Face aux évolutions rapides des défenses anti-aériennes et électroniques, le Bayraktar TB2 ne fait plus le poids, notamment sur les champs de bataille en Ukraine. Utilisateur de ce drone, le Maroc devrait surveiller de près ce retour d’expérience afin d’adapter son utilisation.
La raison ? Après une utilisation importante au début de la guerre en février 2022, les Ukrainiens préfèrent désormais le remplacer par d’autres types de drones, le TB2 s’étant transformé en cible facile pour l’armée russe. En effet, la durée de vie d’un TB2 s’est considérablement rétrécie depuis que les défenses anti-aériennes et électroniques se sont améliorées côté russe.
Comme une vingtaine de pays dans le monde, le Maroc compte 19 Bayraktar TB2 dans sa flotte de drones. Depuis 2021, les drones turcs sont engagés dans la surveillance et la protection de la zone tampon contre les infiltrations des milices du Polisario. Selon diverses sources, la quasi-totalité des frappes au-delà du mur sont effectuées par ces engins.
Jusqu’à aujourd’hui, le Bayraktar TB2 a fait preuve d’une redoutable efficacité dans l’exécution de ces missions. Mais l’évolution rapide des technologies et de la configuration des champs de bataille rendent plus que jamais nécessaire une réflexion sur les limites de cette arme, afin de cerner ses faiblesses, de l’améliorer, de revoir son mode d’utilisation ou de réfléchir à sa succession.
Une des limites du Bayraktar TB2 est sa relative lenteur, puisque sa vitesse de croisière ne dépasse guère les 130 km/h, bien moins que l’américain MQ-9 Reaper avec ses 335 km/h. Cela rend le drone turc vulnérable aux défenses anti-aériennes. Face à un ennemi bien équipé de ce genre de systèmes, l’utilisation de drones de cette catégorie paraît de moins en moins viable.
“En Ukraine, la tendance sur le front est soit d’utiliser de petits drones jetables, soit des drones suicides à très longue portée”, nous apprend Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Son efficacité est d’autant plus limitée que sa charge utile est inférieure à 100 kg (deux à trois munitions), contre 340 kg pour le Reaper.
Lorsqu’il accède à la célébrité en 2020 durant la guerre du Haut-Karabakh, les défenses anti-aériennes n’étaient pas suffisamment développées pour contrer ce genre de menaces, une donnée qui a bien changé avec le retour d’expérience des récents conflits. De plus, les Azerbaïdjanais incluaient le TB2 dans un système d’attaque plus complexe.
“On envoyait d’abord des avions civils convertis en drones pour repérer les défenses ennemies. Ces dernières étaient ensuite neutralisées par des drones suicides israéliens. Ce n’est qu’après la destruction des défenses anti-aériennes que les Bayraktar intervenaient”, détaille Léo Péria-Peigné.
Si le drone de Baykar Makina paraît pour l’instant l’option idéale pour se protéger contre les attaques du Polisario, c’est justement parce qu’il a été pensé et conçu pour ce genre de missions, bien plus que pour des guerres de haute intensité. Son emploi premier était destiné par l’armée turque à combattre les milices du PKK ou les groupes rebelles au Nord de la Syrie, donc à être engagé dans des milieux permissifs et à courte distance.
Ce type de liaison peut également s’avérer instable et reste grandement vulnérable aux nouveaux moyens de guerre électronique, capables de brouiller ses communications. En outre, le porte-drapeau (Bayraktar en turc) de l’industrie militaire turque souffre d’une trop grande dépendance aux technologies européennes. Avec la motorisation, un autre équipement crucial est d’origine étrangère : la boule optronique.
Tout drone dispose d’une unité rotative qui concentre plusieurs capteurs optiques et électroniques, lui permettant d’accomplir ses missions. Jusqu’en 2020, l’entreprise turque Baykar Makina se procurait ce concentré de technologies de pointe auprès du canadien L3Harris. Mais la guerre du Haut-Karabakh a acté l’arrêt de cette collaboration, puisque Ottawa a décidé d’interdire la vente de ces boules aux Turcs.
Coup dur pour l’industriel turc, qui les remplacera par un produit local, des boules optroniques fabriquées par Aselsan, avec “des performances médiocres”, selon les informations de Léo Péria-Peigné. Les Forces Armées Royales (FAR) ne prendront pas ce risque, et décident en 2021 de se procurer séparément les Bayraktar TB2 et les fameuses boules optroniques Wescam LX-15 made in Canada, qui “restent les meilleures du monde”, juge notre expert.
“De toute façon, il n’y a pas d’arme miracle. En tant que drone tactique, le TB2 est un élément dans un combat interarmes beaucoup plus large”, nous explique Léo Péria-Peigné. Pour étoffer leur flotte de drones, les FAR ont également acquis des drones chinois Wing Loong I et II, et ont passé commande de quatre MQ-9B Sea Guardian, une adaptation maritime du fameux Reaper. Le tout est complété par des munitions rôdeuses de précision SpyX de l’israélien BlueBird (avec possibilité de fabrication locale).
Quant à Baykar Makina, elle a déjà le prototype du successeur du TB2. Dénommé TB3, il est doté cette fois de la liaison satellite, d’une capacité de charge beaucoup plus importante, et d’une vitesse de croisière atteignant les 232 km/h. Le nouvel aéronef serait capable d’atterrissage et de décollage sur de courtes distances, dans le but d’être déployé sur le nouveau navire d’assaut amphibie TCG Anadolu.
Mais son plus grand défi restera d’égaler ou de dépasser son prédécesseur en termes de palmarès et de prestige.
Le succès du TB2 peut-il s’expliquer par son prix ?
Baykar a-t-elle délocalisé une partie de la production des Bayraktar TB2 ?
Le programme Bayraktar TB2 est lancé en 2012, sous l’impulsion de Selçuk Bayraktar, fils du fondateur de l’entreprise, ingénieur diplômé du prestigieux MIT et plus tard gendre du président turc RecepTayyip Erdogan, par son mariage avec Sümeyye Erdogan en 2016.
Selçuk Bayraktar occupe aujourd’hui le poste de directeur de la technologie de Baykar, aux côtés de son frère Haluk Bayraktar, PDG de Baykar. Certains observateurs estiment que le TB2 n’aurait jamais pu prendre son envol sans les énormes commandes de l’armée turque. En effet, la Turquie en utilise plus de 200, déployés dans diverses missions comme des frappes tactiques, de l’observation ou du contrôle des frontières.
Cette usine s’inscrit dans une stratégie de construction d’une Base industrielle et technologique de défense (BITD) sur le territoire national. Le 1er juin, sous la présidence de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Conseil des ministres a donné son aval à un projet de décret crucial pour la défense nationale.
Ce décret, désormais en vigueur, prévoit la création de deux zones d’accélération industrielle de défense, dédiées à la fabrication d’équipements et de matériels de défense, de systèmes d’armes et de munitions. Outre la fabrication de drones, le Maroc vise aussi une montée en gamme dans la réparation et la maintenance des aéronefs militaires.
En effet, le Maroc a noué un partenariat avec le groupe aérospatial belge Orizio afin de créer un centre de maintenance pour les avions militaires. Il s’agit d’une joint-venture marocaine, appelée Maintenance Aero Maroc (MAM), opérant un centre de maintenance pour les avions militaires à l’aéroport de Benslimane. L’usine devrait couvrir le Maroc ainsi que l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique.