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Abidjan instaure un visa pour ses ressortissants en partance vers le Maroc

Abidjan instaure un visa pour ses ressortissants en partance vers le Maroc
Le voyage entre la Côte d’Ivoire et le Maroc nécessitera désormais un visa. Une mesure expérimentale de deux ans qui ne s’appliquera pas aux Marocains désireux de se rendre à ce pays, précise un communiqué de l’ambassade de la République ivoirienne au Maroc.
A noter que le gouvernement ivoirien a déjà engagé des discussions avec la Tunisie et le Maroc pour instaurer un visa d’entrée entre Abidjan et ces deux pays. Mais pourquoi une telle mesure a-t-elle été prise ?

Fraude

Pour les autorités ivoiriennes, il s’agit avant tout d’une réponse administrative visant à lutter contre la fraude à la nationalité, un problème qui a émergé en 2023 et concerné près de 120.000 passeports ivoiriens, selon des sources non officielles. Parmi ceux-ci, environ 25.000 ont été récupérés, incluant 10.000 citoyens nigérians, 8.000 Syriens, des Libanais, et des individus d’autres nationalités, dont des Marocains.

A noter à ce propos que le président Alassane Ouattara a exprimé en octobre 2023 son engagement à mettre fin à ces pratiques frauduleuses et à garantir que les passeports ivoiriens demeurent fiables et dignes de confiance. Tout en indiquant que la Côte d’Ivoire entre ainsi dans une nouvelle phase de vigilance accrue pour protéger son identité nationale et sa sécurité.

De son côté, le ministre ivoirien de l’Intérieur, Vagondo Diomandé, lors d’une conférence de presse tenue en octobre 2023 à Abidjan, a exprimé sa profonde indignation face à « une situation qui risque de ternir l’image de notre pays. » Il a contesté les chiffres avancés par Frontex et l’OIM, qui font état de respectivement 14.000 et 12.500 Ivoiriens parmi les exilés ayant débarqué en Europe en septembre de la même année.

Selon le ministre, ces « accusations portées contre notre pays » reposent uniquement sur les déclarations des migrants enregistrées par les services d’immigration italiens, sans que des vérifications n’aient été effectuées en collaboration avec les autorités ivoiriennes, comme le prévoit l’accord multilatéral signé avec l’Union européenne. Pour lui, de nombreux migrants se déclarent Ivoiriens alors qu’ils sont en réalité d’une autre nationalité.

Pour soutenir ses propos, M. Diomandé a énuméré les initiatives du gouvernement ivoirien pour lutter contre l’immigration clandestine, incluant l’amélioration des conditions de vie et de travail des populations, des accords avec l’Europe, le renforcement des mesures de contrôle aux frontières, le démantèlement de réseaux de trafic, ainsi que l’envoi de missions d’identification dans les pays européens « chaque fois que cela s’est avéré nécessaire, » avec une mission prévue prochainement à Lampedusa. Selon lui, lors des précédentes missions d’identification, la nationalité ivoirienne n’a été confirmée que pour moins de 15% des demandeurs d’asile « présumés ivoiriens » entre 2009 et 2018. La norme, c’est plutôt de voir le pays d’accueil décider d’une telle mesure A rappeler, cependant, que cette question de fraude ne date pas de 2023. Un rapport de l’OIM sur le profil migratoire de la Côte d’Ivoire, établi en 2017,révèle que le gouvernement ivoirien a déjà contesté en 2017 les chiffres avancés par l’ambassadeur de l’Italie en Côte d’Ivoire qui a fait état de l’arrivée de 13.000 immigrés ivoiriens sur les côtes italiennes au cours de la période allant du 1er au 31 décembre 2016.

