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Réforme de la Justice : Après les peines alternatives, place aux défis structurels [INTÉGRAL]

Réforme de la Justice : Après les peines alternatives, place aux défis structurels [INTÉGRAL]

Parmi les grands chantiers ayant marqué cette année législative figure la réforme de la Justice, notamment l’introduction des peines alternatives qui a fait couler beaucoup d’encre vu son caractère stratégique. Mais malgré l’approbation du Parlement, un long chemin reste à parcourir pour garantir l’éfficacité de ce chantier.

«Le système pénal dans notre pays a besoin d’adopter les peines alternatives, notamment à la lumière des indicateurs et des données enregistrés au niveau de la population carcérale, affectant négativement la situation au sein des établissements pénitentiaires, et limitant les efforts et les mesures prises dans le cadre de la mise en œuvre des programmes de réinsertion et la rationalisation des coûts d’hébergement dans ces établissements». C’est ainsi que le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a résumé l’introduction des fameuses peines  alternatives qu’il a défendues coûte que coûte au Parlement, jusqu’à son adoption dans les deux Chambres. Des  amendements ne sont, certes, pas passés comme une lettre à la poste, mais l’important c’est que le circuit législatif a pris son cours. Reste maintenant à résoudre quelques équations compliquées qui permettraient la bonne application desdites peines, pour avoir des résultats louables. 
 
Tamek n’est pas sorti de l’auberge ! 
La Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR) demeure trop peu dotée des moyens humains nécessaires pour être à la hauteur du défi. Le Patron de la DGAPR, Mustapha Salah Tamek, a déjà dit que les peines alternatives n’auraient qu’un impact relatif sur la surpopulation carcérale pour peu que les prisons soient en sous-effectif.

Jusqu’à la fin de 2023, les prisons comptaient 13.605 fonctionnaires pour plus de 102.000 détenus, dont près de 40% sont écroués provisoirement au moment où les nouveaux arrivants sont de plus en plus nombreux chaque année (+11.000 en 2023) avec une durée moyenne de détention en hausse (11 mois au lieu de 9). Force est de constater qu’en quatre ans seulement (de 2019 à 2023), la population carcérale a augmenté de 18% avec un ratio de 272 détenus pour 100.000 habitants. Ceci dit, le taux d’encadrement demeure faible en tournant aux alentours de 15%, alors que dans les pays européens ce chiffre est supérieur à 50% en moyenne. En Turquie, par exemple, où la population carcérale est beaucoup plus grande que la nôtre (près de 170.000 détenus), il y a 43.000 agents pénitentiaires avec un taux de 24%. En gros, les indicateurs continuent de grimper au moment où la liberté conditionnelle demeure peu pratiquée compte tenu du fort réflexe de la détention si ancré au sein de l’appareil judiciaire. 

Avec des effectifs assez limités, les établissements carcéraux, dans le cadre du suivi de l’application des peines, sont tenus aussi de fournir des rapports périodiques sur demande du procureur du Roi ou du juge d’application des peines. Ce qui constitue une charge supplémentaire.  Selon Rabii Chekkouri, avocat au Barreau de Rabat, l’administration pénitentiaire demeure la plus légitime pour appliquer les peines alternatives pourvu qu’elle soit dotée d’un budget assez conséquent pour y parvenir. “Il serait pertinent, à l’instar de certaines législations européennes, d’envisager à l’avenir d’octroyer un budget important à des services pénitentiaires spéciaux dits d’insertion et de probation ayant pour mission le suivi des obligations décidées dans le cadre des peines alternatives, telles que les obligations de soins et de suivre une formation”, préconise notre interlocuteur.
 

En quête de juges supplémentaires
Le problème du sous-effectif touche également l’appareil judiciaire qui intervient en la personne du Juge d’application des peines à qui incombent plusieurs tâches, dont la signature des arrêtés exécutoires, l’examen des rapports de suivi, le prolongement des peines et l’audition des personnes concernées, surtout lorsqu’il s’agit des travaux d’intérêt général. 

Le juge en question doit aussi statuer sur les différends relatifs aux peines alternatives. Une lourde besogne attend ainsi les magistrats concernés. Se posent là beaucoup de questions sur la capacité d’assurer une justice rapide au moment où les juges sont peu nombreux. On en a environ 4000, dont certains doivent traiter annuellement plus de 500 dossiers relatifs à des crimes complexes et dangereux, ce qui requiert un effort exceptionnel d’enquête et d’expertise judiciaire. Là, on va leur demander en plus de veiller sur les mesures alternatives. Il y a le risque d’une justice expéditive vu la pression qui pèse sur les magistrats.
 

