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Sebta et Mellilia : Madrid s’impatiente, Rabat hésite [INTÉGRAL]

Sebta et Mellilia : Madrid s’impatiente, Rabat hésite [INTÉGRAL]

La reprise de la circulation des marchandises avec Sebta et Mellilia est-elle envisageable ? Si les deux pays semblent d’accord pour relancer une activité commerciale normale autour de ces deux présides, le Royaume du Maroc ne semble pas pressé de rouvrir les passages frontaliers de Tarajal (Sebta) et Béni Ensar (Mellilia). Cette situation suscite de l’indignation du côté espagnol, où le gouvernement de Pedro Sánchez est pressé par les partis d’opposition de trouver une issue à ce dossier.

Mardi prochain, une session plénière du Congrès des députés espagnol (Chambre basse) discutera une proposition du Parti Populaire (PP) demandant au gouvernement de négocier avec le Maroc l’ouverture des douanes à Sebta et Mellilia dans un délai de 90 jours. Les députés du PP ont exprimé leur frustration, affirmant que la nouvelle phase des relations avec le Maroc « reste sans résultats, et affecte particulièrement l’engagement de rouvrir les douanes » des deux présides espagnols.
 
L’ouverture des douanes aurait dû être réalisée depuis longtemps, notamment pour normaliser les relations commerciales entre la ville autonome et le Maroc, ce qui bénéficierait aux commerçants et aux citoyens”, a insisté le porte-parole du gouvernement de Sebta, Alejandro Ramírez.
 
Femmes-mulets
 
Pour rappel, les passages ont été unilatéralement fermés par les autorités marocaines en mars 2020, lors de la première vague de la pandémie de Covid-19. Depuis la reprise officielle des relations diplomatiques entre Rabat et Madrid en avril 2022, les deux gouvernements se sont engagés à revenir à une circulation normale des personnes et des marchandises, sans succès jusqu’à présent.
 
Alors que les Espagnols souhaitent ardemment cette réouverture pour desserrer l’étau sur les deux villes, des hésitations persistent du côté marocain. « Il y a une crainte que la situation dégénère et qu’on revienne aux pratiques de contrebande d’antan« , nous confie une source proche du dossier. Avant la fermeture des frontières, quelque 9.000 Marocains, dont les fameuses « femmes-mulets », s’adonnaient à ces pratiques déshumanisantes, avec des conséquences économiques désastreuses pour l’économie nationale.
 
D’après les estimations, le manque à gagner pour le Maroc serait de 12,5 milliards de dirhams. Le Royaume souhaite rompre définitivement avec les pratiques du passé et veut mettre en place toutes les dispositions techniques et humaines nécessaires avant une potentielle réouverture de ces passages frontaliers. Lors de la visite du ministre des Affaires étrangères espagnol José Manuel Albares au Maroc en décembre dernier, les deux pays s’étaient engagés à respecter la feuille de route tracée.
 
Le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, avait alors justifié le retard pris dans la réouverture des frontières terrestres par « des problèmes techniques et non politiques ».
 
Asphyxie économique
 
Le trafic transfrontalier est crucial pour les habitants de Sebta et Mellilia. Les deux villes « exportent vers le Royaume des marchandises représentant, à peu près, l’équivalent des exportations espagnoles en Australie« , soulignait une étude de l’Institut Marocain d’Intelligence Stratégique (IMIS) publiée en février 2022. Le commerce transfrontalier représente la plus grande part du PIB de Sebta et Mellilia.
 
Selon les données de la Direction générale espagnole des impôts, la contrebande entre Sebta et Fnideq se chiffre entre 6 et 8 milliards de dirhams par an. Depuis la fermeture des frontières, Sebta et Mellilia croulent sous le poids d’une véritable asphyxie économique. Cette situation a poussé le gouvernement espagnol à élaborer un plan de sauvetage socio-économique pour elles.
 
Ce plan prévoit, entre autres, l’inclusion des deux villes dans l’Union douanière européenne, la réforme du régime économique et l’octroi d’avantages fiscaux pour promouvoir de nouveaux secteurs d’activité, comme le tourisme et les jeux d’argent en ligne.
 

Trois questions à Yassine El Yattioui “La fermeture des postes douaniers dévoile la dépendance économique des deux enclaves vis-à-vis du commerce avec le Maroc”
L’opposition de droite fait beaucoup de pression sur le gouvernement de Pedro Sanchez en exploitant la situation de Sebta et Mellilia. S’agit-il d’une tactique politicienne ?
 
Il s’agit d’une rhétorique qui ressemble à une tactique politicienne visant à affaiblir le gouvernement de Sanchez. Ce discours est motivé par des considérations électorales plus que par une évaluation objective des relations maroco-espagnoles, devenues très dynamiques ces derniers mois. Accuser le gouvernement espagnol de « faiblesse » est une tentative de polariser l’opinion publique en exploitant des questions de souveraineté et de sécurité nationale. Une telle approche néglige la complexité des relations hispano-marocaines, où des tensions diplomatiques peuvent impacter la coopération bilatérale, comme ce fut le cas pendant la pandémie où les relations se sont compliquées vu l’incapacité de l’Espagne à répondre aux attentes marocaines sur le commerce maritime, les enclaves espagnoles et la question du Sahara. En outre, le discours du PP instrumentalise des enjeux territoriaux de Sebta et Mellilia pour galvaniser sa base électorale et affirmer une position nationaliste plus rigide. C’est une manière de détourner l’attention des enjeux internes à l’Espagne, tels que les défis économiques et sociaux, en pointant du doigt un « ennemi extérieur ». 
 

