Ce parcours hors du commun, des films de propagande de l’Armée rouge au glamour d’Hollywood, sera peut-être bientôt parachevé par une nomination aux Oscars grâce à « Didi », récit adolescent salué par la critique, où elle joue une mère immigrée célibataire.
La comédienne de 63 ans y incarne Chungsing, une artiste taïwanaise frustrée en Californie, qui tente tant bien que mal de faire famille avec son fils ingrat de 13 ans, absorbé par le skate et ses premières amours.
Ce rôle « a jailli de moi, parce que c’est la vie que j’ai vécue », confie Mme Chen à l’AFP. « Je suis, comme Chungsing, une mère immigrée qui a élevé deux enfants Américains. Au prix d’une relation tellement intime et aimante, mais aussi avec un gouffre culturel, des malentendus, des attentes insatisfaites. »
L’actrice évolue devant la caméra depuis ses 14 ans. A l’époque, elle est repérée par un réalisateur, qui envoie ses photos à la femme de Mao Zedong, Jiang Qing.
« J’étais tellement heureuse d’être le type de personnage dont ils avaient besoin », se souvient-elle. « Ce n’était pas mon rêve. Je n’y avais jamais pensé lorsqu’ils m’ont choisie comme actrice. Et puis, petit à petit, j’ai appris à aimer ça. »
Sa notoriété dans la Chine communiste des années 70 lui permet d’éviter d’être envoyée travailler dans les champs pendant la révolution culturelle.
Puis à 20 ans, elle s’installe aux Etats-Unis, où elle étudie le cinéma, sans grand espoir sur ses perspectives de comédienne asiatique à Hollywood.
Son rôle dans « Le dernier empereur » de Bernardo Bertolucci en 1987, où elle incarne l’épouse du dernier souverain chinois Pu Yi, la propulse sur la scène internationale. Le film remporte neuf Oscars, dont celui du meilleur film.
Sa carrière américaine se poursuit avec son personnage de Josie Packard, femme fatale de la série culte de David Lynch, « Twin Peaks », et une poignée d’autres films. Mais elle tourne court, faute de rôles substantiels.
« A l’époque, il n’y avait tout simplement pas de cinéastes ou de scénaristes asiatiques capables de créer un rôle pour moi », regrette-t-elle. « C’est dommage. Il n’y a pas eu de suite. »
Si elle a continué à tourner ici et là dans des productions occidentales, l’actrice a essentiellement travaillé en Chine pour satisfaire ses ambitions créatives.
Mais depuis quelques années, les succès internationaux de films au casting majoritairement asiatique comme « Crazy Rich Asians » et « Everything Everywhere All At Once », ou de productions sud-coréennes comme « Parasite » et « Squid Game » ont changé la donne.
Dans « Didi », déjà en salle dans quelques villes américaines avant une sortie nationale le 16 août, Joan Chen campe une talentueuse peintre ayant renoncé à ses ambitions pour sa famille, venue s’installer aux Etats-Unis.
Chungsing s’occupe avec abnégation de ses deux enfants, parmi lesquels Chris, le héros du film.
Très américanisé, cet ado surnommé « Didi » traite parfois sa mère comme une empêcheuse de tourner en rond. Sans comprendre toute la complexité de son histoire personnelle, qu’il va progressivement percevoir.
Cette lettre d’amour du réalisateur Sean Wang à sa propre mère résonne de manière très personnelle pour Joan Chen.
« Les peines et les joies que l’on voit dans le film sont une expérience que j’ai moi-même vécue », insiste-t-elle, en rappelant que sa vie est très différente de celle de ses deux filles, nées aux Etats-Unis.
En tant qu’immigrante, il fallait composer avec « cette incertitude quant au sol sur lequel vous vous tenez »‘, raconte-t-elle.
Primé au Festival de Sundance, véritable Mecque du cinéma d’auteur aux Etats-Unis, « Didi » pourrait offrir à l’actrice un couronnement en fin de carrière: la critique bruisse d’une possible nomination aux Oscars pour son interprétation dans ce premier long-métrage d’un jeune cinéaste.
« Quand il y a suffisamment de scénaristes et de réalisateurs, on crée plus de rôles qui ressemblent à davantage de personnes », apprécie Mme Chen. « C’est merveilleux. Et je suis si heureuse d’être toujours là. »