Aujourd’hui, les boutiques vouées à la revente de vêtements de luxe se font légion. Pour percer les mystères de ce marché à part entière, nous avons tendu le dictaphone à des fashionistas adeptes de l’achat « radin-malin » ou « luxe pas cher » si l’on se permet un tel oxymore. Tour d’horizon.
Nous sommes au quartier Bourgogne, cœur battant du triangle d’or de la Cité blanche et l’un de ses hauts-lieux shoppinguesques. Entre une boisson fraîche à la mangue et un thé à la menthe, Sophia sort son iPhone et compose le numéro de celle qui est en train de devenir sa confidente du moment : la tenancière d’un dépôt vente de luxe dont l’adresse est un secret soigneusement gardé par les fashionistas de la place. « Pour un budget de 20.000 dirhams, je voudrais remplir ma petite mallette de vêtements de luxe hautement griffés », lui lance-t-elle d’emblée, en ne plaisantant qu’à moitié, avant de lui confirmer que dans moins d’une heure elle se rendra chez elle dans l’unique optique de conclure de bonnes affaires.
« Elle », car c’est ainsi que notre interlocutrice l’appelle pour écarter les doutes et les convoitises, est une ex-épouse de nanti qui a transformé son salon en dépôt vente et son appartement en showroom. Le fisc dans tout ça ? Mais qui a parlé de fisc déjà ? Les vêtements revendus, quelque soit leur prix sont exonérés d’impôts.
Ainsi, notre vendeuse profite de la faisabilité et l’accessibilité d’une activité des plus juteuses, de nos jours, surtout si l’on sait que les articles qu’elle revend proviennent des ventes privées, puisque c’est ainsi que l’on appelle les soldes des marques de luxe, ou des ventes aux enchères de l’hôtel éponyme de l’emblématique rue Drouot du neuvième arrondissement de Paris. C’est en tout cas ce qu’elle se plaît à répéter à sa clientèle, peu nombreuse mais opulente à souhait.
« Les vêtements qu’elle revend possèdent toutes les preuves d’authentification que l’on puisse imaginer. D’abord la qualité du tissu qui ne leurre pas la fashion addict que je suis, le code barre que l’on peut, de nos jours, vérifier en quelques clics de Smartphone et parfois même le contrat de vente ou le ticket de caisse », nous confie sans ambages, Sophia avant d’ajouter avec un tantinet d’humour taquin : « Certaines clientes demandent illico la boîte d’origine de l’article. Cela ne veut absolument rien dire. Qu’est-ce qui me dit qu’elle ne proviendrait pas d’une benne à ordures au détour d’un magasin de luxe aux Champs Elysées » ?
Mais qu’est-ce qui motive une clientèle avertie, raffinée, financièrement indépendante voire fortunée à acheter des vêtements luxueux qui ont « déjà servi » ? L’éco-responsabilité ? Les bonnes intentions n’engagent que ceux qui veulent y croire, dit-on. Les économies ? L’achat « radin-malin » fait déjà fureur aux bonnes vieilles joutias, à condition de se contenter des marques de la fast-fashion, dite du grand public, telles que H&M et Primark pour ne citer qu’elles. Mais pourquoi donc ?
Pour nous rapprocher le plus possible d’une réponse un tant soit peu objective à cette question, nous avons tendu le micro à la tenancière d’un dépôt vente à Hay Riad à Rabat. Selon ses mots, « Acheter du luxe à prix cassé permet d’entretenir une garde robe de rêve, d’être sur son 31 chaque jour que Dieu fait et de respirer la joie de vivre à pleins poumons, de jour comme de nuit », se répand-elle.
