, maître de conférences à l’Ecole Hassania des Travaux Publics à Casablanca, définit le tassement différentiel comme l’écart vertical qui s’accroît entre les fondations des piliers qui soutiennent la terrasse. Avoir un différentiel entre les piliers signifie que certains piliers s’enfoncent plus profondément que d’autres dans le sol.
Une autre idée qui reste à vérifier est que les fondations de la citerne s’appuient sur une dalle gréseuse avec un ciment calcaire. En présence d’infiltrations, ce dernier perd sa résistance à long terme. Une étude des sols sous la citerne est nécessaire pour s’assurer de sa capacité portante.
Les infiltrations d’eau peuvent aussi être souterraines. Le livre de Najib Cherfaoui « Vagues dans l’Océan. Un nouveau regard sur les digues portuaires », paru en juin 2002, souligne qu’au milieu du XVIe siècle, le port d’El Jadida devait abriter la première machine à marée marocaine. Le bastion était entouré d’un fossé de défense suffisamment profond, alimenté par l’eau de mer au moyen d’un canal (qui débouche exactement au droit de la citerne portugaise). Contacté par mes soins, Najib Cherfaoui, ingénieur spécialiste des ports, m’a fait savoir (courriel du 16 août 2024) que « aujourd’hui, ce canal est situé exactement en dessous de la rue Hachmi Bahbah. Au cours du temps, sous l’action des marées, un réseau fractal de galeries et de cavités s’est développé dans le remblai couvrant le canal : c’est le point faible par où passent les infiltrations favorisées par les fractures créées lors de la tentative de la destruction de la cité au moyen d’explosifs par les Portugais au moment d’abandonner la place. C’est en ce point précis que réside les désordres en soubassement ainsi que la menace périlleuse pour les piliers de la citerne portugaise ».
L’interrogation donc qui demeure posée est : pourquoi le projet de sauvegarde s’éternise-t-il sans aucune information à son sujet ? Il faut savoir, que cette fermeture perdurant, elle pénalise le secteur touristique et tout particulièrement la situation matérielle des commerçants qui vivent de leurs petites transactions avec les visiteurs nationaux et étrangers.
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N’ayant aucune compétence technique, j’ai demandé à certaines de mes connaissances de nous éclairer par leurs points de vue sur la restauration attendue. Voici quelques réponses riches d’idées et de propositions émanant de deux architectes, d’une ingénieure et d’un historien :
Arnaud de La Poterie, architecte DPLG (d’une famille ancienne de Mazagan) : « S’agissant d’un bâtiment du XVIe siècle, gothique tardif portugais et d’un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, il y a certainement de bonnes raisons qui retardent la restauration du bâti (technique, finances, demandes de subventions). Restauration équivaut à reprendre les techniques anciennes de construction et refaire strictement à l’identique. Si techniquement il n’y a probablement pas de grandes difficultés (technique de construction connue), il faut des entreprises habilitées à travailler sur ce type de patrimoine, avec un savoir-faire reconnu et un coût très élevé. Après, il s’agit d’un site urbain ayant certainement ses problématiques propres : accès chantier, approvisionnement, bâtiments proches et surtout d’un site recevant du public, donc une vraie exigence de sécurité … Mais nul doute que des services compétents marocains planchent activement sur le sujet ».
Laurent Vidal, auteur du livre (Mazagào, la ville qui traversa l’Atlantique) : «S’il est « facile » de décider d’une fermeture pour raisons de sécurité, il n’est pas simple de construire le protocole technique et mettre en place l’appui financier pour une telle restauration, Mieux vaut être vigilant donc ! ».
Hamid Guessous, architecte, natif d’El Jadida : « Tout d’abord, il faut procéder à une auscultation par un bureau de contrôle ou laboratoire technique du style LP2E. En fonction des résultats, soit c’est un effondrement de la dalle soit juste un effritement d’une couche de calcaire des pierres. Dans le premier cas, il faut étayer toute la dalle par une structure métallique galvanisée apportée et apparente, qui repose sur des pieux calculés en fonction du poids. Dans le deuxième cas, il faut juste décaper par grattage la première enveloppe et renduire par un mélange de ciment et Sika avec adjuvant adapté. Je pense qu’il est probable que se soit juste le deuxième cas ».
Fouzia Kassou, maître de conférences à l’École Hassania des Travaux publics : « Cette citerne, monument chargé d’Histoire et de spiritualité, a fait preuve de résilience et a fortement souffert, durant cinq siècles, d’une succession d’évènements et de remaniements. Il est bien connu que les structures arquées résistent à l’effet des séismes. De ce fait, son plafond voûté a joué un rôle déterminant dans la survie de toute la place maritime de Mazagan. Il a notamment amorti de manière efficace les effets destructeurs de la puissante explosion de 1769, causée par la mise à feu des poudres enfouies sous les quatre bastions cardinaux. Aujourd’hui, ce plafond voûté doit être protégé des remontées marines favorisées par la fracturation du sol, conséquence de l’explosion de 1769. Ces infiltrations agressives sont d’autant plus inquiétantes qu’elles menacent les fondations des piliers verticaux qui soutiennent le toit de la structure de base. Pour fixer les idées sur l’importance protectrice du plafond voûté, il faut avoir à l’esprit qu’avant de quitter la place, les occupants ont enterré la poudre à canon et miné chacun des quatre bastions au moyen de 40 barils ayant une contenance unitaire de 40 kg de poudre à canon. Les barils sont en bois de chêne. Enterrée, la poudre permet une élévation de la pression des gaz et génère ainsi une onde de choc dévastatrice, avec un effet de souffle important en raison du volume de gaz produit. Sachant qu’un kilogramme de poudre produit 3 millions de joules d’énergie, l’ensemble de la cité de Mazagan a subi une déflagration souterraine libérant une énergie de 19 GJ (5 MWh).
Par Mustapha Jmahri Chercheur-historien