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Interview avec Ayoub Walid « « Mes Mémoires dans le Mouvement National » vise à inculquer notre Histoire aux nouvelles générations »

Interview avec Ayoub Walid  « « Mes Mémoires dans le Mouvement National » vise à inculquer notre Histoire aux nouvelles générations »

En hommage à Abou Bakr El Kadiri, l’une des figures de la résistance, la série de podcasts « Mes Mémoires dans le Mouvement National » retrace l’Histoire du Mouvement National. Son réalisateur, Walid Ayoub, s’exprime sur ce voyage historique. Entretien.

– La Fondation Abou Bakr El Kadiri pour la Culture vient de lancer une série de podcasts intitulée : « Moudhakkirati fi al haraka al wataniyya » (Mes Mémoires dans le Mouvement National) que vous réalisez. Pourriez-vous nous parler du parcours exceptionnel d’Abou Bakr El Kadiri ?

– Abou Bakr El Kadiri est bien plus qu’une figure historique ; à mon sens, c’est un véritable héros. Né en 1913 à Salé, il s’est engagé dès son plus jeune âge dans la lutte pour l’indépendance du Maroc. Dans les années 1930, il a été un acteur clé dans plusieurs organisations comme le Comité d’Action Marocaine et le Parti de l’Istiqlal.

Son dévouement inébranlable l’a mené à faire partie des signataires du Manifeste de l’indépendance de 1944. Un parcours mouvementé qui lui a valu plusieurs emprisonnements. Cela dit, Abou Bakr El Kadiri n’était pas seulement un militant politique ; il était avant tout un éducateur passionné.

Dès le début des années 1930, et malgré les obstacles posés par le protectorat français, il n’a jamais cessé de se battre pour un système éducatif inclusif, progressiste et respectueux de notre identité. Il a mis toute son énergie dans la création d’une école marocaine libre, ce qui a conduit à la fondation du lycée Ennahda à Salé au milieu des années 1940.

Une institution qui est rapidement devenue un modèle, offrant une éducation de qualité à des générations de jeunes marocains, garçons et filles. Cette passion pour l’éducation est d’ailleurs très bien racontée dans le livre « L’Histoire d’Ennahda » écrit par El Kadiri lui-même, puis adaptée dans le documentaire éponyme, que j’ai eu le plaisir de co-réaliser avec Othmane Balafrej en 2021 à la demande de la Fondation Abou Bakr El Kadiri.

Après l’indépendance du pays en 1956, et jusqu’à son décès en 2012, Abou Bakr El Kadiri a continué de jouer un rôle crucial dans l’éducation et la politique. Il a été un pilier du Parti de l’Istiqlal, membre du Conseil national consultatif, de la Commission constitutionnelle, de la Commission Royale de réforme de l’enseignement, et du Conseil de régence sous feu Hassan II en 1980.

Fervent défenseur de la cause palestinienne, il a fondé l’Association marocaine de soutien à la lutte palestinienne en 1967, qu’il a dirigée pendant plus de 20 ans. Et ce n’est pas tout : comme si ce parcours n’était pas déjà impressionnant, Abou Bakr El Kadiri a également trouvé le temps et l’énergie pour être membre de l’Académie du Royaume du Maroc et de l’Union des écrivains du Maroc, en plus d’écrire une cinquantaine d’ouvrages, dont « Mes mémoires au sein du Mouvement national marocain ».

Ce livre en plusieurs tomes est l’ouvrage que la Fondation Abou Bakr El Kadiri a choisi cette fois-ci pour continuer sa mission et faire connaître aux jeunes générations une partie importante de l’Histoire de leur pays.

– Comment vous êtes-vous préparé à la production de ces podcasts et quelles ont été les principales difficultés rencontrées ?

– La préparation de ce projet a été grandement facilitée par ma collaboration précédente avec la Fondation Abou Bakr El Kadiri. Ayant déjà travaillé sur le film « L’Histoire d’Ennahda » avec eux, je connaissais mieux l’Histoire d’Abou Bakr El Kadiri et j’avais tissé des liens solides avec la Fondation. Tout au long du processus créatif, je n’ai jamais été seul. La Fondation, et en particulier Nacer et Khalid El Kadiri, des commanditaires très impliqués dans le bon sens du terme, m’ont beaucoup soutenu et guidé pour trouver le style juste des podcasts.

Le choix artistique a été de faire raconter les mémoires à la première personne par une voix incarnant Abou Bakr El Kadiri. Il a fallu lire et relire les mémoires, synthétiser les parties pertinentes et adapter l’arabe classique en darija marocain pour une écoute fluide et accessible. Les difficultés étaient celles de tout projet de cette envergure : choisir les mots justes, trouver le bon casting, et adapter le texte pour qu’il soit naturel et crédible, tout en restant fidèle à l’esprit des mémoires. Il était aussi crucial de trouver les bons collaborateurs technico-artistiques et de veiller à la qualité sonore. Plonger l’auditeur dans un univers riche en narration sans images nécessitait une proposition sonore très riche et immersive pour une expérience complète et captivante.

– Pouvez-vous nous donner un aperçu du premier épisode de cette série ?

