À Mohammedia, la nuit tombée, des motards défient les lois et le sommeil des habitants. Face à ce fléau sonore, la ville se barricade, les autorités montent le ton et les résidents s’organisent.
Les rues, encore animées par les derniers passants, se vident peu à peu. Les commerçants baissent leurs rideaux de fer dans un cliquetis métallique qui résonne comme un avertissement. Les fenêtres se ferment, les volets se closent. La ville se barricade, se préparant à l’assaut nocturne qui ne manquera pas de venir.
Dans les appartements, on monte le son de la télévision, on augmente le volume de la radio. Certains sortent les boules Quiès, d’autres s’arment de patience et de résignation. Les enfants, eux, ont appris à s’endormir au son des klaxons et des pots d’échappement. Une berceuse moderne et cacophonique, rythmée par l’impatience et la fureur mécanique.
Et puis, cela commence. D’abord un vrombissement lointain, comme un orage qui s’approche. Puis le bruit enfle, se rapproche, devient assourdissant. Les motards sont là, chevauchant leurs engins rutilants, défiant les lois de la gravité et celles du code de la route. Ils slaloment entre les voitures, frôlent les trottoirs, narguent les quelques piétons assez téméraires pour s’aventurer dehors au milieu de la nuit, quand toute la ville devient le terrain de ces motards.
Les roues crissent sur l’asphalte, les moteurs hurlent leur puissance. C’est une symphonie discordante, une ode à la vitesse et à l’impunité. Ces conducteurs, visages cachés derrière leurs casques, semblent invincibles, intouchables. Ils sont les maîtres de la nuit, les rois éphémères de ces rues devenues leur terrain de jeu.
Dans les immeubles, on soupire, on peste, on maudit. Les plus âgés se souviennent d’un temps où le silence faisait loi à la Cité des fleurs, où la nuit appartenait aux rêveurs. Aujourd’hui, elle est le domaine des cascadeurs de l’asphalte, des acrobates du bitume.
Les autorités ? Elles ne sont pas restées silencieuses face à ces débordements. Le Conseil de la ville a maintes fois exprimé son inquiétude, appelant à la responsabilité et à la discipline. Les forces de l’ordre, avec diligence et fermeté, tentent de contenir cette effervescence nocturne, mais se trouvent souvent confrontées à l’esquive habile de ces motards rebelles. C’est une danse complexe, où chaque partie s’observe, se jauge, dans un ballet de stratagèmes et de ruses.
Pourtant, certains résidents refusent de baisser les bras. Ils s’organisent, se réunissent, cherchent des solutions. Des pétitions circulent, des lettres ouvertes sont publiées ça et là.
Au petit matin, quand le calme revient enfin, Mohammedia panse ses plaies sonores. Les rues portent les stigmates de la nuit : traces de pneus, débris de rétroviseurs, parfois une tache d’huile sur le bitume. Les habitants émergent, les yeux cernés, la mine fatiguée. Ils échangent des regards las, des sourires résignés. Une nouvelle journée commence, avec la certitude que la nuit prochaine apportera son lot de décibels et d’adrénaline non désirés.
Dans les cafés, on commente, on analyse, on cherche des explications. Certains y voient le symptôme d’une jeunesse désœuvrée, en manque de sensations fortes. Les plus philosophes y décèlent le reflet d’une société en mutation, tiraillée entre traditions et modernité. «Parmi eux, il y a des criminels qui finissent leurs jours derrière les barreaux », témoigne un sénior.
Pendant ce temps, dans les garages et les ateliers de mécanique, on prépare déjà les bolides pour la prochaine sortie nocturne. Les moteurs sont réglés, les carrosseries lustrées, les pneus gonflés à bloc. La nuit suivante promet d’être tout aussi bruyante, tout aussi électrique.