Présent à la 25ème édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde à Essaouira, le jeune artiste gnaoua d’Agadir, Mehdi Qamoum, a captivé les participants par son charisme authentique et sa musique envoûtante. Interview.
Pouvez-vous décrire votre relation avec cet art ancestral et votre parcours en tant que Maâlam Gnaoui ?
Étant natif de la ville d’Agadir, j’ai grandi avec la musique Gnaoua, que nous appelons Isengan dans notre région. C’est une forme unique adaptée à la musique berbère, avec des instruments légèrement différents de ceux connus ailleurs, ainsi que des chants et des mots spécifiques.
Immergé dans cette tradition, pendant une période, j’ai ressenti le besoin de découvrir les différentes formes de cet art magnifique. J’ai entrepris un voyage à travers les diverses régions du Royaume, rencontrant de nombreux Maâlams avec des visions variées.
Mon périple a commencé à la Zaouia de Sidi Raouf, où j’ai reçu ma première formation. Adopter l’art Gnaoui comme style de vie et métier nécessite un guide spirituel, et pour moi, ce guide était Sidi Raouf. Sous sa tutelle, j’ai pu approfondir ma compréhension et ma maîtrise de cet art sacré.
Quel est, selon vous, l’impact actuel de la musique Gnaoua sur la culture marocaine ?
La musique Gnaoua, issue de l’Afrique de l’Ouest, a été apportée au Maroc par les esclaves. Elle s’est ensuite harmonisée avec la culture de chaque région. Par exemple, à Agadir, elle s’est fusionnée avec la musique Amazigh, à Meknès avec les Hmadchas, créant ainsi des variations régionales uniques.
Pour le public amateur, ces différences peuvent être imperceptibles, mais pour nous, chaque détail est distinct. Ce phénomène ne se limite pas au Maroc, mais s’étend à toute la région nord-africaine. En Algérie, on parle de « Diwane », en Tunisie de « Stambali », bien que ces formes ne soient pas aussi développées que celles au Maroc.
C’est pourquoi je suis particulièrement reconnaissant envers le Festival Gnaoua et Musiques du Monde. Ce grand rendez-vous joue un rôle crucial dans la promotion et le développement de cet art, notamment à travers les résidences musicales où des artistes de différentes influences se rencontrent et collaborent. Egalement, cela contribue grandement à la vitalité et à la richesse de la musique Gnaoua aujourd’hui.
L’art Gnaoui, dans sa forme actuelle, a-t-il vraiment besoin de se fusionner avec d’autres genres musicaux pour survivre ?
Lors d’une interview avec mon ami, et talentueux musicien, Mehdi Nassouli, on nous a posé cette même question. Il a donné une réponse que je trouve particulièrement éclairante : « Il ne s’agit pas de fusion mais de rencontre ». Par exemple, beaucoup disent que Nass El Ghiwane a fusionné l’art Gnaoui avec le « Melhoun ». Pour moi, ce n’est pas le cas. Je pense plutôt que ce groupe emblématique a contribué à la jonction de deux genres artistiques distincts.
Il faut noter que dans l’origine des genres tels que : le jazz ou le blues, largement représentés dans les résidences musicales, leur source est l’Afrique. Il s’agit donc de retrouvailles entre des frères de longue date. Ce retour aux racines est indispensable. D’une expérience personnelle, j’ai pu observer de nombreux points communs durant mes collaborations avec d’autres artistes. Ces échanges enrichissent l’art Gnaoui sans le dénaturer, renforçant ainsi son héritage tout en lui apportant de nouvelles perspectives.
L’offre actuelle de l’art Gnaoui en matière de festivals et concerts est-elle suffisante ?
Il n’y a pas de limite à l’engouement ! À chaque apparition sur scène, l’art Gnaoui suscite un vif intérêt. Aujourd’hui, il est présent dans presque tous les festivals et concerts, quel que soit le genre. Cependant, des efforts supplémentaires sont toujours nécessaires pour que cet art ancestral puisse prospérer et toucher un public encore plus large.
Le matin de l’Aïd, les Marocains ont l’habitude de se retrouver devant la télévision pour écouter de la musique arabo-andalouse, une coutume que nous gardons depuis des décennies. Mais je me demande vraiment s’il s’agit du seul genre adapté à nos fêtes spirituelles ? Pourquoi ne pas inclure du Gnaoui ? Ne sont-ils pas tous deux des arts marocains ?
