Les premières estimations ont confirmé une progression des droites nationalistes et radicales, et un revers cuisant pour les dirigeants des deux premières puissances de l’UE, le chancelier allemand Olaf Scholz et le président français Emmanuel Macron, qui a annoncé une dissolution de l’Assemblée française.
Ce scrutin, où plus de 360 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour désigner 720 eurodéputés, s’est déroulé depuis jeudi dans un climat alourdi par une conjoncture économique morose et la guerre en Ukraine.
La « grande coalition » centriste de la droite (PPE), des sociaux-démocrates (S&D) et des centristes (Renew Europe), au sein de laquelle se forgent traditionnellement les compromis au Parlement européen, devrait conserver la majorité.
Selon des projections publiées dans la nuit de dimanche à lundi par l’institution elle-même, le PPE décrocherait 189 sièges, les S&D 135 et Renew Europe 83, soit 404 sièges sur un total de 720. Les Verts chuteraient eux à 53 sièges (contre plus de 70 actuellement).
En France, le Rassemblement national mené par Jordan Bardella a dominé le scrutin avec plus de 31,5% des voix, loin devant le parti Renaissance du président Macron (15,2%), selon des estimations des instituts de sondage. Le RN décrocherait ainsi 31 des 81 eurodéputés français.
En Allemagne, en dépit des derniers scandales qui ont éclaboussé sa tête de liste, l’extrême droite AfD est créditée de la deuxième place avec 16,5-16% des voix, derrière les conservateurs CDU-CSU (29,5-30%), mais loin devant les partis de la coalition au pouvoir, sociaux-démocrates (14%) et Verts (12%).
En Italie, la cheffe de gouvernement italien Giorgia Meloni, qui avait fait de cette élection un référendum sur sa personne, semble avoir réussi son pari: son parti post-fasciste, Fratelli d’Italia, arrive en tête avec de 25 à 31% des suffrages, selon différents sondages réalisés à la sortie des urnes.
En Autriche, le FPÖ sort victorieux du scrutin (27%), et les Néerlandais, premiers à voter jeudi, ont nettement renforcé le parti d’extrême droite de Geert Wilders.
En Pologne, le parti centriste pro-européen du Premier ministre Donald Tusk est arrivé devant le parti nationaliste populiste Droit et Justice (PiS), mais celui-ci conserve un score élevé et l’extrême droite de Konfederacja, très eurosceptique, n’enverra pas moins de six eurodéputés à Strasbourg.
Pour autant, l’extrême droite reste divisée au Parlement européen en deux groupes (ID et ECR) dont le rapprochement reste très incertain en raison de leurs importantes divergences, en particulier sur la Russie.
Il faut aussi compter les gains de certaines forces parmi les non-inscrits, comme l’AfD. Egalement non inscrit, le parti Fidesz du Premier ministre nationaliste hongrois Viktor Orban arrive en première position mais enregistre un net recul par rapport à 2019.
« Les voix d’extrême droite et de droite souverainiste ne sont pas additionnables, ceci va limiter leur poids direct dans la législature », explique à l’AFP Sébastien Maillard, de l’Institut Jacques Delors.
« Mais la vague brune, éclatante en France notamment, va inévitablement imprégner le climat politique dans laquelle agira la Commission et la majorité devra en tenir compte », ajoute-t-il. « A défaut de peser directement, l’extrême droite pourra influer insidieusement », estime l’expert.
Alors que les eurodéputés adoptent les législations de concert avec les Etats membres, les droites radicales pourraient se faire entendre sur des dossiers cruciaux: politique agricole, immigration, objectifs climatiques, mesures environnementales auxquelles elles sont farouchement hostiles…
« Le PPE est le groupe politique le plus puissant (…) Nous construirons un rempart contre les extrêmes de gauche et de droite, nous les arrêterons », a assuré dimanche la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, issue du PPE, et candidate à sa reconduction.
Elle devra obtenir l’aval des dirigeants des Vingt-Sept puis un vote favorable des eurodéputés – qui en 2019 ne lui avaient accordé leur confiance qu’à une très courte majorité (neuf voix).
Pendant la campagne électorale, Mme von der Leyen a courtisé la dirigeante italienne Giorgia Meloni, en qui elle voit une partenaire fréquentable, pro-européenne et pro-Ukraine – au grand dam des alliés libéraux et socialistes du PPE, mais aussi des Verts.
« Soutiendrons-nous Ursula von der Leyen? C’est trop tôt pour le dire. Très clairement, nous sommes prêts à négocier », mais à condition d’exclure tout rapprochement avec Mme Meloni, a soutenu le chef de file écologiste pour les européennes, Bas Eickhout.
Il fait de l’approfondissement du Pacte vert « un élément très important » du futur programme de la Commission, alors même que le PPE s’y montre extrêmement réticent.
Mme Meloni, qui s’est présentée comme tête de liste à cette élection, a réaffirmé de son côté vouloir « défendre les frontières contre l’immigration illégale, protéger l’économie réelle, lutter contre la concurrence déloyale ».
Giorgia Meloni soutient par ailleurs fortement l’aide à l’Ukraine – à l’inverse du Premier ministre hongrois Viktor Orban : très critique de Bruxelles, le dirigeant nationaliste multiplie par ailleurs les attaques contre l’Otan, l’accusant d’entraîner les pays de l’Alliance dans une « conflagration mondiale ».
Les divisions de l’extrême droite sur l’attitude à adopter face à Moscou pourraient compliquer les négociations dans l’UE à l’heure où les Vingt-Sept cherchent à renforcer leur industrie de défense tout en peinant à dégager les fonds nécessaires.