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Affaire de la SAMIR : Les conséquences du verdict du CIRDI [INTÉGRAL]

Affaire de la SAMIR : Les conséquences du verdict du CIRDI [INTÉGRAL]

Le tribunal du CIRDI a rendu son verdict sur l’affaire de la SAMIR. Le Maroc en est sorti avec le minimum de dégâts. L’avenir de la raffinerie est loin d’être tranché. Décryptage.

Après une longue et éprouvante bataille juridique, l’affaire de la SAMIR arrive enfin à son terme. Le clap de fin est parvenu de Washington où le Centre international de règlement des différends relatifs à l’investissement (CIRDI) a rendu sa sentence tant attendue. Le tribunal arbitral, présidé par l’Italo-Britannique Luca Radicati Di Brozolo, a condamné l’Etat marocain à payer des dédommagements d’une valeur de 150 millions de dirhams au groupe Corral Petroleum Holdings, ex-actionnaire majoritaire de la SAMIR, détenu par le milliardaire saoudien d’origine éthiopienne, Mohammed Al Amoudi. Ce dernier n’a eu droit qu’à 6% de l’indemnisation qu’il a revendiquée initialement (27 milliards de dirhams).
 
Une semi-victoire amère !
On peut dire que le Maroc a échappé au pire. Pour sa part, le gouvernement, représenté par la ministre de l’Economie et des Finances, Nadia Fettah Alaoui, qui a été à Washington pendant l’annonce du verdict, a pris acte de cette décision, et ne donne l’impression d’être ni satisfaite ni déçue. C’est ce qu’on peut croire en lisant le communiqué publié à cette occasion. L’argentière du Royaume s’est félicitée du fait que le tribunal ait rejeté la plupart des demandes du plaignant. Toutefois, elle a affirmé que l’Exécutif étudie toutes les possibilités, y compris le recours en annulation. Ce qui veut dire que la décision est contestable du point de vue marocain. Le gouvernement marocain estime avoir été juste vis-à-vis de l’investisseur et avoir respecté l’ensemble des engagements pris à son égard. C’est ce qu’a fait savoir Mme Alaoui dans une déclaration accordée à la MAP.  “Le Royaume est convaincu d’avoir honoré l’ensemble de ses engagements contractuels à l’égard du principal actionnaire de la raffinerie de Mohammedia”, a-t-elle insisté.

Face à la posture victimaire du plaignant, le Maroc se considère lui-même victime de la gestion catastrophique de la raffinerie par son ex-propriétaire qui a plongé notre joyau énergétique dans une faillite historique. En fait, la société, en liquidation judiciaire actuellement, est dans une situation financière tellement lamentable que le redressement de l’entreprise n’a jamais pu être concrétisé étant donné les nombreuses difficultés financières.
 

Le gouvernement n’a pas à supporter les maladresses d’Al Amoudi !
 
Le gouvernement demeure persuadé que l’actionnaire majoritaire est l’unique responsable de la ruine de la SAMIR puisque, selon Nadia Fettah, il n’a pas honoré ses obligations contractuelles. Cette façon de voir les choses laisse penser que le Maroc compte aller jusqu’au bout de son bras de fer, d’autant qu’il a fait preuve d’une pugnacité et d’une intransigeance inédites lors du procès. Force est de rappeler que le Royaume a refusé catégoriquement tout règlement à l’amiable avec le plaignant qui, rappelons-le, a été défendu par le Cabinet international Gibson Dunn. Cette intransigeance est rare dans les affaires arbitrales qui se soldent souvent par des compromis à l’américaine, comme ce fut le cas dans le litige opposant le Maroc au groupe Carlyle, une affaire liée étroitement à celle de la SAMIR, sachant que le fonds d’investissement américain reprochait au Royaume d’avoir pris des mesures préjudiciables à ses investissements. L’affaire s’est soldée par le désistement des deux parties d’un commun accord en vertu duquel le Maroc a payé une somme convenue, sinon il aurait pu payer une enveloppe colossale si la procédure avait duré plus longtemps. La même logique transactionnelle a prévalu, en mai 2021, lors du procès contre Impresa Pizzarotti avec lequel les avocats du Royaume sont parvenus à un arrangement pour éviter le pire.
 
