Lors d’une interview avec Aswat Magharebia, Ali al-Abed a expliqué que ce système de parrainage est une nouvelle mesure prévue dans le sixième paragraphe de la loi n°24 de 2023, « sur la lutte contre l’installation d’étrangers en Libye ».
Le ministre a confirmé que les autorités libyennes ont déjà commencé à mettre en œuvre ce nouveau système, ajoutant qu’une période de grâce de 90 jours est accordée aux travailleurs résidant en Libye pour qu’ils se rendent à l’agence pour l’emploi la plus proche afin de compléter leurs informations.
Il a indiqué qu’il y a plus de 130 agences pour l’emploi dans le pays, en plus de la plateforme numérique en ligne Wafid, où les travailleurs étrangers peuvent également enregistrer leurs données.
L’objectif de ce système est de rendre les entreprises et employeurs libyens coresponsables, avec l’État, de la sécurité, de la localisation, ainsi que des procédures légales et sanitaires des travailleurs étrangers, a-t-il précisé. Décryptage.
Motivations
Pour l’autorité libyenne chargée de la gestion du marché de l’emploi, la mise en place d’un régime de la Kafala (parrainage des travailleurs étrangers) trouve sa raison d’être dans la place et le rôle de la Libye comme étant le plus grand marché du travail en Afrique du Nord et une destination pour la majorité des travailleurs étrangers, qu’ils soient originaires de pays africains ou de pays voisins.
Cette mise en place du régime de la Kafala se justifie également, selon la même source, par le chevauchement de plusieurs parties dans la juridiction relative au recrutement de la main-d’œuvre étrangère. L’exemple le plus illustratif demeure celui de la Commission militaire d’investissement, qui peut accorder des autorisations pour faire venir de la main-d’œuvre, même si cette prérogative ne fait pas partie légalement de sa mission.
D’autant que ces travailleurs étrangers peuvent accéder au pays via les organismes non officiels ou les frontières du sud qui sont ouvertes aux étrangers, sans parler des bandes organisées et des criminels qui travaillent dans le trafic d’êtres humains et qui font venir des travailleurs étrangers.
Les transferts de fonds effectués par les travailleurs expatriés en Libye estimés à 26 milliards de dinars par an, soit l’équivalent de 5,38 milliards de dollars, posent aussi problème puisque cette opération se déroule par le biais du marché parallèle et ne profite pas à l’économie nationale ou aux «gouvernements» des pays vers lesquels l’argent est envoyé.
Kafala
Quelle forme prendra le nouveau régime de la Kafala? D’après le ministère du Travail, le nouveau système est différent de celui en vigueur dans les pays du Golfe qui ont d’autres spécificités géographiques et géostratégiques. Selon le département du Travail libyen, les pays du Golfe sont de petite taille et ne sont pas exposés au risque d’immigration irrégulière. D’autant qu’ils n’ont pas de frontière avec l’Europe.
L’application du régime de parrainage en Libye sera possible, selon le ministre du Travail, par le biais de sociétés d’embauche qui signent des contrats et délivrent des permis de séjour et des assurances maladie. Le contrat de travail approuvé en Libye garantit au travailleur le droit de quitter le pays quand il le souhaite et d’y rester aussi longtemps qu’il le veut, à condition qu’il respecte les procédures et les contrôles médicaux, qu’il soit résident et qu’il s’acquitte des impôts et des taxes.
Les responsables libyens tiennent à souligner qu’ils respectent toutes les normes et réglementations internationales en matière de protection des droits de l’Homme et du droit du travail. Ils rappellent, à ce propos, que la Libye, en tant que membre de l’Organisation internationale du travail (OIT), a informé cette instance onusienne et ses partenaires dans les pays méditerranéens, en particulier les pays 5+5, de cette mesure en assurant que les contrats de travail présentent des garanties suffisantes pour le travailleur étranger et contiennent des clauses qui assurent leur légalité.
Le contrat entre le travailleur et l’employeur sera soumis au Code pénal libyen et approuvé par l’ambassade du pays du citoyen qui se trouve en Libye, ou bien son ambassade peut également utiliser ce contrat pour communiquer avec les autorités libyennes, se renseigner, enquêter et réclamer les droits du travailleur.
Profil
Mais qui sont ces travailleurs étrangers ? Les résultats préliminaires de l’enquête sur le marché du travail libyen ont révélé que le nombre de travailleurs expatriés en Libye est estimé à 2,1 millions, soit un travailleur étranger pour quatre Libyens, d’après des statistiques publiées par le ministère du Travail et de la Réhabilitation du gouvernement d’union nationale à Tripoli à la fin de 2022. La majorité de ces travailleurs se concentrent dans la région occidentale, lieu de la mobilité économique et de l’activité industrielle et commerciale en Libye.
A noter, toutefois, qu’à l’exception de ceux qui viennent de Tunisie, de certains Algériens et Marocains, la plupart des travailleurs entrent illégalement en Libye, selon des estimations, et si l’on exclut les travailleurs du gouvernement, la plupart des travailleurs étrangers font partie de l’économie souterraine, qui représente plus de la moitié du produit intérieur brut (PIB) du pays.
Ils proviennent souvent d’Égypte, de Tunisie et de nombreux pays africains, avec quelques Asiatiques du Bangladesh et du Pakistan. En termes de nombre, ceux qui viennent d’Égypte, du Soudan, du Niger et du Tchad arrivent en tête, suivis de ceux provenant de Tunisie, du Nigeria, du Ghana et d’autres pays africains. La majorité d’entre eux travaillent dans les secteurs de la construction, de l’approvisionnement en eau, de l’électricité et du gaz, et dans les domaines de l’agriculture, du pastoralisme, de l’industrie alimentaire et de l’artisanat.
La plupart d’entre eux perçoivent des salaires journaliers sans contrat officiel, notamment dans les secteurs de l’agriculture en dehors des villes, de la construction, du nettoyage, ainsi dans les ateliers et restaurants.
Selon la loi n°508 de 2022 du ministère de l’Economie et du Commerce, ces étrangers sont interdits d’acheter et de vendre directement ou pour le compte d’autrui, de louer des boulangeries et des magasins pour eux-mêmes et d’exercer des activités de courtage immobilier.
Les travailleurs migrants sont actuellement autorisés à obtenir un permis de travail s’ils ont un contrat de travail en Libye, répondant aux conditions énoncées par les dispositions réglementaires nationales. L’employeur doit être légalement enregistré, et le contrat doit être conforme aux conditions et procédures fixées par le droit du travail national. Cependant, les autorités n’appliquent pas toujours les procédures strictement ou à la lettre, si bien que leur mise en œuvre varie d’une municipalité à l’autre, révèlent les évaluations effectuées en 2019 par l’OIM en Libye.
Les non-dits
Toutefois, pour une certaine frange de l’opinion publique libyenne, la main-d’œuvre étrangère est accusée de tous les maux qui secouent la société libyenne. Elle est accusée « de déposséder les locaux des opportunités d’emploi, d’évasion fiscale, de fausser le jeu de l’offre et de la demande… Selon certains médias locaux, « les citoyens ont le sentiment que la main-d’œuvre étrangère contribue à l’augmentation des prix des produits de première nécessité, à la propagation des maladies et à la modification du profil démographique de la population dans toutes les villes libyennes ».
Les jeunes Libyens exerçant des professions commerciales se plaignent de plus en plus de « la détérioration de leurs revenus financiers en raison de la concurrence intense de la main-d’œuvre expatriée ». Ils estiment que certaines professions sur le marché libyen sont « dominées par des étrangers, comme le bâtiment et la construction, les confiseries, le marché des légumes, les boucheries, les exploitations agricoles et d’autres professions qui ont réduit les possibilités d’emploi pour les Libyens ». Alors que la réglementation du marché du travail libyen, précisent-ils, obligeait les propriétaires d’exploitations agricoles, de marchés, de magasins à employer davantage de travailleurs libyens que d’étrangers, les contrevenants à rendre des comptes et leur interdisait de renouveler leurs licences.
L’envol des prix des légumes et des fruits a également été attribué aux travailleurs étrangers qui vendent ou importent des produits agricoles. Ces travailleurs sont accusés aussi « de transfert de fonds par le biais du marché parallèle. Ce qui induit la hausse du taux de change et du niveau de gaspillage d’argent pour l’économie nationale ».
Selon des estimations révélées lors d’un conseil des ministres à Tripoli, « les envois de fonds des travailleurs expatriés sont estimés à 2,6 milliards de dollars par an, somme transférée au détriment de l’État par le biais du marché parallèle de devises ». D’autant que ces travailleurs « partagent avec les Libyens la jouissance de biens et de services subventionnés, en particulier le carburant, l’électricité et l’eau, et ne paient pas d’impôts, de taxes et de redevances, et que leur grand nombre contribue à l’augmentation de la demande de biens et à la hausse des loyers des maisons, magasins et ateliers ».
Ces Libyens reprochent également à l’État « son incapacité à s’attaquer au dilemme de l’emploi, soulignant que ce problème fait perdre à la Libye d’énormes sommes d’argent et engendre des coûts considérables ».