– Le premier épisode explore les stratégies de division instaurées par les autorités coloniales françaises dès 1912, culminant avec le Dahir du 16 mai 1930. Ce décret visait à scinder les Marocains en deux groupes, Arabes et Amazighs, en soumettant les tribus berbères à des lois coutumières distinctes, menaçant ainsi l’unité nationale et l’autorité du sultan.

Abou Bakr El Kadiri raconte comment ce Dahir a suscité une forte opposition et conduit à la naissance du mouvement Al-Latif. Ce mouvement a débuté avec la récitation collective de prières invoquant le nom de Dieu « Al-Latif » dans les mosquées, demandant la protection divine contre cette nouvelle menace. Une initiative locale à Salé qui a rapidement pris une dimension politique, se transformant en un mouvement national avec des échos à l’international.

Le podcast montre comment cette résistance culturelle et religieuse pacifique a uni les Marocains de différentes origines dans leur lutte contre le colonialisme. Ces premiers actes de résistance sont devenus l’étincelle d’une prise de conscience collective et le point de départ du Mouvement National marocain, avec des actions concertées et une solidarité croissante entre les régions. Ce premier épisode illustre non seulement la détermination des Marocains à défendre leur identité et leur unité, mais aussi la naissance d’un mouvement qui a façonné l’Histoire moderne du pays.

– En quoi « Moudhakkirati fi al haraka al wataniyya » contribue-t-il à raviver la mémoire collective au Maroc ?

– Comme toutes les actions de la Fondation Abou Bakr El Kadiri, « Moudhakkirati fi al haraka al wataniyya » a pour but de raviver la mémoire collective. Ce podcast offre un privilège unique : écouter l’Histoire du mouvement national marocain du point de vue de quelqu’un qui l’a vécue. Abou Bakr El Kadiri partage ses souvenirs intimes et comment ces événements historiques l’ont marqué dans sa chair et son esprit.

Contrairement à une approche purement académique, ce récit personnel apporte une profondeur et une authenticité rares. C’est une chance de se plonger dans les pensées et les émotions de quelqu’un qui a été au cœur de l’action. On peut sentir la détermination, les peurs et les espoirs de ceux qui ont combattu pour l’indépendance.

Le podcast permet aux auditeurs de vivre l’Histoire et de se connecter émotionnellement aux événements historiques. En écoutant ces récits, on ressent l’abnégation et le sens du devoir qui ont forgé notre nation. En ravivant ces mémoires, je pense que nous allons non seulement préserver notre mémoire commune, mais aussi inspirer les générations futures à valoriser l’importance de l’Histoire et de l’identité culturelle. Il faut savoir d’où l’on vient pour mieux savoir où l’on va. En somme, le podcast contribue à ancrer ces histoires importantes dans la conscience collective marocaine, assurant qu’elles ne soient pas oubliées.

– Pourquoi avoir choisi le format podcast ? Est-ce lié au manque d’archives visuelles ?

– Le choix du podcast s’est imposé dès le début. Bien qu’au départ, nous ayons pensé à illustrer le podcast visuellement avec des images d’archives ou des animations, nous avons dû reconsidérer cette idée. Une fois la phase sonore achevée, nous avons réalisé qu’il fallait maintenir un haut niveau de qualité. Les animations de grande qualité sont coûteuses et la réalité économique du podcast au Maroc ne permet pas de supporter de telles charges, d’autant plus que la Fondation n’a aucun objectif lucratif derrière ce projet.

Utiliser des documents ou photos d’archives n’était pas pertinent non plus, en raison de la rareté et la pauvreté des archives de cette époque. Faites un tour sur YouTube et vous verrez que beaucoup de projets similaires utilisent tous les mêmes images de manière redondante et souvent anachronique, ce que nous voulions éviter à tout prix. Nous avons donc décidé de rester sur un support purement audio, mais de le peaufiner à son maximum, permettant aux auditeurs de créer leurs propres images mentales. Cela a non seulement préservé la qualité du projet, mais a également offert une expérience immersive unique.

– Quelle est votre analyse de l’essor des podcasts au Maroc ?

– Les podcasts ont vraiment trouvé leur place au Maroc. Depuis la pandémie, de plus en plus de Marocains, de tous les âges, se tournent vers ce format. On peut écouter un podcast en faisant du sport, en cuisinant ou en se déplaçant, ce qui est super pratique. Les sujets sont variés : Histoire, actualité, culture, récits personnels, débats… il y en a pour tous les goûts. La production est relativement peu coûteuse, ce qui permet à beaucoup de se lancer.

Les podcasts démocratisent notre façon de consommer l’information et le divertissement, et libèrent de plus en plus la parole. Dit comme ça, tout paraît trop beau. Cependant, il ne faut pas se leurrer, les bons podcasts de qualité sont assez rares et il faut vraiment les connaître ou les chercher car ils se noient facilement au milieu d’un océan d’OSNI (objets sonores non identifiés). Beaucoup de podcasts occupent indéfiniment le champ auditif pour ne diffuser que des idioties, des faits divers remplis de pathos, ou des histoires de pseudo success-stories dopées au narcissisme de leurs auteurs. Mais ça, c’est un peu le propre d’internet, non ?