Echec
Toutefois, nombreux sont les analystes qui soutiennent que la situation du chômage pourrait être plus grave vu que les données de l’institution chargée de la production, de l’analyse et de la publication des statistiques officielles au Maroc, demeurent partielles et ne reflètent pas fidèlement la réalité et l’ampleur du phénomène. En effet, plusieurs paramètres tels que le chômage déguisé, l’emploi partiel, l’emploi précaire, indépendant et informel ne sont pas pris en considération.
Pour ces analystes, la recette gouvernementale en matière de création d’emplois a démontré ses limites et l’équipe gouvernementale a été incapable d’inventer de nouvelles solutions liant la création d’emplois, directement ou indirectement, à l’Etat grâce à son appui, ses subventions, ses programmes et ses stratégies. Une tendance qui perdure depuis les années 90, notamment en ce qui concerne l’emploi des diplômés. Un constat que partage le dernier rapport de Bank Al-Maghrib qui soutient que la persistance du problème du chômage, notamment celui des jeunes, révèle l’échec des nombreux plans et stratégies dédiés à l’emploi, remettant en question leur efficacité et leur rendement ainsi que leur évaluation. Pour les rédacteurs de ce rapport, le chômage des jeunes constitue une forme d’exclusion qui affaiblit la cohésion et la stabilité sociales.
Inéquation
Un rapport de l’OCDE datant de 2018 a analysé l’adéquation entre l’offre de formation et les besoins en compétences sur le marché de l’emploi au Maroc, en indiquant que le « stock de compétences disponibles est sous-utilisé » et que « les taux de chômage augmentent avec le niveau d’études » en précisant que « les taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur sont en constante augmentation depuis le milieu des années 2000 » et que «l’enseignement et la formation professionnelle (EFP) ne permettent pas non plus une bonne intégration sur le marché du travail avec des taux de chômage oscillant autour de 20% en fonction du niveau des diplômes obtenus».
En outre, ledit rapport explique que « la sous-utilisation de la main-d’œuvre répond, entre autres, au manque de dynamisme dans la création nette d’emploi. Cette dernière doit faire face à de nombreuses contraintes. D’une part, la vitesse de croissance du Maroc reste modérée et ne permet pas de soutenir une forte création d’emplois. D’autre part, la transformation structurelle du pays n’est pas suffisamment enclenchée. Enfin, les conditions restrictives de la législation sur la protection de l’emploi au Maroc peuvent entraver la création d’emplois». Et d’ajouter : « De plus, le stock de compétences disponibles ne répond pas suffisamment à la demande du marché du travail. La sous-utilisation du stock de compétences actuelles peut être attribuable à la lenteur de la transformation structurelle mais aussi, et surtout, à l’inadéquation entre l’offre de formation et la demande d’emploi. En 2013, 32% des entreprises interrogées estimaient que l’inadéquation de la main-d’œuvre était une contrainte majeure à la conduite de leurs opérations, un taux largement supérieur à celui enregistré dans le reste du monde et en Afrique du Nord (autour de 21%). La perception de cette contrainte est plus importante pour les entreprises de petite taille (38%) et opérant hors des grandes villes marocaines (seulement 7% des entreprises interrogées dans la région de Rabat déclarent souffrir de l’inadéquation de la main-d’œuvre). D’autres travaux de recherche (HCP, 2010) et enquêtes internationales ont également souligné le manque d’adéquation qualitative entre la formation et les demandes des entreprises (31% des entreprises identifient la faiblesse des compétences de la main-d’œuvre comme une contrainte à faire des affaires selon International Finance Corporation et la Banque mondiale, 2007).
Défiance
Sur un autre registre, le document de l’OCDE note que « la structure de l’offre de formation ne reflète généralement pas la structure de l’économie marocaine. La structure de l’offre de formation au Maroc est principalement tournée vers l’emploi salarié alors que moins de 60% de la population active occupe un emploi salarié (HCP, 2015). Le système éducatif ne prépare pas les Marocains à s’orienter vers l’auto emploi. En effet, la majorité des sortants du système éducatif aux niveaux primaire et secondaire n’ont pas suivi de programme ou de formation spécifique les préparant au statut d’indépendant. Ce décalage existe également au niveau sectoriel. En 2016, près de 40% de la population marocaine travaillait dans le secteur agricole, alors que le nombre de formations techniques et professionnelles dans ce domaine est très limité (HCP, 2015)». Et de poursuivre : « En effet, si le dispositif de l’enseignement agricole est constitué de trois établissements d’enseignement supérieur et de 53 établissements de formation professionnelle agricole répartis sur l’ensemble du territoire, cela représente moins de 5% des effectifs de la formation professionnelle totale (informations fournies par le ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts [MAPMDREF]). L’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT) ne propose que des formations dans le domaine de l’industrie agro-alimentaire, et le département de l’agriculture du ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime ne formait que 10.000 stagiaires en 2014/15 (ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres [MESRSFC], 2015)».
Incapacité
Et qu’en est-il du secteur privé ? Pour les spécialistes, le patronat n’a pas de solution miracle pour résoudre un problème structurel. Selon eux, l’implication du secteur privé dans la création d’emplois n’est pas une nouvelle recette; elle a été expérimentée dans les années 80 avec la mise en place du Plan d’ajustement structurel, qui s’est soldé par un échec. Le secteur privé a démontré depuis longtemps son incapacité à absorber le chômage. La croissance de l’économie marocaine n’a pas été capable de créer suffisamment d’emplois. La création d’emplois n’est pas automatique. Mettre en place des investissements ou des subventions ne conduit pas automatiquement à la création de nouveaux postes. Cela est particulièrement vrai dans le contexte actuel marqué par la digitalisation et les conséquences de la pandémie de Covid-19.
Dans ce sens, ils jugent que «la priorité doit être accordée à une politique d’éducation permettant d’améliorer la rétention scolaire des jeunes et le rendement externe du système», tout en rappelant que malgré «les efforts consentis, notamment sur le plan budgétaire, l’abandon scolaire persiste à des niveaux élevés avec plus de 300.000 élèves en moyenne qui quittent prématurément l’école chaque année ».
Hassan Bentaleb