Remise en cause
Selon ledit rapport, le Maroc se positionne à la 4ème place au niveau de l’Afrique du Nord, derrière l’Algérie, l’Egypte et la Libye, suivi par le Soudan du Sud, le Soudan et la Tunisie. Ce qui en dit long sur le discours du chef du gouvernement en juin dernier devant la Chambre des représentants vantant les soi-disant réformes importantes entreprises par son équipe afin de renforcer la position du Maroc au niveau international en tant que destination mondiale d’investissements et hub africain.
A rappeler que les flux des IDE entrants au niveau de l’Afrique du Nord ont aussi été marqués par leur instabilité. Ils ont atteint 15.407 m$ en 2018 avant de chuter à 13.550 m$ en 2019, à 9.797 m$ en 2020 et à 9.509 m$ en 2021. L’année 2022 a enregistré une hausse atteignant 15.323 m$ avant une régression à 13.461 m$ en 2023. Concernant les IDE sortants, ils sont passés de 2.269 m$ en 2018 à 1.727 m$ en 2019 et à 356 m$ en 2020 avant d’atteindre 994 m$ en 2021, 1.171m$ en 2022 et 1.185 m$ en 2023.
Cependant, ledit rapport précise que les flux d’investissements directs vers l’Afrique ont diminué de 3% en 2023 pour atteindre 53 milliards de dollars. Tout en indiquant que le financement de projets internationaux a chuté d’un quart en nombre d’opérations et de moitié en valeur, ce qui a eu un effet négatif sur la croissance économique, notamment sur les perspectives d’investissement dans les infrastructures.
A ce propos, le CNUCED explique que «les ventes transfrontalières de fusions-acquisitions, qui représentent environ 15% des flux d’IDE vers l’Afrique ces dernières années, sont restées stables à 8,5 milliards de dollars». Et de noter que « les investisseurs européens demeurent les principaux détenteurs de stocks d’IDE en Afrique, occupant trois des quatre premières places (Pays-Bas: 109 milliards de dollars, France: 58 milliards de dollars, Etats-Unis: 46 milliards de dollars et le Royaume-Uni 46 milliards de dollars)».
Annonces
La valeur des nouveaux projets annoncés en Afrique, indique le rapport, est tombée à 175 milliards de dollars en 2023, contre 196 milliards de dollars en 2022. Cependant, la plupart des pays ont enregistré des augmentations du nombre de projets, avec une hausse de 7% du nombre total de projets annoncés dans la région. «S’ils sont menés à bien, ces projets pourraient générer 200.000 emplois supplémentaires dans la région», ajoute ledit document.
Concernant les secteurs d’investissement, le CNUCED observe que « les plus fortes augmentations d’une année sur l’autre de la valeur des projets ont été enregistrées dans les secteurs de la chimie (13 milliards de dollars) et de l’électronique (7,6 milliards de dollars)». Il a également constaté que «la valeur des projets d’approvisionnement en électricité et en gaz a baissé de 33 milliards d’euros par rapport à l’année précédente. Cette baisse explique à elle seule la diminution globale de la valeur des projets Greenfield. La région attire une part croissante des mégaprojets mondiaux, dont six sont évalués à plus de 5 milliards de dollars. L’annonce la plus grande pour un pays en 2023 est celle d’un projet d’hydrogène vert en Mauritanie, qui devrait générer 34 milliards de dollars d’investissements (plusieurs fois le PIB du pays)».
Dans le même sens, le rapport indique que « plusieurs autres grands projets d’hydrogène ont également été annoncés : La zone économique du canal de Suez a conclu des accords pour des projets d’ammoniac vert et d’hydrogène vert, pour un montant total de 10,8 milliards de dollars. Trois producteurs d’énergie ont annoncé séparément des projets d’hydrogène vert en Afrique du Sud pour un montant total de 7,1 milliards de dollars, et des investissements substantiels ont également été réalisés au Maroc ».
Les chaînes de valeur des véhicules électriques ont également suscité des investissements en Afrique. Parmi les transactions les plus importantes, un fabricant chinois a annoncé son intention d’établir une usine de fabrication de batteries pour véhicules électriques au Maroc pour un montant de 6,4 milliards de dollars.
L’Afrique a également attiré 10,8 milliards de dollars de financements de projets pour la production d’électricité éolienne et solaire, les projets les plus importants étant situés en Egypte, en Afrique du Sud et au Zimbabwe.
Le protocole d’investissement de l’Accord de libre-échange continental africain (AfCFTA) adopté en 2023 devrait contribuer à la croissance des IDE intrarégionaux, assure le rapport. Et de poursuivre : «La part des projets intrarégionaux, bien qu’encore relativement faible, est plus élevée dans les services et certaines industries manufacturières (avec 20% de projets réalisés par des investisseurs d’Afrique) que dans les industries de transformation des ressources naturelles (avec seulement 13% des projets originaires de la région). Cela indique que le réservoir d’investisseurs entreprenant des projets dans la région est important pour certains secteurs ».
La situation des IDE en Afrique et précisément en Afrique du Nord n’est pas exceptionnelle, le CNUCED révèle qu’en 2023, l’investissement direct étranger mondial a diminué de 2% pour s’établir à 1.300 milliards de dollars. Les investissements étrangers ont diminué modérément dans la plupart des régions. « En fait, et dès lors que l’on exclut du calcul quelques situations exceptionnelles, le rapport révèle une baisse plus marquée de plus de 10% des investissements étrangers mondiaux pour la deuxième année consécutive. Cette baisse est due à l’augmentation des tensions commerciales et géopolitiques dans un contexte de ralentissement de l’économie mondiale. Les flux d’IDE vers les pays en développement ont diminué de 7% pour atteindre 867 milliards de dollars l’année dernière, reflétant une baisse de 8% dans les pays en développement d’Asie. Ce chiffre a baissé de 1% en Amérique latine et dans les Caraïbes ».
D’autre part, ajoute le rapport, les flux vers les pays développés ont été fortement affectés par les transactions financières des entreprises multinationales, motivées en partie par la mise en place d’un taux d’imposition global minimum sur les bénéfices de ces sociétés. «Les flux vers la plupart des régions d’Europe et d’Amérique du Nord ont diminué respectivement de 14 % et de 5%.
Le resserrement des conditions de financement en 2023, explique le CNUCED, a fait chuter d’un quart le nombre d’opérations internationales de financement de projets, lesquelles sont essentielles au financement d’infrastructures et de services publics tels que l’électricité et les énergies renouvelables. «Cela a entraîné une réduction de 10% des investissements dans les secteurs liés aux objectifs de développement durable (ODD), plus particulièrement les systèmes agroalimentaires, l’eau et l’assainissement. Ces secteurs ont enregistré moins de projets financés par la communauté internationale en 2023 qu’en 2015, lors de l’adoption de ces objectifs», précise le rapport.
