Malgré une décennie de programmes et d’initiatives, la prolifération des bidonvilles persiste. Après la réussite très relative de « Villes sans bidonvilles » (VSB), le gouvernement promet un programme plus efficace.
Si en 2004, date de lancement du programme, l’objectif était de réduire le nombre de ménages vivant dans ce type d’habitat qui n’a cessé d’augmenter durant ces dix ans de mises en vigueur, atteignant 465.000 familles (contre 270.000 ménages comme objectif initial). Selon le dernier bilan de la ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville, Fatima Ezzahra El Mansouri, les conditions de vie de 74% de la population cible ont été améliorées grâce au VSB, ajoutant que le phénomène ne concerne plus qu’1,7 million de personnes. Dans cette perspective, 27.000 unités de logement ont été activées, dont 17.000 ont été achevées et 10.000 autres sont en cours de construction. Le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, interpellé, lundi dernier au Parlement, sur le bilan du programme, a indiqué qu’aujourd’hui 61 villes sont « sans bidonvilles » grâce à une approche ayant coûté environ 45,7 milliards de dirhams (MMDH), et qui, selon lui, a prouvé son efficacité dans plusieurs grandes cités marocaines. Un avis non partagé par la Cour du Comptes qui a pointé du doigt les dysfonctionnements dans le processus d’exécution du programme, faisant référence aux anomalies dans l’élaboration des contrats-villes, aux lacunes dans la gestion et le suivi, aux défaillances dans la maîtrise des subventions du Fonds spécial de solidarité habitat et intégration urbaine (FSHIU), sans oublier les changements récurrents des objectifs assignés au programme.
Etant donné les difficultés constatées par la Cour des Comptes, elle a recommandé d’améliorer les phases de ciblage et de programmation en mettant en place des mécanismes rigoureux devant permettre un meilleur ciblage des interventions et de la population bénéficiaire et définir des conditions claires d’attribution et de suivi des bénéficiaires. Elle a aussi proposé de revoir l’unité de programmation (considérer la région) afin d’assurer une cohérence au sein de l’échelle d’intervention, tout en encadrant les objectifs des programmes et interventions de l’Etat par une bonne maîtrise des préalables et une identification des besoins avant le lancement des conventions.
Economiste et spécialiste en politiques publiques, Abdelghani Youmni considère que la lutte contre les bidonvilles requiert une approche plus globale et intégrée. « Il faut par exemple construire des politiques visant à stabiliser les populations rurales en leur permettant un accès amélioré à l’eau, aux fertilisants, aux cheptels et aux terres agricoles », note l’expert, soulignant que cela pourrait aider à réduire l’exode rural en garantissant des moyens de subsistance durables dans les zones rurales. Dans ce sillage, Akhannouch a déclaré que le gouvernement prévoit la mise en œuvre d’un nouveau programme quinquennal pour la période 2024-2028 visant à accélérer la lutte contre l’habitat insalubre et l’éradication définitive des bidonvilles au profit de 120.000 familles ciblées.
Ce programme reposera sur le « soutien direct » en tant que mécanisme financier incitatif pour lutter contre l’habitat insalubre. La base restera, par ailleurs, la même, à savoir l’approche de relogement et la mobilisation des unités immobilières dans le cadre d’un partenariat public-privé. Selon le patron de la majorité, l’Exécutif continue de renforcer les chantiers et les interventions pour lutter contre le phénomène de l’habitat insalubre en vue de créer des espaces urbains équitables, durables et attrayants, dans le respect des particularités architecturales et esthétiques des villes marocaines. Pour corroborer ses propos, Akhannouch a précisé qu’en termes d’accroissement, le phénomène des bidonvilles, dont le taux de prolifération a baissé de moins 48% au cours des deux dernières années et demie, est passé de 10.400 ménages par an entre 2012-2021 à moins de 6.500 familles par an durant l’actuel mandat gouvernemental.
Quel est l’impact socio-économique des bidonvilles ?
La richesse des bidonvillois jugés « pauvres » consiste en leur vie communautaire, en leur sens de partage et en leur sentiment de liberté. L’image spatiale « stigmatisante et anarchique » semble s’adoucir par l’image sociale « intense et épanouissante ». Il est indéniable qu’une grande partie des habitants des bidonvilles travaillent dans l’économie informelle, ce qui signifie qu’ils n’ont pas de contrat de travail formel, pas de protection sociale et des revenus instables et souvent insuffisants. A cela s’ajoutent des formes de stigmatisation et de marginalisation, ce qui peut les empêcher d’accéder à des opportunités économiques et sociales égales. Il est donc temps de passer d’un urbanisme « subi » à un urbanisme « négocié et concerté » qui asseoit une citoyenneté qui ne soit pas en négociation conflictuelle.
Pensez-vous que la régionalisation avancée pourrait contribuer à l’éradication des bidonvilles et à l’interdiction de l’émergence d’autres nouveaux ?
Cependant, pour que cette approche soit couronnée de succès, une volonté politique forte et un cadre juridique solide sont indispensables.
Parmi les raisons listées par la Cour, il y a l’absence d’études préalables au lancement des dispositifs de logement, des finalités mal définies et des incohérences en ce qui concerne la complémentarité avec les autres programmes d’habitat, ainsi que par des difficultés liées à l’exploitation du foncier et au manque de maîtrise des partenariats public-privé.