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Des prémices d’économie de marché dans l’Europe préhistorique ?

A l’âge du Bronze, les peuples européens appliquaient des mécanismes d’une économie de marché avec l’équivalent d’une monnaie, selon l’hypothèse d’archéologues italiens, qui repose sur l’étude de dépôts d’alliages de cuivre il y a plusieurs milliers d’années.
Mais d’autres chercheurs apportent plusieurs bémols à ce scénario, censé établir un parallèle avec les économies contemporaines.

Publiée cette semaine dans Nature Human Behaviour, l’étude « teste l’hypothèse que le comportement économique dans l’Europe préhistorique n’était pas substantiellement différent du comportement moderne ».
Une assertion tranchant avec le récit dominant en archéologie préhistorique qui réserve l’échange de richesses à une élite.

Selon ce récit, les puissants « n’achèteraient ou ne vendraient pas de biens, mais les échangeraient sous forme de cadeaux ou de récompenses », résume pour l’AFP le premier auteur de l’étude, Nicola Ialongo, archéologue à l’Université danoise Aarhus. Le chercheur suggère qu’en fait, le commun des mortels se livrait couramment à de petites transactions.

L’archéologue Pierre-Yves Milcent, qui n’a pas participé aux travaux, rappelle pourtant que le registre archéologique de l’époque ne fournit qu’une « vision fragmentaire » des activités d’échange. Ce registre est quasi exclusivement atteignable via des dépôts d’objets faits d’alliage de cuivre.

C’est sur eux que Nicola Ialongo fonde son étude, menée avec Giancarlo Lago de l’Université de Bologne. Elle porte sur l’âge du Bronze, la période de l’Histoire précédant l’âge du Fer qui s’étend d’environ 2.800 ans à 800 ans avant notre ère.

Les deux archéologues ont dressé une base de données de plus de 23.000 objets de cuivre et alliage de cuivre, identifiés dans plus de 1.300 dépôts, disséminés sur une tranche de l’Europe allant du nord de l’Allemagne jusqu’au sud de l’Italie.

L’utilisation de ces dépôts reste débattue, entre ceux leur attribuant un rôle symbolique, et nombre d’autres, comme Pierre-Yves Milcent, qui considèrent que ces dépôts traduisent « notamment des formes d’échanges économiques », explique à l’AFP ce professeur à l’Université Toulouse Jean-Jaurès.

Nicola Ialongo et Giancarlo Lago ont regroupé les dépôts en trois périodes allant d’un premier âge du Bronze (-2.800 à -1.500 ans), en passant par le deuxième âge moyen (-1.500 à -1.100), jusqu’au plus récent qui se termine à -800 ans avant notre ère.
Alors qu’à -2.800 ans ces dépôts sont constitués quasi exclusivement d’objets de cuivre complets, à -1.500 ans et au-delà il s’agit à 75% de fragments.

« Tous les métaux sont fragmentés, au même moment où se répandent les poids et balances à travers l’Europe », raconte Nicola Ialongo. Avec, selon lui, l’apparition d’une unité de poids « pan-européenne » d’approximativement 10 g, ces fragments auraient pu servir de monnaie.
« Il serait excessif de parler de système monétaire, tout au plus d’un système d’étalon », objecte auprès de l’AFP l’archéologue et spécialiste des métaux Michel Pernot, ancien chercheur du CNRS qui n’a pas participé à l’étude.

Il note l’impasse faite, par exemple, sur la variété de teneur en cuivre des alliages considérés. Et surtout l’absence d’un État ou d’une autorité politique garantissant la monnaie d’un système d’échange.

Pour sa part, Pierre-Yves Milcent rejette l’existence d’une unité de poids pan-européenne, en notant l »‘existence d’autres systèmes métrologiques », en France ou en péninsule ibérique. « J’ai l’impression qu’ils nous font la zone euro avant l’heure », taquine l’archéologue, qui voit plutôt exister des unités régionales « qui peuvent quand même être en synergie ».

MM. Ialongo et Lago soutiennent pourtant qu’à partir de -1.500 ans, la nature des dépôts étudiés s’explique par la théorie économique. Avec une loi de distribution de la consommation dite log-normale, dans laquelle la grande majorité des transactions sont de faibles montants.

Cette loi reflète la « tendance de la plupart des foyers à conclure des transactions quotidiennes modérées pour vivre, alors qu’une toute petite minorité peut se permettre de grosses dépenses », remarque l’étude.

La fragmentation des dépôts d’alliages de cuivre répondrait à un besoin similaire, comme celui voulant que les petites coupures sont toujours beaucoup plus nombreuses que les grosses dans une caisse enregistreuse. Autrement dit, « le comportement du consommateur préhistorique n’était pas, en principe, fondamentalement différent du nôtre », propose l’étude.

Pierre-Yves Milcent appelle alors à la prudence, en questionnant d’abord la « qualité » de l’information recueillie dans les dépôts, en mauvais état ou parfois pillés au moment de leur découverte. Et surtout, « s’il y avait un système d’échange très courant basé sur du métal découpé, on devrait en trouver dans les habitats de ces époques, or ce n’est pas le cas ».