Impact
A noter, pour autant, que la question de l’impact des IDE sur l’économie marocaine, sa croissance, la pauvreté, la création d’emploi et le transfert des technologies et des compétences reste inconnue faute de données chiffrées sur le sujet. Toutefois, deux chercheurs marocains, à savoir Oumayma Bourhriba et Badr Mandri, expliquent, dans un Policy Brief du Policy Center for the New South (PCNS), que «l’essor des IDE pendant les dernières décennies ne devrait pas, cependant, cacher certaines aberrations, en l’occurrence celle de la faiblesse des montants réinvestis par les entreprises installées au Maroc»». D’après eux, «l’un des critères pertinents qui permet de juger la pérennité des IDE dans un pays est le réinvestissement de leurs revenus issus d’un premier investissement», notant que dans le cas marocain, «la lecture des données sur les revenus des IDE montre que les investisseurs directs sont moins enclins à réinvestir les bénéfices collectés et préfèrent cependant rapatrier leurs dividendes. Ceux-ci représentent, en effet, une part moyenne de 75% durant les deux dernières décennies. D’un autre côté, bien qu’elle ait enregistré une forte croissance entre 2005 et 2021, la part des bénéfices réinvestis demeure faible et ne dépasse pas 20%, bien en dessous des moyennes observées ailleurs dans le monde, présentant ainsi un manque à gagner pour l’économie marocaine », ajoutent-ils. « Par ailleurs, et étant donné sa double imputation dans la balance des paiements, le faible réinvestissement pourrait également être aperçu en observant l’évolution des composantes des IDE dans le compte financier, relève la même source, faisant savoir que les flux des IDE entrants ont été principalement sous forme d’injections en capital. Le réinvestissement des bénéfices a représenté une part minoritaire de 12% en moyenne de période, qui demeure largement inférieure à la moyenne mondiale qui est de 33% », soulignent les auteurs.
Adéquation
La question de l’impact a été aussi soulevée par Claire Mainguy, maître de conférences à l’Université Robert Schuman De Strasbourg, dans son article «L’impact des investissements directs étrangers sur les économies en développement». D’après elle, « les travaux multiples sur les effets des IDE sur les pays d’accueil, notamment ceux en développement, ont des résultats divers selon les périodes, la nature des investissements, la spécialisation, les politiques menées par les pays hôtes et, en définitive, sont loin d’être généralisables. Ces travaux concernent finalement assez peu les pays les plus pauvres, au premier rang desquels figurent les pays africains, qui reçoivent peu d’IDE.
Toutefois, elle suscite la question de «l’adéquation entre les objectifs des entreprises étrangères et ceux des gouvernements, bien qu’ils ne soient plus systématiquement opposés comme lors des années 60 et 70». «Qu’elles interviennent sous forme d’IDE ou via la sous-traitance, les firmes ont des objectifs de court ou moyen terme : la recherche de faibles coûts en main-d’œuvre, de marchés intérieurs dynamiques, de l’ouverture vers les marchés régionaux et de la flexibilité.
Les objectifs des gouvernements s’inscrivent plutôt dans le long terme : diversifier et stabiliser les sources de financement du développement, accroître les ressources budgétaires, promouvoir l’essor de l’emploi pour une population en croissance, développer les infrastructures sociales et économiques, assurer la protection de l’environnement, promouvoir une localisation équilibrée des activités permettant d’optimiser les effets d’agglomération, etc. Comme le soulignent Lall et Narula (2004), les IDE ne peuvent pas compenser les insuffisances des Etats en matière de politique industrielle. Par ailleurs, les mesures de libéralisation prises ces dernières années modifient les données du problème et rendent les politiques publiques moins efficaces », souligne-t-elle.
Claire Mainguy soutient également le fait que les IDE peuvent contribuer également à un processus de divergence entre économies du Sud. Ainsi, elle estime que «certains pays seront privilégiés par les IDE en raison de leur stabilité politique, de leur taux de croissance, de leurs infrastructures, de la qualité de leurs institutions et de l’importance de leur capital humain » alors que «les pays ne réussissant pas à effectuer des remontées de filières, risquent d’être cantonnés dans des spécialisations peu dynamiques ayant pour conséquence une instabilité économique récurrente».
En outre, elle relève que «le champ des études sur les effets des IDE est encore largement ouvert dans la mesure où les travaux empiriques existants reposent sur des statistiques perfectibles, que les approches économétriques posent souvent des questions d’interprétation; elles permettent de poser des questions pertinentes mais n’apportent pas de réponses toujours généralisables. Ces travaux ne permettent pas d’appréhender toute la complexité des mécanismes générateurs des effets observés et devraient être complétés par des études de cas qui sont trop peu nombreuses».
Hassan Bentaleb