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Interview avec Hassan Baraka : « Je suis plus à l’aise avec les requins de la mer »

Interview avec Hassan Baraka : « Je suis plus à l’aise avec les requins de la mer »

Hassan Baraka a écrit l’Histoire. Il vient de réussir un exploit qui s’est refusé aux plus expérimentés : la traversée de la Manche. Interview avec cet athlète qui réalise des traversées, une épopée, une prouesse, tout en souciant de la protection de l’environnement.

Vous êtes le premier Marocain à traverser la Manche, entre le Royaume-Uni et la France. Surnommée l’Everest de la natation en eau libre, cette prouesse est difficile, avec environ 50 km à parcourir. Vous mesurez la portée de votre exploit ?
 
Oui, je suis le premier Marocain à traverser la Manche à la nage, et c’est une grande fierté pour moi. Je souhaitais réaliser ce défi depuis 2017. Les conditions climatiques ont été donc maintenant de la partie. J’ai pu m’entraîner dix mois à raison de six fois par semaine.

Et je continue encore à poser la question aux personnes qui m’ont accompagné dans cette aventure, en leur disant ce qu’on a vraiment réalisé. Donc non, je ne mesure pas encore vraiment la portée de cet exploit. C’est en voyant les messages de félicitations que je réalise l’ampleur de cet exploit. 

Pour tout nageur qui se respecte, traverser la Manche est un objectif difficile à atteindre. Seulement 30% des nageurs réussissent à la traverser chaque année. Et je suis très fier d’avoir pu inscrire le nom du Maroc parmi ce cercle fermé de pays. 
 

15h 55min dans l’eau salée, ça doit laisser des traces ?

 
Effectivement. Le plus difficile n’a été ni la nage de nuit, ni les piqûres de méduses, ni l’eau froide, parce que cela se travaille, mais c’est l’eau salée. Qu’on le veuille ou non, on finit par avaler du sel. Ce qui pose des problèmes d’estomac.

Après la traversée, j’ai passé quatre jours sans pouvoir m’alimenter correctement, parce que j’avais la langue et la gorge gonflées à cause du sel de mer. J’ai passé mes journées à manger de la glace, que ce soit au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner. Cela a été vraiment l’aléa le plus difficile à gérer. 
 

À quoi avez-vous pensé pendant toutes ces heures dans l’eau ?
 

J’ai tellement de temps pour réfléchir quand je suis dans l’eau que je pense aux personnes qui sont très proches de moi et qui me soutiennent. J’avais cette forte pensée à mon fils. J’avais mis une photo de lui sur le bateau et à chaque fois que je levais mon visage du côté droit pour respirer, je le voyais m’encourager. Et bien sûr à ma famille et à toutes les personnes qui m’ont soutenu.

On a le temps de penser à tous ces gens qui croient en nous et puis on a le temps de penser aussi à soi-même, de se remettre en question,… On fait une introspection, on travaille sur soi, on essaye de méditer, on prie, on prie beaucoup, on essaye de se reconnecter à la source, de se reconnecter à Dieu. Et je pense surtout à la chance qui m’est présentée de pouvoir faire cette traversée. Ce n’est pas donné à tout le monde, je me suis donné les moyens en me préparant physiquement et mentalement, donc c’est une chance dont je profite.
 

La traversée de la Manche fait perdre des kilos importants. Quelle alimentation avez-vous suivi en amont et en aval ?
 

Pour l’alimentation, déjà, j’ai dû prendre 15 kilos avant la traversée. Pour contrecarrer le froid, il faut avoir un peu plus de graisse. D’autre part, il ne faut pas négliger les protéines, parce qu’il faut bien que les muscles puissent tenir.  Mais le plus essentiel est la nutrition pendant la traversée.

Personnellement, je m’arrêtais une minute toutes les 30 minutes de nage pour pouvoir manger et boire. Je n’avais pas le droit de toucher le bateau ni quoi que ce soit, donc je m’arrêtais. J’avais calculé avec une nutritionniste tous les gels que je devais prendre pour avoir les aliments nécessaires, de façon liquide, pour pouvoir les assimiler au mieux.

