Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, et l’ensemble des chefs de file du Nouveau Front populaire ont appelé leurs candidats arrivés en troisième position à se désister pour faire barrage au Rassemblement national. Comment peut-on expliquer ces résultats ?
Dynamique
«Il y a une dynamique en nette progression depuis plusieurs années. L’année 2002 a été un moment fondateur puisque les élections présidentielles de cette année ont marqué durablement la vie politique française. En effet, lors de ces scrutins, le FN a réussi à séduire 4 millions de votants au premier tour et 5 millions au deuxième. En 2022, Marine Le Pen a fait 13 millions de voix», nous a expliqué une source partisane française. Et de préciser: «Le RN a aujourd’hui un électorat normalisé qui s’étale sur l’ensemble du territoire national et dans tous les milieux sociaux. Il ne s’agit plus simplement des ouvriers ou des personnes qui vivent le déclassement social. Ça touche aujourd’hui des professions qui étaient relativement épargnées comme les professeurs de l’Education nationale. Selon certaines études, un professeur sur trois se déclare du FN».
Pour notre source, il est impensable que les personnes ayant voté il y a 15 jours lors des élections européennes changent d’avis. «Les presque 10 millions de votants qui ont choisi le RN sont conscients que ces élections représentent la dernière occasion pour accéder au pouvoir et qu’il faut se mobiliser davantage. Ils savent aussi que si le FN a raté les élections de 2002, l’année 2024 sera favorable vu l’éclatement de la société française et l’incapacité de faire l’union sacrée dans une société extrêmement polarisée. D’autant que la gauche a réussi à faire un cartel électoral sans parvenir à réunir tous les points de vue et reste divisée parce que la société elle-même est divisée», a-t-elle observé. Et de noter: «Le RN gagne sur deux thématiques majeures, à savoir la migration-identité et la sécurité. C’est l’arrière-fond qui a mobilisé plusieurs électeurs avec notamment le rôle joué par certaines presses proches des idées de l’extrême droite. En effet, les élections de 2024 se distinguent de celles de 2002 par l’émergence d’une industrie d’information plus libérale et l’existence d’un acteur médiatique (Groupe Bolloré) qui a décidé de parier sur le FN. Ce qui est une nouveauté majeure».
Migration et sécurité
Selon notre source, le RN a réussi à faire de la thématique de la migration le facteur responsable de tous les maux de la société française. «Le hic, c’est que ce genre de discours résonne dans les esprits. Notamment les populations du monde rural ainsi que l’électorat issu des moyennes et petites villes, qui se sentent comme les premières victimes de la mondialisation et du déclassement social. Ils s’estiment démunis face aux fiches de paie qui n’augmentent pas, aux prix qui s’accroissent, au pouvoir d’achat qui s’affaiblit et au coût de l’énergie qui s’envole. Une étude a démontré dernièrement que 64% des personnes qui votent pour le FN assument être racistes. Nous sommes donc dans un basculement qui risque de se prolonger dans les 20 ans à venir. Pis, les derniers résultats des législatives représentent un très grand basculement dont l’impact sera transposable dans d’autres pays».
Instrumentalisation
Michel Agier, anthropologue, directeur de recherche émérite à l’Institut de recherche pour le développement, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et chercheur affilié à l’IC Migrations, a publié une tribune, mardi 25 juin 2024, dans Le Monde où il dénonce l’instrumentalisation des questions migratoires par une partie du spectre politique, qui ne cesse de diffuser des idées sur la migration largement démenties par la recherche. «Le thème de la migration, présenté par le Rassemblement national comme un problème urgent de sécurité et d’identité […], masque une infrapensée raciste réactivée face à la circulation des personnes issues des pays anciennement colonisés. […] Les faits […] parlent d’une réalité plus grande et ordinaire que tous les fantasmes véhiculés à leur propos», explique l’anthropologue. «Depuis 2018, les nombreuses recherches produites par l’Institut Convergences Migrations décrivent l’ancrage des migrations internationales dans toutes les sociétés, de départ, de transit et d’arrivée, les transformations sociales et culturelles que vivent les personnes en migration et celles qui les accueillent, mais aussi l’ampleur des violences vécues par les personnes issues de pays du Sud face aux politiques hostiles de la plupart des Etats européens», poursuit Michel Agier.
A la veille des élections législatives anticipées, Michel Agier nous invite à «regarder autour de [nous]». «Il est rare, pour ne pas dire exceptionnel, que chaque Français n’ait pas dans sa propre généalogie (ascendants, descendants, collatéraux et conjoints) des personnes à la couleur de peau, à l’accent ou au nom “qui ne font pas français”. Il est rare que cette altérité proche n’ait pas quelque chose à voir avec le passé colonial de la France, en Afrique, en Asie, en Océanie, au Proche-Orient ou aux Antilles». Selon lui, «Ce n’est […] pas la question de la migration qui inquiète l’extrême droite et la droite derrière elle. C’est la part d’étrangeté que chacun a en soi, chaque personne et tout le pays. Reconnaître cette part est la meilleure réponse à toute politique fondée sur la peur des autres», conclut-il.
Catastrophe
Mais, est-ce que la France est apte aujourd’hui à cohabiter avec le RN? «Un certain temps, il y avait le slogan : “La jeunesse emmerde le Front national”, scandé dans les manifestations contre l’extrême droite. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Plus d’un tiers des jeunes votent pour le RN. Mais il n’y a pas que la France qui a changé, c’est tout le continent européen. Et c’est pourquoi le deuxième tour s’annonce catastrophique faute d’unanimité entre les différentes composantes de la société française», a conclu notre source.
Hassan Bentaleb