 

Le Maroc refuse le compromis !
 
Il n’est pas question de suivre un tel chemin avec Corral, d’autant plus que le gouvernement marocain estime que l’homme d’affaires saoudien a abusé de sa bonne foi et de son hospitalité. L’affaire remonte à 1997 quand le Maroc a privatisé la raffinerie, une décision qui s’est avérée par la suite désastreuse. La gestion calamiteuse de la société fut telle que celle-ci a cumulé une dette estimée en 2016 à 45 milliards de dirhams, dont une partie importante est due à l’administration des Douanes (près de 13 MMDH) et aux banques marocaines qui furent visiblement impactées par le défaut de paiement. La liquidation judiciaire, prononcée par le tribunal de commerce de Casablanca, n’a été décidée que lorsqu’il s’est avéré que la société était en cessation de paiement envers ses créanciers et que le propriétaire n’avait pas injecté de fonds propres pour la sauver, malgré ses promesses. En réalité, Mohammed Al Amoudi s’était engagé à verser 6,9 milliards de dirhams de fonds propres pour revigorer la trésorerie de la société dans le cadre d’une procédure d’augmentation de capitale, sans tenir sa promesse. Un autre élément renforce la détermination du gouvernement. Ce sont les dérives et la gestion défaillante de la société, documentées et reconnues par la Justice marocaine qui a décidé, dans le cadre de la liquidation judiciaire et pour protéger les droits des créanciers, de lui infliger des sanctions patrimoniales.
 
La liquidation judiciaire trébuche
 
La société a été ensuite laissée dans un état si déplorable que le tribunal de commerce peine à boucler sa liquidation judiciaire faute d’acheteur. Le syndic nommé à cet effet, Abdelkebir Safadi, n’est pas encore parvenu à faire la cession de l’entreprise à un investisseur privé, bien qu’il ait fait appel à une banque d’investissement pour le seconder. Au milieu de ce blocage, le tribunal se contente de maintenir la société en vie en prolongeant son activité chaque trois mois pour garantir l’exploitation de ses capacités de stockage et les droits des centaines de salariés qui ne supportent plus le flou qui plane sur leur sort.

Maintenant, le gouvernement se voit obligé de prendre une décision sur l’avenir de la SAMIR, dont le redémarrage est jugé vital pour la sécurité énergétique du Royaume dans un contexte de volatilité des prix des hydrocarbures sur les marchés internationaux. Le Front National pour la Sauvegarde de la Raffinerie la SAMIR n’a eu de cesse de revendiquer la nationalisation. Le gouvernement semble peu réceptif à cette idée et semble préférer l’option d’une cession au secteur privé.
 

Anass MACHLOUKH

Trois questions à El Houssine El Yamani “ Le Maroc se doit de récupérer l’argent perdu”
Vous êtes directement concerné par l’affaire de la SAMIR, quel enseignement tirez-vous de la sentence du CIRDI ?
 
N’oublions pas d’abord que le Maroc a subi d’énormes pertes suite à la faillite de la société, dont la privatisation fut une erreur monumentale aux conséquences irréversibles. Notre pays s’est vu condamné à payer près de 1,5 milliard de dirhams. A mon avis, il ne faut pas se satisfaire d’un tel verdict. Le gouvernement doit faire recours pour l’annuler.
 

Pensez-vous que ce n’est pas à l’Etat marocain de subir les conséquences de la gestion désastreuse de la SAMIR ?

 
Maintenant, il est important de préserver nos intérêts nationaux vis-à-vis de l’ancien propriétaire. Si nous jugeons nécessaire d’obtenir l’annulation du verdict du CIRDI, c’est parce que nous estimons qu’il récupère l’ensemble des fonds perdus à cause de la mauvaise gestion de la société. 
 

