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Crédibilité des annonces et management intégré des risques

Crédibilité des annonces et management intégré des risques
« Il m’arrive souvent au cours de cet étrange voyage, à cause de la fatigue, ou lorsque j’ai beaucoup bu, que tout devienne flou : plus rien d’hier ; plus un seul visage n’est là. C’est une grande frayeur et, aussi une tristesse… Fort heureusement le réel vous remet les idées en place… » 1

Management des initiatives et annonces

Les initiatives de création de la valeur et bienfaits, qu’ils soient des projets ou programmes, sont devenues complexes et impliquent de plus en plus de parties prenantes. Engager ces derniers revient à communiquer convenablement et pertinemment tout au long de la durée de ces initiatives. Cependant l’écart entre ce qui est annoncé en termes de budget, délai et réalisation des bienfaits et ce qui est effectivement réalisé est la principale source d’incohérence dans les annonces. Cela pourrait mener au désengagement des parties prenantes à court terme et à la perte de leur confiance à terme.

En effet, les annonces programmées sont l’objet d’incertitudes de toutes sortes et ne pourraient jamais être prises comme argent comptant. Pour garder une transparence et assurer la cohérence dans les engagements, il serait judicieux d’accompagner toute annonce du degré d’incertitude qu’elle recèle, le quantifier dans la mesure du possible en adoptant une démarche intégrée de management des risques.
 
Management intégré des risques : défis et utilité
 
Les plus grands défis que pose le management des risques et qu’il exige plus de transparence et d’honnêteté avec soi-même et avec les autres. Il faudrait questionner toutes les hypothèses, les mettre à jour, revisiter les présupposés et les croyances non validées.  Dans ce cadre, je fais référence à cette citation inspirante de Michel Foucault : « Ces formes préalables de continuité, toutes ces synthèses qu’on ne problématise pas et qu’on laisse valoir de plein droit, il faut donc les tenir en suspens. Non point, certes, de les récuser définitivement, mais secouer la quiétude avec laquelle on les accepte ; montrer qu’elles ne vont pas de soi, qu’elles sont toujours l’effet d’une construction dont il s’agit de connaître les règles et de contrôler les justifications».  2 Une tâche qui n’est pas toujours aisée, mais elle permet de dégager tout le potentiel de la situation.

Par ailleurs, plus l’appétence aux risques des principales parties prenantes est faible, plus l’incertitude devrait être maîtrisée. Les défis sont plus accentués et l’effort nécessaire pour maîtriser davantage les risques est conséquent. Plus de proactivité est nécessaire afin de suivre les signaux de déclenchement des risques aussi faibles soient-ils, et mettre en œuvre les réponses adéquates en cas de nécessité. Ce qui revient à gérer le futur de l’initiative avant que les aléas du futur la gèrent.

Adopter une démarche intégrée de management des risques aide à concevoir les initiatives sur des bases plus solides et plus réalistes. Les écarts réalisations/annonces seront minimisés, l’engagement des parties prenantes sera plus facile étant donné qu’elles-mêmes auraient fait des attentes plus réalistes. L’autre utilité de la démarche est qu’elle permet d’exploiter tout le potentiel d’opportunités dès qu’elles se présentent.
 
L’initiative est intrinsèquement risquée
 
Les outils et bonnes pratiques de management des risques ne font pas défaut. Néanmoins, si l’identification des risques, leur analyse et la préparation des plans de réponse individuels pour chaque risque sont aisées, la maîtrise de l’impact cumulé de ces risques ainsi que leur interaction n’est pas toujours traitée avec la minutie nécessaire. L’impact cumulé des risques est plus énorme qu’on le peut imaginer. L’analyse ponctuelle mesure les effets de la variation d’un seul paramètre, alors qu’en réalité, de nombreux paramètres peuvent changer simultanément et avoir un effet cumulatif. Les difficultés des technologies non approuvées peuvent, dans des cas, se joindre à des retards de livraison des composants sous-traités. Le succès de l’initiative se trouverait sérieusement questionné. 