Quant à ce bout de femme qu’on dirait tout droit sorti d’une romance américaine, c’est Dina. Une quarantenaire dont on remarque l’élégance à une perche d’arpent. Une jeune femme « née dans l’argent », comme on dit couramment. Mais elle est loin d’être le prototype de la fashionnista à qui l’on pourrait jeter de la poudre aux yeux en ne portant que du Chanel, Dior, Louis Vuitton, etc. Ce qu’elle privilégie en termes d’achat de qualité, ce sont les matières et les couleurs nobles. Mais pourquoi ce choix « orienté qualité » ? Selon ses mots : « J’ai compris le filon et le talon d’Achille de l’industrie du luxe lorsque j’étais étudiante en école de commerce. J’ai compris à 18 ans que le monde du luxe et le marketing de niche veulent toucher ceux qui veulent paraître riches. Ceux qui sont financièrement opulents n’ont pas besoin de le prouver car ils le sont déjà. Ceux qui veulent briller dans la société ou réussir leur ascension sociale sont, en d’autres termes, le cœur de cible de ce marché ».
D’ailleurs, beaucoup d’économistes s’accordent à dire que les marques de luxe ne sont plus ce qu’elles étaient lorsqu’elles furent l’apanage de l’aristocratie et de la bourgeoise européennes. C’est-à-dire, lorsqu’elles furent l’apanage d’une clientèle exigeante auprès de laquelle elles n’avaient pas le droit à l’erreur.
Somme toute, Sophia se souviendra toujours, non sans amertume, d’un témoignage récolté à Paris. Cela concerne un sac Hermès, un Birkin tant recherché d’une valeur de 35.000 euros qui a vu sa valeur dégringoler à 3500 euros lors de sa revente à cause, eh bien, d’une gouttelette d’eau de pluie visible à un grossissement x10. Oui, vous avez bien lu.
Houda BELABD
Nous avons tendu le dictaphone à Mylène Giglio, la Française qui a réussi à normaliser la mode des dépôts vente de vêtements de luxe de seconde main au quartier Maârif, il y un peu plus de 20 ans. Le jeu des questions-réponses est lancé…
« Au gré du temps qui passe, mon activité s’est normalisée »
-Comment votre business a-t-il évolué?
Lorsque ma boutique est sortie des limbes il y a assez longtemps, ma clientèle était essentiellement composée de fashionistas du Maârif et des autres quartiers de la classe moyenne et riche de Casablanca. Bouche-à-oreille aidant, beaucoup de personnes venant des autres villes marocaines ou de simples passagers de circonstance ont, à leur tour, commencé à faire leurs achats, plus ou moins régulièrement, chez moi. Mais grâce aux réseaux sociaux, mon activité professionnelle s’est développée, je dirais même, dans une certaine mesure, normalisée au gré du temps qui passe. En gros, les clientes à petites bourses ont commencé à se dire « si les personnes fortunées d’ici et d’ailleurs achètent des vêtements de grandes marques pourquoi ne le ferais-je pas moi »?
Mis-à-part cette prise de conscience de la normalité du luxe de seconde main, je pense que l’évolution concerne le fait qu’auparavant, c’était une honte de vendre ses propres vêtements. Mais dorénavant, nombreux sont ceux qui sautent le pas sans rougir.
-Quelle comparaison pourriez-vous faire entre le marché du luxe de seconde main au Maroc et celui en France, votre pays d’origine?
Il y a tout un fossé de différences entre le marché européen ou international de la seconde main et celui marocain. Si de l’autre côté de la rive beaucoup affichent leurs convictions écoresponsables quand il s’agit de maîtriser les aléas de la «fast-fashion », au Maroc, beaucoup de femmes issues de la classe dorée ou exerçant une activité professionnelle ayant du mérite, préfèrent rester discrètes quant au prix de leurs vêtements de grandes marques, voire des adresses où elles se les procurent. Pourtant, nombreux et nombreuses sont ceux qui sont fiers d’avoir opté pour le luxe accessible et qui sont toujours prêts à y mettre le prix.
-Et côté prix? Pratiquez-vous du hard discount sur des articles de grandes marques ?
J’ai des articles Gucci à 1000 dirhams, une paire d’escarpins, par exemple. J’ai aussi des vestes et des manteaux de grandes marques de luxe françaises à environ 2000, 3000 ou 8000 dirhams, parfois plus et parfois moins. Le plus important, c’est qu’ils sont tous dans un état impeccable. Pour le hard discount, je le pratique sur des marques de grand public car j’en vends aussi dans ma boutique, à condition que les articles soient beaux, sophistiqués, et en très bon état. Donc jamais démodés ou has been.