Le spectre d’une année blanche continue de planer sur les Facultés de médecine après que les étudiants ont boycotté les examens de rattrapage. Ce scénario, largement rejeté par le ministère de l’Enseignement supérieur, pourrait avoir des répercussions majeures sur le système de santé. Éclairage sur la situation actuelle et ses implications.
Bien que la tutelle affirme avoir répondu favorablement aux préoccupations des étudiants concernant le nouveau système de formation médicale, ces derniers restent insatisfaits et cherchent à obtenir des garanties quant à leur avenir.
La médiation parlementaire lancée il y a plus de deux semaines par les différents groupes de la majorité et de l’opposition n’a apporté aucun élément nouveau pour désamorcer la crise. En conséquence, le spectre d’une année blanche devient de plus en plus probable, avec le boycott de quatre échéances : les deux sessions principales et les deux sessions de rattrapage, ainsi qu’en raison des résultats d’un dialogue qui semble au point mort.
Les professionnels de la Santé, appelant à une résolution immédiate de cette crise par l’intervention du Chef du gouvernement, qualifient une éventuelle année blanche de « mesure d’échec », voire de « catastrophe », susceptible de mettre en péril le système de santé à moyen et long terme.
Selon eux, cette option serait défavorable tant pour le gouvernement que pour les Facultés de médecine et les futurs médecins, car elle marquerait une étape importante de notre Histoire sanitaire. Ses conséquences se feraient sentir non seulement sur le plan psychologique, mais aussi sur l’ensemble du système de santé.
La réforme du système de santé impulsée par SM le Roi Mohammed VI, sur laquelle le gouvernement parie grandement pour redessiner le paysage médical national, est axée, en plus des infrastructures sanitaires, sur les ressources humaines dont le Maroc affiche, d’ailleurs, un déficit très inquiétant. Cela dit, “une éventuelle année blanche dans les Facultés de médecine risque d’être à l’origine d’un retard au niveau de la formation de médecins et donc l’atteinte des objectifs fixés”, s’inquiète Dr Tayeb Hamdi, médecin, chercheur en politiques et systèmes de santé.
Actuellement, le Maroc dispose de 29.000 praticiens, soit 5.000 de moins par rapport aux normes établies par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), alors que le gouvernement s’est donné le challenge de pallier ce manque à l’horizon de 2030.
Au-delà de cet aspect de long terme, une éventuelle année blanche pourrait être à l’origine d’une vraie hémorragie migratoire des compétences médicales marocaines vers l’étranger. Ce phénomène préoccupant touche 30% des étudiants en médecine formés au Maroc et risque de prendre des proportions inquiétantes suite à la détérioration du climat de confiance dans les Facultés de médecine et le système de formation médicale en général.
Cela dit, “l’idée de la migration ne va plus être un Plan B pour l’étudiant après l’obtention de son diplôme, mais plutôt un choix de carrière motivé par les conditions de formation et de travail pas très satisfaisantes, mais également par le vécu de ses collègues depuis plus de 8 mois”, s’alarme Dr Tayeb Hamdi, qui ne cache pas la gravité de la situation de crise actuelle et l’impact qu’elle aurait sur la future génération de médecins.
Mais pas seulement. Les effets de situation de crise qui sévit dans les Facultés de médecine ne vont pas épargner l’image du service public de santé auprès du citoyen. Dr Tayeb Hamdi, qui pointe du doigt une relation conflictuelle entre les citoyens et le système de santé, résultant de plusieurs décennies, explique que la crise actuelle ne peut guère favoriser l’adhésion de la population à la généralisation de l’assurance maladie obligatoire.
Alors que le contexte actuel exige de garantir la satisfaction de la population pour l’inciter à adhérer à l’assurance maladie obligatoire et à favoriser l’hôpital public, le bras de fer entre les futures blouses blanches et le gouvernement continue de donner une perception négative du système public de santé, selon Dr Tayeb Hamdi, qui souligne qu’une telle image ne fait qu’intensifier la méfiance envers le système public de santé, au moment où le gouvernement s’emploie à améliorer son image pour éviter son appauvrissement face au privé.
Face aux répercussions de cette crise sur le système de santé, Tayeb Hamdi reste optimiste quant à la possibilité pour les deux parties de parvenir à des solutions pérennes sur les questions en suspens. Pour ce faire, il faut rétablir un pont de confiance entre les étudiants et le ministère de l’Enseignement supérieur, très critiqué pour sa gestion de ce dossier.
“Les propositions du gouvernement ne sont pas toutes mauvaises. Certes, il y a eu des mesures très importantes pour la formation médicale, mais d’autres aspects nécessitent d’être remodelés selon les préoccupations des étudiants pour dépasser ce blocage”, insiste-t-il, soulignant la nécessité d’un dialogue serein pour rassurer les futurs médecins vis-à-vis de leur avenir qui compte notamment pour leur pays.
Même son de cloche auprès du Pr Jaâfar Heikel, professeur en médecine, qui souligne la possibilité de trouver une issue à cette crise avant la prochaine rentrée universitaire pour éviter une éventuelle perturbation des cours par un mouvement de solidarité qui pourrait générer des frustrations chez les étudiants du secteur public.
Ainsi, Pr Heikel appelle à relancer le dialogue pour désamorcer la crise et garantir une réforme bien conduite du système de santé. « L’intérêt supérieur du pays doit primer. C’est pourquoi un compromis doit être trouvé en ajustant certaines propositions initiales, afin que les futurs médecins se sentent compris, écoutés et valorisés », conclut-il.
La réduction de la durée de formation est-elle l’unique solution pour répondre au déficit en médecins ?
Les étudiants en médecine refusent la méthode du gouvernement pour pallier au manque de médecins. Que proposez-vous pour les rassurer à cet égard, sans toucher aux principes de base ?
Intransigeants sur les questions en suspens, les futurs médecins ont boycotté en grand nombre les examens de rattrapage qui ont démarré le 22 juillet. Selon la Commission nationale des étudiants, le taux de boycott a atteint 100% dans certaines Facultés, notamment celle de Laâyoune, et plus de 90% dans d’autres.
Ainsi, il semble que la médiation entreprise par les parlementaires de la majorité et de l’opposition n’a pas été suffisante pour convaincre les étudiants de passer les examens programmés, laissant planer le doute sur la rentrée universitaire. Les étudiants avaient également boycotté les sessions principales en juin dernier, en plus des cours pratiques et théoriques et des stages hospitaliers.
Devant les Conseillers, le ministre a défendu la réforme du système de formation médicale, arguant qu’il s’agit d’une priorité stratégique destinée à améliorer la qualité de la formation.
Cependant, les engagements du gouvernement n’étaient pas suffisants pour calmer la colère des étudiants. Ces derniers, ajoute le ministre, sont revenus sur les accords conclus lors des séances de dialogue, juste après la tenue des assemblées générales de leur commission nationale. Le ministre responsabilise ladite commission qui, selon lui, ramène les discussions au point de départ, compliquant le processus de résolution de cette crise.
Face à l’intransigeance des étudiants qui exigent la signature d’un procès-verbal actant les promesses du gouvernement, Abdellatif Miraoui a défendu le caractère sérieux des engagements de l’Exécutif. “Les mesures prises par le gouvernement ont été présentées au Parlement puis par le ministre porte-parole de cette institution. Cela dit, le gouvernement prend cette crise au sérieux, et nous n’avons pas besoin de signer des documents pour le prouver”, a indiqué Miraoui.