J’avais quelques bananes, de la goyave, et puis des dattes. Voilà, ça c’était ce qui m’a permis d’aller jusqu’au bout. Et puis, comme je vous l’ai expliqué par la suite, il a fallu passer ce moment de convalescence, surtout que je n’ai pas pu manger pendant plusieurs jours. Donc voilà, mon estomac ne revient que petit à petit après deux semaines.
 

Vous bénéficiez d’un encadrement de haut niveau. Pouvez-vous nous décrire une journée type d’entraînement ?
 

Pour réaliser ce genre de défis, il faut effectivement être entouré des meilleurs. Il y avait évidemment ma coache, Serrana Fernández  qui m’a déjà accompagné dans d’autres traversées. J’ai fait venir le médecin polonais avec qui je suis le plus à l’aise, et qui est pour moi le plus compétent en hypothermie. Il m’avait sauvé la vie dans son pays lorsque je nageais sans combinaison dans une eau froide de 3°C.

C’était important pour moi d’être soutenu par mon ami Amine qui m’a accompagné sur pas mal de volets. Sans oublier le pilote et le co-pilote, ainsi que l’arbitre qui devait homologuer la traversée. Puis il y avait la nutritionniste qui suivait mon état en vidéoconférence une fois par mois pour mettre au point mon alimentation. Et puis la préparation mentale à travers mon collègue Fernando. 

Pour ma journée type, normalement je nage environ trois heures par jour, plus une heure de renforcement musculaire. Il faut que les épaules soient assez solides pour ne pas se blesser. J’ai également réalisé des entraînements de nuit. J’ai profité du mois de Ramadan pour nager de nuit en mer pour enlever la peur de la nage de nuit, ainsi que habituer mon corps à cette nage dans le froid et sans repères. Il y avait une préparation minutieuse.
 

En plus de cet exploit, vous avez traversé les cinq continents à la nage. Désormais, vous ne craignez ni les profondeurs, ni les flots agités ?
 

Effectivement , j’avais rallié les continents à la nage en 2014 en nageant entre l’Europe et l’Afrique, l’Europe et l’Asie, l’Amérique du Nord et l’Asie et en ralliant l’Afrique à l’Asie en nageant entre l’Egypte et l’Arabie Saoudite. Je n’ai pas peur de la haute-mer. Au contraire, l’eau est l’endroit où je me trouve plus à l’aise et le plus protégé. On ne peut pas avoir peur de la nature, on doit juste la respecter, être humble à son égard et profiter d’elle. Je suis beaucoup plus à l’aise avec les requins de la mer qu’avec d’autres types de requins que l’on peut trouver sur terre. A bon entendeur ! 
 

Quel est votre leitmotiv à vous élancer au-devant de telles aventures ?

Si je devrai retenir un leitmotiv, ce serait : « La douleur est passagère, la fierté est éternelle ». 
 

Par ailleurs, vous êtes également très sensible à l’environnement et à l’écologie, ayant mené des actions de nettoyage de plage sur les cinq continents. Le réchauffement climatique est-il une réalité que vous constatez lors de vos traversées à la nage ?
 

Effectivement, j’ai toujours voulu associer ce fort message de protection d’environnement à mes traversées. Lorsque j’ai rallié les continents à la nage, j’avais réalisé des actions écologiques avec des jeunes surtout pour les générations à venir, en Alaska, en Indonésie, en Arabie Saoudite, et en Egypte, comme le nettoyage de plages après les traversées.
 
« Si je pouvais nager sans combinaison au Pôle Nord, c’est qu’il y avait bien un réchauffement climatique que j’ai constaté »
Quand je nageais au Pôle Nord, c’était pour envoyer un message fort : si je pouvais nager sans combinaison au Pôle Nord, c’est qu’il y avait bien un réchauffement climatique que j’ai constaté et que cette fonte des neiges est bien là. C’est toujours important pour moi de tirer la sonnette d’alarme dès que j’en ai l’occasion sur cela. La Manche est un bras de mer où il y a beaucoup de trafic maritime, ce qui laisse de l’huile de moteur, des sacs en plastique… C’est d’ailleurs le cas un peu partout dans le monde.   
Recueillis pas Safaa KSAANI