Traiter le problème à la racine
Maintenant, tous ces défis restent difficilement surmontables compte tenu des ressources financières qu’il faut allouer. Raison pour laquelle les avocats, pour leur part, plaident pour un changement radical du système de détention vu que les peines alternatives ne sauraient être l’unique solution. C’est ce pense Omar Benjelloun, avocat au Barreau de Rabat, qui estime que l’allègement de la détention préventive ne passe pas exclusivement par les peines alternatives, étant donné, souligne-t-il, qu’il faut dépénaliser certains crimes et délits mineurs et d’autres infractions dépourvues de vocation criminelle. Aussi, Me Benjelloun plaide pour qu’il y ait un juge de la liberté et de la détention à qui est confiée la décision au lieu du procureur ou du juge d’instruction. “Il est temps de supprimer le pouvoir de placement en détention préventive conféré au juge d’instruction ainsi qu’au parquet”, acquiesce, pour sa part, Me Chekkouri, qui pense que le fait de créer une institution indépendante “serait plus pertinent du point de vue de l’impartialité”.

3 questions à Rabii Chekkouri : «Les peines alternatives contribuent au changement de la politique pénale»
  Aujourd’hui, la procédure pénale connaît une réforme en profondeur avec la mise en place des peines alternatives dont la loi a été votée au Parlement. A votre avis, à quel point ce nouveau mécanisme est-il en mesure de réduire le recours à la détention compte tenu de l’ancrage de cette pratique dans la coutume judiciaire ?  

Pour certaines infractions commises, il est certain qu’une peine privative de liberté ne remplit pas systématiquement sa fonction dissuasive et rétributive. En effet, l’incarcération ne fait qu’engorger les établissements pénitentiaires, entraînant par conséquent des conditions déplorables de détention, et ce, en raison du manque de moyens humains, logistiques et financiers. Ainsi, les peines alternatives contribuent à un changement considérable de la politique pénale, notamment en évitant le placement en détention préventive en amont, qui demeure en principe une mesure subsidiaire.
  Peut-on s’attendre à long terme à un effet palpable des peines alternatives sur la réduction de la population carcérale ?  

Naturellement et sauf accroissement de la délinquance, les peines alternatives mèneraient, même à moyen terme, à une réduction de la population carcérale. Actuellement, les prisons sont en partie surpeuplées par des personnes condamnées à des peines égales ou inférieures à deux ans d’emprisonnement. Pourtant, il serait judicieux d’envisager des peines alternatives pour cette catégorie de délinquants afin de désengorger les lieux de détention et offrir ainsi aux détenus des conditions plus dignes.
  Quelles sont les conditions nécessaires pour que les peines alternatives aient les effets escomptés ?  

À mon avis, l’une des conditions primordiales qui permettraient l’aboutissement de ce nouveau système, est la sensibilisation sur les avantages des peines alternatives et leurs effets bénéfiques sur la société. Cette sensibilisation pourrait notamment se concrétiser à travers les formations continues en la matière dédiées aux professionnels de la Justice.

Procédure civile : L’autre casse-tête de Ouahbi
Le projet de loi n° 02.23 relatif à la procédure civile continue de susciter l’ire des avocats, qui pointent du doigt son «inconstitutionnalité». Les robes noires continuent de rejeter le texte, appelant à plus de concertations pour élaborer une loi qui ne porterait pas atteinte « aux recours judiciaires » et « au pouvoir en cassation ». Pour sa part, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a défendu la mouture du projet de loi, notant que son département a adopté une démarche participative incluant les avis des différentes parties prenantes du secteur judiciaire. Suite à la grande polémique, le président de la Chambre des Représentants, Rachid Talbi Alami, a décidé d’exercer ses prérogatives constitutionnelles en soumettant le projet de loi à la Cour constitutionnelle après l’achèvement de la procédure d’adoption au parlement.

 

Amende journalière : Un traitement de faveur pour les riches ?
L’amende journalière demeure l’une des peines alternatives les plus controversées. Le ministre de la Justice l’a introduite au texte par amendement sachant qu’elle ne figurait pas dans le texte initialement adopté par le gouvernement. Cette mesure permet de racheter des jours de prison. Raison pour laquelle elle a fait couler beaucoup d’encre dans les médias et soulevé des indignations chez quelques parlementaires qui y voient le reflet d’une justice à deux vitesses au profit des riches. Cette amende est bien encadrée par la loi, elle n’en pose pas moins un débat éthique et moral dans la mesure où elle pourrait être exploitée opportunément par “la délinquance fortunée”.
 
Force est de constater que le projet de loi fixe tout de même des conditions strictes. Selon le texte, l’amende journalière ne peut être décidée qu’en cas de réconciliation entre les parties ou si la victime ou ses ayants droit retirent leur plainte. Aussi, le fait que la personne condamnée répare le préjudice causé aux victimes est-il pris en considération. Concernant la somme à verser, elle varie de 100 à 2000 dirhams par jour de prison selon l’infraction et son degré de dangerosité, sachant que le juge prend en compte l’état social et la situation financière du condamné avant de statuer sur le montant à payer.
 
Le condamné doit payer dans un délai maximal de six mois sous peine d’être remis en prison pour y purger sa peine initiale. Sauf qu’il y a une possibilité de prolonger une fois le délai par décision du juge. Appliquées à des délits et des infractions dits correctionnels, les peines alternatives sont prononcées en cas d’infraction punie d’une peine inférieure à cinq ans.