L’analyse intégrée des risques qui utilise des techniques statistiques pour prédire la probabilité d’exécuter avec succès une telle initiative en capturant l’effet cumulatif sur les projets ou les programmes devient de plus en plus une nécessité. C’est un moyen de vérifier si un programme/projet est budgétisé de manière réaliste, programmé dans un délai raisonnable et si ses résultats ont « les fortes chances » de se réaliser. Sans cette analyse, le budget ou le délai ne reflétera pas le degré d’incertitude et n’informera pas sur le niveau de confiance qui pourrait lui être accordé. Les annonces sans information « les fortes chances » de leur réalisation si elles sont prises comme argent comptant seront source d’incohérence. Elles seront l’objet de grandes variations au futur.

Les décideurs ainsi que les personnes qui seront impactées manqueront d’informations pertinentes sur les coûts, le calendrier et les résultats escomptés, et n’auront pas d’idée claire et réaliste sur l’exécution de l’initiative ainsi que sur ses résultats. D’énormes écarts apparaîtront entre la budgétisation et l’engagement, d’une part et entre l’engagement et la réalisation, d’autre part, et les parties prenantes seront dans une situation de confusion. Leurs attentes ont été faites sur des bases non réalistes et aucune information sur les chances de réalisation de ces attentes ne leur a été donnée.

Il a été constaté qu’une budgétisation basée sur une estimation ajustée en fonction des risques est essentielle pour atteindre avec succès les objectifs d’une telle initiative. Les estimations de coûts, délais, et résultats sont des prévisions basées sur les meilleures informations disponibles à un instant  donné. Les hypothèses concernant la disponibilité et
la productivité des ressources, l’effort requis et la disponibilité des matériaux, entre autres, ne sont qu’hypothétiques. Les technologies non approuvées et les livraisons des composants sous-traités peuvent prendre plus de temps que prévu. D’un autre côté, les opportunités peuvent inclure des améliorations de la productivité du travail, des techniques de production plus efficaces ou un calendrier accéléré d’activités simultanées. Pour tenir compte de tout cela, les menaces, les opportunités et l’incertitude sont intégrées pour estimer leur effet cumulatif. Cet effet est quantifié en termes d’impact et de probabilité et intégré aux estimations initiales.

Les outils d’analyse probabilistes supposent que les facteurs ont une valeur qui suit une distribution au lieu d’une valeur ponctuelle fixée. En tenant compte de la sommation totale de ses distributions, on pourrait réaliser la courbe de distribution cumulative qui en résulte et quantifier la probabilité associée à la fourchette des coûts possibles de l’initiative, des délais tenant compte de l’accumulation de tous les effets. Il en est de même pour  les résultats.

Lors de la mise en œuvre de cette simulation, toute causalité identifiée peut être modélisée et un niveau de confiance globale est donné à chaque valeur du paramètre en jeu, budget, délais, résultat (V. Fig). Dans ce cas on pourrait identifier « le niveau de confiance » en termes de probabilité. Pour assurer les meilleures chances de succès, le niveau de confiance devrait être supérieur à 50% des initiatives habituelles alors que les estimations des initiatives les plus risquées devraient être au niveau des centiles les plus élevés (60% à 90%).  Il faudrait noter que ces estimations dépendent aussi de l’appétence aux risques des principales parties prenantes, exprimée sous forme de seuils probabilité de succès pour chaque objectif. Autrement, donner des estimations de délais, de budgets ou des résultats sans aucune information sur l’incertitude que recèle l’initiative mènerait sûrement à des incohérences et toute incohérence est source de conflits d’interprétation.
 
