Face à l’ex-propriétaire de la SAMIR, le Maroc a dû démonter un argumentaire complexe au CIRDI afin d’échapper à un dédommagement onéreux. Détails.
La procédure d’arbitrage relative à la SAMIR touche bientôt à sa fin. Après plus de cinq ans du début du litige entre le Maroc et le groupe suédois Corall, ex-actionnaire majoritaire de la raffinerie, le CIRDI s’apprête à rendre son arbitrage tant attendu. Ceci intervient après une longue procédure de rassemblement des preuves et des observations des parties au litige. Le tribunal arbitral, présidé par L’Italo-Britannique Luca G. Radicati Di Brozolo, s’apprête à rendre sa sentence finale. Cette décision a été prise conformément à l’article 38 de la convention du CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements). Ledit article dispose que “quand la présentation de l’affaire par les parties est terminée, l’instance est déclarée close”.
“Le Tribunal peut exceptionnellement, avant que la sentence ait été rendue, rouvrir l’instance pour le motif que de nouvelles preuves sont attendues de nature à constituer un facteur décisif, ou qu’il est essentiel de clarifier certains points déterminés”, lit-on sur le texte fondateur du centre qui relève de la Banque Mondiale.
L’issue de la sentence du tribunal arbitral est très attendue puisqu’il s’agit de l’aboutissement d’une affaire qui prend les observateurs en haleine. Le groupe Corral, défendu par le Cabinet britannique Gibson Dunn, a initialement réclamé plus de 14 milliards de dirhams de dédommagements dus à la faillite de la raffinerie en 2015 et sa liquidation judiciaire. Une somme qui peut être beaucoup plus onéreuse. En effet, on parle d’environ 2,8 milliards de dollars (l’équivalent de 27 milliards de dirhams), de dédommagements revendiqués par la filiale marocaine du groupe suédois Corral Morocco Holding, détenue par l’homme d’affaires saoudien Mohammed Al Amoudi. Cette somme, le double du montant initial, a été confirmée par la ministre de la Transition énergétique, Leila Benali, dans une correspondance parlementaire.
Traité d’investissement, théâtre d’une bataille juridique
Le groupe suédois estime que le gouvernement marocain a porté préjudice à son investissement au Royaume en alléguant la convention d’investissement qui relie le Maroc et la Suède. Signé en 1990 et publié au Bulletin Officiel dix-neuf ans plus tard (en 2009), cet accord porte sur la protection et la promotion réciproque des investissements. Le texte énumère en trois pages des clauses garantissant la protection des IDE de chacune des deux parties signataires. L’article 2 demeure l’une des dispositions les plus importantes et les plus exploitables par la partie plaignante dans la mesure où “il appelle chaque partie à assurer en permanence un traitement juste et équitable aux investissements des ressortissants et des sociétés de l’autre partie en s’abstenant de prendre toute mesure injustifiée susceptible d’entraver leur gestion, leur utilisation et leur jouissance, leur vente ou leur liquidation”.
L’article 4 est plus explicite puisqu’il interdit la nationalisation et évoque les conditions qu’il faut respecter avant que le pays hôte de l’investissement puisse procéder à des mesures ayant un impact sur l’investisseur. “Ni l’une ni l’autre partie contractante ne devra prendre de mesure de nationalisation ou d’expropriation ou toute autre mesure ayant le même effet dépossédant directement ou indirectement des ressortissants ou des sociétés de l’autre partie contractante d’un investissement, des revenus y afférents, ou du produit de liquidation…”, stipule la convention.
Or, le cas échéant, si le pays hôte prend des mesures ayant un effet quelconque sur l’investissement d’une société de l’autre pays contractant, en l’occurrence le groupe Corral, cette mesure doit être légale, avoir pour but un intérêt général, ne doit nullement être discriminatoire et doit être accompagnée d’une indemnisation promptement versée. Là, les deux parties au litige rivalisent d’interprétations, Le Maroc, représenté par Hicham Naciri, du Cabinet “Naciri et Allen Associés”, a tenté d’infirmer les charges de la partie plaignante, lors des dépôts des mémoires.
Le représentant du groupe suédois accuse tout simplement le gouvernement du Maroc d’avoir violé les termes de la convention. Or, dans les faits, la faillite de la SAMIR n’est pas due à une mesure prise directement par le gouvernement marocain mais d’une succession de difficultés financières qui ont mené à sa faillite en 2015. Rappelons que la société est redevable d’une dette d’environ 40 milliards de dirhams, dont 40% est détenue par l’Etat, par l’intermédiaire de l’Administration des Douanes, et le reste réparti entre des banques marocaines et internationales. Pour sa part, la Banque Populaire a une créance de 2 milliards de dirhams.
L’argumentaire marocain face à des accusations jugées surréalistes
La défense du Maroc, qui s’appuie sur des données livrées par plusieurs acteurs concernés, dont l’Agent judiciaire du Royaume, estime n’avoir nui de quelque façon que ce soit aux intérêts de l’investisseur ni être responsable de la faillite de la raffinerie. Dans son argumentaire, la défense du plaignant dresse un chef d’accusation, pour le moins que l’on puisse dire, difficilement compréhensible. Le Maroc est accusé d’avoir dévalué les parts de l’actionnaire majoritaire et d’avoir délibérément entravé l’approvisionnement de la raffinerie. Une sorte de blocus ! Or, la Justice n’a mis la main sur les actifs de la société que lorsqu’elle a été déclarée en faillite et mise en liquidation judiciaire, conformément à la loi, ce qui semble être en adéquation avec l’alinéa 1 de l’article 4 de la convention d’investissement maroco-suédoise.
L’avenir de la Raffinerie entre les mains de trois arbitres !
La décision du CIRDI est jugée décisive dans l’avenir de la SAMIR dont la liquidation judiciaire tourne en rond depuis 2016 faute d’un acheteur. Le Tribunal de Commerce de Casablanca n’est pas parvenu à trouver un nouvel acquéreur depuis lors malgré plusieurs tentatives. Le syndic auquel est confiée la procédure de liquidation, Abdelkebir Safadi, a dû même avoir recours aux services de la banque d’investissement CFG pour le seconder, sans succès.
De son côté, l’Etat reste attentif. Le gouvernement, qui semble écarter pour le moment l’option de la nationalisation, a constamment lié l’avenir de la raffinerie à l’issue du litige soumis au CIRDI. Le 26 janvier 2023, le ministre délégué auprès du chef du gouvernement chargé des Relations avec le parlement, et Porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, a fait savoir sans ambages qu’il serait illusoire de penser pouvoir résoudre cette affaire sans prendre en considération son issue au niveau de la Justice internationale, allusion faite au CIRDI. De quoi attiser les critiques du Front national de sauvegarde de la SAMIR, qui plaide instamment pour la nationalisation de la raffinerie. La privatisation reste encore une option parmi d’autres. Le sort des centaines de salariés de la raffinerie reste l’un des grands points d’interrogation, d’autant qu’ils ont dû subir une dévaluation de leurs salaires. Pour sa part, la ministre de tutelle, Leila Benali, a plusieurs fois déclaré que le règlement du dossier de la raffinerie prendra en considération les intérêts et les droits des employés.