Il est crucial de diversifier nos habitudes culturelles pour célébrer pleinement la richesse de notre patrimoine musical. Le Gnaoui, avec ses rythmes envoûtants et ses chants mystiques, peut apporter une dimension nouvelle et enrichissante à nos fêtes traditionnelles.
Mon message est simple : pensons aux genres musicaux marocains de manière équitable et intégrons-les à nos moments de joie de façon impartiale. L’art Gnaoui mérite sa place à côté des autres traditions musicales dans nos célébrations. Pour cela, il est essentiel d’encourager et de soutenir davantage d’événements dédiés à ce genre, afin de garantir sa transmission aux générations futures et de maintenir sa vitalité au sein de notre culture. En multipliant les occasions de découverte et d’appréciation de la musique Gnaoua, nous pouvons renforcer notre identité culturelle et faire rayonner cet héritage unique sur la scène internationale.
Personnellement, votre travail se résume-t-il dans les festivals ou bien s’étend-il sur l’intégralité de l’année ?
J’essaie de maintenir le même esprit et la même cadence de travail tout au long de l’année avec mon manager, mais ce sont souvent des efforts solitaires. Nous avons besoin d’une industrie solide permettant à cet art de prospérer et d’avoir la place qu’il mérite.
La production artistique, quelle qu’elle soit, nécessite l’engagement de tous les acteurs impliqués. Actuellement, je me retrouve souvent à travailler seul, tout comme mes confrères, à quelques exceptions près. Il est crucial de mettre en place des structures et des soutiens pour assurer la continuité et le développement de la musique Gnaoua.
Mon message s’adresse particulièrement aux producteurs et aux acteurs de l’industrie musicale : pensez à la musique Gnaoua dans vos projets. C’est une culture riche et dynamique qui mérite d’être mise en avant et intégrée dans les tendances contemporaines. Avec un soutien adéquat, la musique Gnaoua peut non seulement survivre mais aussi prospérer et évoluer, apportant sa contribution unique à la scène musicale mondiale. Nous avons le potentiel de transformer cet art ancestral en une force motrice dans l’industrie culturelle, tout en préservant son essence et ses racines profondes.
Recueillis par Yassine ELALAMI
Portrait
MediCament, harmonies Gnaoua pour l’âme moderne
Né en 1991 à Agadir, Mehdi Qamoum, connu sous le nom de scène MediCament, est bien plus qu’un artiste : il est un passeur de cultures, un guérisseur d’âmes à travers la musique Gnaoua. Son nom de scène lui-même reflète la profondeur spirituelle de cette tradition musicale, capable de soigner les esprits par ses rythmes envoûtants.
Artiste polyvalent, Mehdi Qamoum est à la fois chanteur, auteur-compositeur et musicien. Ses racines plongent profondément dans la musique Gnaoua tout en s’élargissant vers la World Music, fusionnant harmonieusement les traditions marocaines avec des influences africaines et des touches modernes de Rock et de Blues. En 2006, il fonde son premier groupe, « Ouled Bambara », marquant le début d’un parcours artistique prometteur.
Sa collaboration avec la plateforme Jazzawiya a été déterminante, permettant l’émergence d’artistes notables comme Mehdi Nassouli, Foulane Bouhsine et Hicham Issawi. Fort de cette expérience, Mehdi poursuit aujourd’hui son projet personnel, explorant un éventail varié de styles musicaux marocains tels que Gnaoua, Houara, Isengan, Reggada, Daqqa marrakchiya, en les enrichissant de son propre style unique.
Fidèle au guembri, instrument emblématique de la musique Gnaoua, Mehdi a même développé sa propre version électrique à quatre cordes, mariant tradition et innovation. Son engagement ne se limite pas aux frontières nationales : il a brillé sur de nombreuses scènes internationales, participant à des festivals de renoms comme L’Boulevard à Casablanca, Timitar à Agadir, le festival de Merzouga « Mama Africa », ainsi qu’au festival N’SanguNdjiNdji au Congo et à la résidence OneBeat aux États-Unis.