La droite et l’extrême droite espagnoles font de Sebta et Mellilia un cheval de bataille politique. Qu’en pensez-vous ?

La droite et l’extrême droite espagnoles utilisent effectivement Sebta et Mellilia comme un cheval de bataille politique. Cette instrumentalisation est particulièrement évidente dans les discours de figures politiques de Vox et du PP. Par exemple, après la crise migratoire de 2021, Santiago Abascal a déclaré que le gouvernement de Sánchez avait « abandonné » Sebta et Mellilia, tandis que Pablo Casado, de son côté, a affirmé que « la politique étrangère de Sánchez envers le Maroc est une menace pour l’unité et la sécurité de l’Espagne ». Ces déclarations montrent comment la droite et l’extrême droite utilisent ces enclaves pour accentuer les tensions et galvaniser un électorat sensible aux questions de sécurité et de souveraineté. 
 

Qu’est-ce qui explique, à votre avis, le retard patent de la réouverture tant attendue des postes douaniers ?
 

Ce retard peut être attribué à plusieurs facteurs. N’oublions pas que ces enclaves sont perçues par le Maroc comme des territoires sous occupation. Le Maroc maintient une revendication de souveraineté sur ces enclaves, et toute décision concernant les postes douaniers est intrinsèquement liée à cette revendication. L’objectif est d’isoler de plus en plus ces enclaves sur le plan géostratégique mais aussi économique. C’est une sorte de “diplomatie de l’usure”. 
 
Du point de vue économique, la fermeture des postes douaniers a mis en lumière la dépendance économique des deux enclaves vis-à-vis du commerce transfrontalier avec le Maroc. Cependant, cette fermeture a également permis au Maroc de renforcer ses propres infrastructures portuaires et commerciales, notamment à Tanger Med, devenu un véritable hub mondial dans le commerce maritime et fragilisant encore plus les deux enclaves ainsi que le port d’Algesiras. Ainsi, le Maroc préfère consolider ses propres capacités logistiques et commerciales. 
 
Recueillis par Anass MACHLOUKH 

Flux migratoires : Le Maroc fait le job
Bien que les douanes commerciales ne soient pas encore rouvertes, la coopération migratoire entre le Maroc et l’Espagne bat son plein, et ce, tel que prévu dans la feuille de route. Tout récemment, à la veille de l’Aïd Al-Adha, près de 200 migrants, issus de plusieurs nationalités dont des Algériens et des Subsahariens, ont été interceptés près de Sebta grâce à l’intervention des autorités marocaines qui ont procédé à une opération préventive. Les migrants arrêtés avaient envisagé de franchir la double barrière terrestre pour accéder à la ville, d’autres ont tenté de le faire à la nage à l’aide de bateaux de pêche. L’avortement de cette tentative de migration forcée fait suite à une série d’opérations réussies. Les efforts du Maroc ont été salués par le ministre espagnol de l’Intérieur, Fernando Grande Marlaska, qui, dans une déclaration faite en février 2024, a souligné l’exemplarité de la coopération migratoire entre Rabat et Madrid. “Les fondements de la coopération entre le Maroc et l’Espagne ont été construits au fil des années sur des objectifs et des principes partagés, dans le cadre de la confiance réciproque et de la loyauté absolue, permettant aux deux parties de développer des moyens d’interaction dans un esprit d’efficacité et d’efficience”, avait-il déclaré.
 

Espagne : La droite joue sa carte de pression sur Pedro Sanchez
Cela fait des années que la droite espagnole, y compris sa composante extrême, fait du Maroc et de Sebta et Mellilia une carte de pression sur le gouvernement de Pedro Sanchez dont le rapprochement inédit avec le Royaume depuis la réconciliation en 2022 et les décisions qui en ont résulté ne sont pas vus d’un bon œil par le Parti Populaire (PP) et son allié VOX. À l’Assemblée des députés comme au Sénat, les élus de droite s’emploient à chaque fois à mener des initiatives législatives hostiles au Maroc, tout en abordant le sujet des deux villes avec un discours hyper nationaliste. Les sénateurs du Parti Populaire, rappelons-le, ont fait voter une motion appelant à surveiller davantage “les actions du Maroc à l’égard de Sebta et Mellilia”.
 
Porté par le sénateur Fernando Gutiérrez Díazde Otazu, ce texte a été voté dans la commission des Affaires étrangères avec le soutien de la gauche radicale. Ce n’est qu’une des nombreuses tentatives du PP qui a voulu même convaincre le Parlement de voter une loi destinée à demander d’inclure les deux enclaves dans l’OTAN.
 
Maintenant, le PP ne cesse d’exiger la réouverture immédiate des douanes commerciales à Sebta et Mellilia, comme l’a fait savoir la députée Sophia Acedo Reyes. Au fur et à mesure que le temps passe, les élus du PP radicalisent leur discours. Pour sa part, le gouvernement espagnol demeure serein et ne cède pas à la surenchère politique à laquelle se livrent ses adversaires politiques. Le Chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares, a, à maintes reprises, assuré que les douanes commerciales seront ouvertes selon un “calendrier convenu” avec les autorités marocaines. La réouverture des douanes de Sebta et Mellilia est si présente dans le débat politique espagnol en raison de son impact multidimensionnel, souligne Yassine El Yassitoui, expert en géopolitique, rappelant que la reprise douanière promet économiquement un regain d’activité et des opportunités commerciales. “Géopolitiquement, elle est un baromètre des relations hispano-marocaines. Et en termes de sécurité, elle offre des solutions potentielles pour une gestion plus efficace des flux migratoires”, souligne notre interlocuteur.