Inquiétude
Pour les MRE résidant en Libye, cette décision risque de compliquer davantage leurs conditions de séjour. Ils demandent aux autorités marocaines d’intervenir d’urgence pour résoudre les problèmes en suspens, en raison de la difficulté de régulariser leur statut après la fermeture du consulat marocain pendant dix ans, celui-ci n’ayant repris ses activités que récemment.
Selon ces ressortissants marocains, le gouvernement de M. Debiba n’a pas pris en compte leur situation particulière et exceptionnelle, étant donné que le consulat marocain chargé du renouvellement de leurs documents est resté fermé pendant dix ans, malgré le fait que Rabat ait accueilli les négociations entre les parties libyennes en conflit.
Des sources marocaines estiment qu’environ 20.000 Marocains en Libye risquent l’arrestation et l’expulsion, tout en devant payer des « amendes mensuelles estimées à l’équivalent de 95 euros, appliquées rétroactivement par le gouvernement d’union nationale ».
Les services consulaires marocains ont repris à Tripoli fin mars, mais le personnel consulaire ne peut pas renouveler les documents de tous les Marocains en Libye en seulement trois mois.
Critiques
Certains pensent que le régime de la Kafala, est difficile à appliquer pour le moment en Libye, et ce pour plusieurs raisons, notamment la division du pays, les frontières reliant la Libye à six pays voisins et les grandes vagues d’immigration irrégulière pour atteindre l’Europe.
D’autres estiment que les contours du nouveau « système de parrainage » « demeurent imprécis et redoutent que les propriétaires d’entreprises privées ne l’exploitent pour s’enrichir et obtenir des commissions de la part des migrants en échange de la régularisation de leur statut dans les circonstances actuelles, compte tenu notamment de la porosité des frontières et du phénomène croissant du trafic d’êtres humains ». D’autant que le gouvernement d’union nationale, depuis son installation a signé plusieurs accords avec des pays frères et amis pour accueillir de nombreux travailleurs, « sans prévoir à l’avance comment organiser leur logement, leur résidence, leur mouvement, les permis d’entrée et de sortie, et d’autres procédures ».
Pour certains experts, « la priorité doit être donnée à la réforme du marché de l’emploi, marqué par un secteur public pléthorique (employant 70% des salariés), un secteur privé anémique et un système éducatif mal planifié. Ces tendances, conjuguées à un environnement réglementaire et financier hostile, ont créé des attentes divergentes en matière d’emploi et donné de l’importance au secteur privé informel», indique un rapport de l’OIM datant de 2019. ET d’ajouter que « le cadre législatif fragmenté est une source de difficultés additionnelles car de nombreuses lois édictées dans les années 1970 et 1980 sont toujours en vigueur alors qu’elles sont dépassées et ne sont plus pertinentes. Des études ont laissé entendre qu’il serait bon d’examiner en détail la législation sur le travail, les droits des travailleurs et les organisations syndicales en Libye afin d’obtenir un meilleur aperçu et d’identifier les besoins et les lacunes. La faiblesse des syndicats, l’absence de lois réglementant les relations entre travailleurs et employeurs, la nécessité d’élaborer des stratégies claires pour développer le marché du travail et l’instabilité des institutions du marché du travail comptent parmi les autres facteurs qui influent ce marché ».
D’autres études révèlent que « les migrants sont potentiellement plus vulnérables aux violations des droits de l’Homme et à l’exploitation que les communautés d’accueil. Des situations d’exploitation peuvent se présenter chaque fois qu’aucun document officiel, contrat écrit ou paiement régulier n’est garanti pour le travail effectué. D’autres études ont noté une insuffisance des efforts formels en matière de gouvernance des migrations – tant aux niveaux national que local – visant à améliorer la situation des migrants en Libye avec pour objectif final leur intégration dans la société (par opposition à la détention et aux expulsions). Étant donné la mauvaise gouvernance dans ce domaine, un soutien technique aux gouvernements locaux du pays sans un renforcement des structures législatives et de gouvernance n’aboutirait pas automatiquement à une amélioration de la situation des migrants ».
Perspectives :
Toutefois, l’étude de l’OIM soutient que « le marché du travail pourrait être suffisamment vaste pour absorber la main-d’œuvre migrante. La majorité des personnes interrogées ont déclaré avoir un emploi et ne pas rencontrer de difficultés majeures pour trouver un travail en Libye ». En outre, « il a été constaté que dans l’ensemble, la migration vers la Libye a une incidence positive nette sur la situation des migrants interrogés au regard de l’emploi, 76% déclarant avoir un emploi en Libye au moment de l’enquête, et seulement 52% disant avoir eu un emploi dans leur pays d’origine avant de partir pour la Libye.