Initiatives publiques et Benchmark à l’échelle internationale
 
 Le Government Accountability Office (GAO) 3 des Etats-Unis fournit des lignes directrices détaillées pour l’élaboration d’estimations de coûts. Selon le « Cost Estimating and Assessment Guide », l’accent est mis sur l’utilisation d’un niveau de confiance, tel que T50 (probabilité de 50%) ou T80 (probabilité de 80%) signifiant qu’il y a une forte probabilité que l’estimation annoncée ne soit pas dépassée. Cette approche probabiliste aide à évaluer et à gérer les risques associés aux coûts et aux calendriers des projets. Au Royaume-Uni, l’Infrastructure and Projects Authority (IPA) 4 propose des directives sur l’estimation des coûts des grands projets. Elle recommande d’utiliser des techniques probabilistes pour élaborer des estimations de coûts et de délais. Plus précisément, elle suggère de fournir des estimations avec des niveaux de confiance tels que P50 (probabilité de 50%) pour les initiatives courantes et P90 (probabilité de 90%) pour les initiatives inhabituelles afin d’apprécier les chances de succès. En Australie, le ministère des Finances fournit des lignes directrices pour l’estimation des coûts des projets gouvernementaux. Elles recommandent d’utiliser une gamme de niveaux de confiance pour exprimer l’incertitude dans les estimations de coûts. Les niveaux couramment utilisés incluent P50 et P90, indiquant la probabilité que le coût réel ne dépasse pas l’estimation initiale. En Chine, les pratiques d’estimation de projet suivent souvent les directives de la China National Association of Engineering Consultants (CNAEC) 5. Ces pratiques intègrent généralement des évaluations probabilistes telles que T50 et T60 pour améliorer la précision des estimations du coût et du délai des projets.

L’approche intégrée de management des risques afin de quantifier les effets cumulés des différents risques est de plus en plus généralisée. Elle vise à améliorer l’exactitude et la fiabilité des estimations de coûts, de délais et de bienfaits annoncés.  
 
Comment améliorer la fiabilité des annonces afin de construire la confiance
 
Le benchmark international montre que dans des pays tels que les USA, la Grande-Bretagne, l’Australie et en grande partie la Chine, le gouvernement exige une quantification de l’incertitude qui devrait être à des taux supérieurs à 50% selon la spécificité des risques des projets, avant de donner son accord au financement. Il serait opportun de s’en inspirer. Toute annonce future qu’elle soit d’engagement budgétaire, de délais ou de réalisation de bienfaits devrait être accompagnée de son niveau de fiabilité qui n’est autre que le niveau d’incertitude exprimé en probabilité de réalisation. Elle devrait être supérieure à 50%. Cette approche assure que les annonces liées aux initiatives auront les meilleures chances de réalisation et pousse vers plus de transparence.

Les citoyens sont généralement l’objet d’annonces soit dans le cadre des campagnes électorales, soit dans le cadre de préparation des budgets d’un exercice déterminé. Si dans le cadre des campagnes électorales des incertitudes pouvaient être tolérées, celles annoncées dans le cadre d’un exercice budgétaire donné, pour un secteur donné, gagneraient à être accompagnées par une quantification de l’incertitude de réalisation. Les institutions locales telles que les régions et les communes gagneraient aussi à instaurer cette culture afin de mieux impacter le citoyen et assurer la durabilité de sa confiance.

Il en est de même pour toute annonce d’investissement que cet investissement soit national ou de type IDE. Ces annonces devraient être entourées des informations nécessaires afin de mieux apprécier leur « chance de succès » en termes de délais, de consommation des budgets. Il en est de même pour la réalisation des bienfaits annoncés tels que le nombre d’emplois créés, le taux de transfert de technologie, entre autres.

L’approche intégrée de management des risques permet d’améliorer les taux de réalisation des initiatives. Un tel effort aiderait à s’approcher plus de la réalité des choses, minimiser les incohérences dans les annonces, anticiper les défis, leur préparer des plans d’action et les réaliser à temps. Cet effort préalable est en fait l’une des pierres angulaires sur lesquelles se construira le succès de ces initiatives, qui lui-même jetterait les bases d’une confiance durable des parties prenantes.

Dans un environnement où des annonces affluent de partout avec des engagements pris dans plusieurs domaines, il serait nécessaire de questionner la fiabilité de ces annonces. Pour se faire, il serait judicieux de  les accompagner de leur niveau d’incertitude, par l’émetteur, tenir compte de leur niveau d’incertitude dans la perception des attentes.
Les bailleurs de fonds sont en avance dans ce sens. Ils exigent, de plus en plus, des informations concernant la quantification des « chances de succès ». On pourrait difficilement entamer une levée de fonds sans que le niveau d’incertitude ne soit quantifié.

Par Abderrazak HAMZAOUI
 
1 Mathias Enard,, Boussole
2 Michel Foucault, L’archéologie du savoir
3 US Government accountability office: Cost estimating and assessment guide, best practices for developing and managing program costs
4 IPA Infrastructure Projects Authority
5 China National Association of Engineering Consultants (CNAEC)