« Face à ce chiffre alarmant, le gouvernement ivoirien, après avoir dépêché une mission, a relevé une contradiction. Selon son porte-parole, sur les 13.000 présumés ivoiriens en Italie, seulement 2.000 ont pu prouver leur identité ivoirienne. Dans cette hypothèse, si de plus en plus de jeunes migrants transitent par le territoire ivoirien pour regagner l’Europe, c’est bien parce que le pays compte aujourd’hui des réseaux de passeurs très bien organisés. Selon des informations de «SOS migration clandestine» recoupées avec les analyses de la Direction des Ivoiriens de l’extérieur, ces réseaux sont tellement efficaces que des migrants viennent des pays de l’Afrique de l’Ouest et même de l’Afrique Centrale pour bénéficier de leurs services. La filière la plus juteuse et la plus utilisée au départ de la Côte d’Ivoire est le trajet Daloa-Tripoli via Agadez (Niger). La ville de Daloa, capitale de la région du Haut-Sassandra dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, est le point de départ de nombreux migrants irréguliers qui rêvent de rallier l’Europe à partir des côtes libyennes ».

Espoir

Une autre explication concernant l’instauration de cette mesure a été avancée par l’ethnologue Léo Montaz, qui a déclaré au journal Le Monde : «Jusqu’au coup d’État de janvier 2022 au Burkina Faso, certaines filières utilisaient des cartes d’identité ivoiriennes volées. Les migrants qui les présentaient prétendaient être des victimes de la crise ivoirienne survenue entre 2002 et 2011. De nombreux non-Ivoiriens se faisaient passer pour des Ivoiriens, ce qui pouvait fonctionner dans la première moitié des années 2010… Mais cela a perdu de son sens aujourd’hui, d’autant plus que la célèbre « filière de Daloa » [ville ivoirienne autrefois considérée comme un hub de l’immigration clandestine vers l’Europe] a été démantelée en 2018. »

Le journal Le Monde évoque également «l’espoir» comme un facteur possible expliquant l’instauration d’un visa. En effet, de nombreux migrants en situation irrégulière préfèrent être rapatriés en Côte d’Ivoire, moteur économique de la sous-région, plutôt que dans leur pays d’origine. Interrogé à ce sujet le 28 septembre, le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly, a rappelé que la Côte d’Ivoire est «un pays de transit» où un quart de la population est d’origine étrangère. De nombreux immigrés de la région y travaillent en attendant de réunir suffisamment d’argent pour financer leur traversée. «Cela ne fait pas d’eux des Ivoiriens », a déclaré M. Coulibaly, soulignant qu’une nationalité ne peut être revendiquée sans documents officiels pour en attester.

Selon un document de l’OCDE/CIRES datant de 2017, « les immigrés choisissent principalement la Côte d’Ivoire comme destination pour des raisons économiques, attirés par la croissance du pays et les opportunités d’emploi. Malgré les crises, la Côte d’Ivoire continue d’attirer des migrants en raison de sa relative stabilité politique dans une région souvent en crise. Les réseaux de diaspora jouent également un rôle crucial en facilitant l’installation des nouveaux arrivants, ce qui perpétue les flux migratoires même lorsque les raisons initiales, comme la recherche d’emploi ou la guerre, ne sont plus présentes. La migration vers la Côte d’Ivoire est majoritairement masculine, et malgré les difficultés, le pays offre de bonnes chances d’insertion pour les immigrés, renforçant l’idée d’une « enclave d’immigrés » ».

Abus

Pour sa part, Saïd Machak, enseignant chercheur en droit international sur la migration et l’asile, nous explique que l’instauration d’un visa ou son interdiction est un droit souverain des pays d’accueil et non ceux de départ. A ce propos, il nous a indiqué que la mesure prise par les autorités ivoiriennes reste incompréhensible et illégale puisqu’elle doit être prise par le pays d’accueil et le pays d’origine ne peut en aucun cas imposer un visa de sortie à ses ressortissants. « Dans ce cas, il s’agit bien d’une restriction abusive du droit à la mobilité », a-t-il souligné. Et de préciser : « Certaines fois, il y a des dispositions politiques entre les pays d’origine et ceux d’accueil pour la mise en place de ce genre de mesures. Et souvent il y a la signature de mémorandums d’entente, dénués de valeur juridique contraignante, par lesquels les deux parties récapitulent leurs points de convergence dans le cours d’une négociation ».

Hassan Bentaleb