La majorité d’entre eux ont déclaré avoir déjà rapatrié des fonds dans leur pays d’origine depuis leur arrivée en Libye. En moyenne, les migrants ont dit avoir rapatrié 2.500 dollars par personne depuis leur arrivée dans le pays. Les migrants de longue date ayant rapatrié des fonds ont déclaré être le principal soutien économique du ménage destinataire ».
Lesdites études ont aussi montré que « les migrants ne sont pas perçus par la communauté locale comme des concurrents pour les ressortissants libyens sur le marché du travail car ils occupent souvent des postes que les nationaux sont généralement réticents à accepter. Par exemple, la détérioration de la situation économique après 2011 s’est traduite par une prolifération d’initiatives entrepreneuriales au niveau local dans des secteurs aussi variés que la construction, l’agriculture à petite échelle ou l’industrie légère. Dans une large mesure, ces types d’entreprises dépendent toutes de la main-d’œuvre migrante ».
En outre, « les migrants représentent souvent une source de revenus pour la communauté locale, qui tire profit des services qu’elle leur fournit. Ainsi que l’a relevé une récente étude sur la gouvernance des migrations en Libye, « d’un point de vue économique, les migrants contribuent de longue date et pour une part importante à l’économie libyenne ; les tentatives visant à améliorer leur situation devraient pouvoir se traduire par des gains économiques à la fois pour la communauté des migrants et la communauté d’accueil ». En résumé, « la Libye reste un pays de destination pour les travailleurs migrants. Malgré les nombreuses difficultés auxquelles le pays est confronté les migrants continuent de contribuer à combler les pénuries sur le marché du travail libyen », conclut ladite étude de l’OIM.
Hassan Bentaleb
interdiction d’acquérir des biens en son nom propre, interdiction d’exercer des activités autres que celle pour laquelle il a été recruté, et impossibilité de changer d’activité ou d’employeur sans autorisation officielle. En cas de rupture prématurée du contrat, le migrant doit rembourser les frais de voyage (visa, billet, etc.) à l’agence de placement.
Sur le plan économique, la Kafala est une relation de service nécessitant une rémunération entre le kafil et le migrant. Les grands kafils, souvent gestionnaires d’agences de placement, recrutent en fonction des origines nationales et peuvent servir de prête-noms pour des entreprises, des sociétés fictives, des entrepreneurs et des commerçants étrangers, recevant des dividendes importants des employeurs et des migrants. Les petits kafils, qui répondent à des demandes familiales ou circonstancielles, sont également rémunérés par les migrants pour les services bureaucratiques rendus. Le coût de ces services varie selon la nationalité, la qualification, le genre et la religion du migrant. En fin de compte, la Kafala constitue une forme d’exploitation ou de « rente migratoire » dont bénéficient les citoyens saoudiens.
Toutefois, depuis le 14 mars dernier, le système de la Kafala a été annulé en Arabie Saoudite. Ainsi, tout travailleur étranger n’a désormais plus besoin de l’autorisation de son employeur pour changer d’emploi, voyager ou quitter définitivement le Royaume. Pour bénéficier du nouveau système, il suffit de justifier de l’exercice d’un emploi professionnel soumis au régime du travail et d’une expérience d’un an au minimum depuis son arrivée dans ce pays. En cas de rupture unilatérale de la relation de travail, le salarié étranger doit adresser, dans un délai de 90 jours, une notification électronique (préavis) à l’employeur.
Toutefois, cette annulation tant attendue ne profitera pas à tout le monde puisque 60% de la main-d’œuvre étrangère est exclue des nouvelles mesures. En effet, il ne s’agit pas d’un changement de fond du système de la Kafala, mais plutôt de son appellation. En effet, le kafil existe toujours. Il a seulement changé de nom pour devenir «un patron»». Ceci d’autant plus que ce nouveau système ne concerne que les contrats de travail gérant la relation entre personnes morales et physiques. Autrement dit, seules les relations de travail entre une entreprise ou une institution et un salarié sont régies par le nouveau système. Quant aux relations entre personnes physiques, elles sont toujours sous le régime de la Kafala ».
En effet, le nouveau système exclut cinq catégories de professions des nouvelles mesures, à savoir les chauffeurs privés, les gardiens, les domestiques, les bergers et les jardiniers. Or, ces professions représentent un pourcentage important des travailleurs du secteur privé, ce qui réduit considérablement le nombre des bénéficiaires de l’initiative. En fait, l’Arabie Saoudite compte 3,7 millions de travailleurs domestiques (soit près de 59% des travailleurs du secteur privé), selon Human Rights Watch et 800.000 chauffeurs privés. A noter que le pays emploie 6,5 millions de travailleurs étrangers, dont environ 6,27 millions travaillent dans le secteur privé, selon les dernières statistiques officielles saoudiennes.
Source : Libé