En tant que front de sauvegarde de la raffinerie qui appelle depuis longtemps à une solution définitive, que faut-il faire maintenant pour ressusciter la raffinerie après sa longue agonie ?

 
Il est évident que l’activité de raffinage doit reprendre d’une manière ou d’une autre. Nous plaidons pour cela depuis des années. Il est inconcevable que le statu quo dure plus longtemps, d’autant qu’il y a des salariés dont le sort est lié à celui de la société. Il y a une procédure de liquidation judiciaire en cours, le gouvernement doit assumer sa responsabilité pour trouver une solution définitive avec le minimum de dégâts, quitte à mutualiser les pertes liées aux dettes impayées entre l’ensemble des acteurs concernés.
 
Recueillis par Anass MACHLOUKH

Litige au CIRDI : Les griefs du plaignant
Pour faire valoir ses intérêts, Corral Holding, société de droit suédois, a fondé sa plainte contre le Royaume sur la base de la convention d’investissement qui relie le Maroc et la Suède. Signé en 1990 et publié au Bulletin Officiel dix-neuf ans plus tard (en 2009), cet accord porte sur la protection et la promotion réciproque des investissements. Le groupe suédois a accusé le gouvernement marocain d’avoir porté préjudice à son investissement dans la SAMIR et d’avoir fait perdre ses actifs. De leur côté, les avocats du Maroc ont dû prouver que le Royaume n’a, en aucune façon, violé les termes de l’accord. Cette convention énumère en trois pages des clauses garantissant la protection des IDE de chacune des deux parties signataires. L’article 2 demeure l’une des dispositions les plus importantes et les plus exploitables par la partie plaignante dans la mesure où “il appelle chaque partie à assurer en permanence un traitement juste et équitable aux investissements des ressortissants et des sociétés de l’autre partie en s’abstenant de prendre toute mesure injustifiée susceptible d’entraver leur gestion, leur utilisation et leur jouissance, leur vente ou leur liquidation”.

Redémarrage de la raffinerie : Le gouvernement face à une décision fatidique
Cela fait des années que le gouvernement attend le verdict du CIRDI, au point de le lier au sort de la raffinerie. En février 2023, le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, a été clair lorsqu’il a fait savoir qu’il est illusoire de penser que la solution sera trouvée dans le court terme. Il avait précisé qu’aucune solution ne saurait être envisageable sans tenir compte du dénouement de l’affaire au prétoire du CIRDI. Maintenant que les arbitres ont dit leur dernier mot, la balle est chez le gouvernement. A défaut d’une nationalisation, l’Exécutif est appelé à rassurer le secteur privé de sorte à lui fournir toutes les conditions pour racheter la raffinerie. Selon nos sources, plusieurs investisseurs ont présenté des offres qui n’ont pas encore été tranchées. Il est probable que le futur acheteur ne soit pas obligé de supporter les dettes accumulées de la société. Cité par la MAP, un responsable du ministère de la Transition énergétique et du Développement durable a fait savoir “qu’un nouveau projet est à l’étude pour donner une nouvelle vie au site de la SAMIR à Mohammedia”, sans dire ni quand ni comment.

De son côté, Nadia Fettah Alaoui a indiqué que le Maroc, qui a toujours considéré la raffinerie comme un actif stratégique, a mobilisé toutes les ressources nécessaires à son bon fonctionnement et développement.

La ministre a rappelé, en outre, que le Maroc se prévaut d’un environnement sécurisant aux investisseurs et un climat d’affaires qui leur offre des opportunités économiques indéniables, au carrefour des marchés à fort potentiel, soulignant que le Royaume « ne lésine sur aucun effort pour assurer le développement du secteur énergétique et pétrochimique au Maroc tout en consolidant son leadership sur les énergies renouvelables et du futur comme l’hydrogène ».