A l’instar d’autres pays dotés d’accès à la mer, le Maroc se mobilise pour faire face aux menaces de dégradation des ressources halieutiques à cause de la surexploitation et de la pêche illégale.
A l’instar de plusieurs pays du monde, le Maroc célèbre chaque 5 juin la Journée internationale de la lutte contre la « Pêche Illicite, Non-Déclarée et Non-Réglementée ». Une date symbolique d’autant plus importante pour notre pays qui, en dépit de ses deux façades maritimes, subit depuis plusieurs décennies une dégradation de ses ressources halieutiques. Partiellement expliquée par les impacts des changements climatiques sur les milieux marins, mais également par la surexploitation des ressources halieutiques, cette tendance inquiétante est observée dans plusieurs régions du monde, justifiant ainsi des efforts internationaux pour adopter des politiques axées sur la durabilité. La Journée internationale de la lutte contre la pêche Illicite, Non-Déclarée et Non-Réglementée intervient à cet égard pour sensibiliser le public à l’importance d’une pêche durable, tout en attirant l’attention sur les difficultés rencontrées par les petits pêcheurs et les femmes qui constituent 90% de la main-d’œuvre du secteur halieutique au niveau mondial.
Efforts nationaux
Au vu de l’importance stratégique et socio-économique du secteur de la pêche, le Royaume a depuis plusieurs années entrepris des efforts pour tacler le phénomène de pêche illicite, notamment à travers l’adoption de la loi 15-12 relative à la prévention et à la lutte contre la Pêche Illicite, Non-Déclarée et Non-Réglementée. Le renforcement de l’arsenal juridique a par ailleurs été accompagné par la mise en place d’un système contrôle et surveillance « SCS » des activités de la pêche et un système de traçabilité des captures, permettant l’identification des produits de la pêche au cours de toutes les étapes par lesquelles ils transitent. Le Royaume s’est également doté d’une Unité d’Appui à la Coordination du Contrôle « UACC » relevant de la Direction des Pêches maritimes et de l’Aquaculture (DPMA) et ayant pour mission d’améliorer, de gérer et de coordonner le suivi et le contrôle du respect des lois, des réglementations et des mesures de conservation et de gestion des ressources halieutiques, notamment par la supervision du Centre national de surveillance des navires de pêche.
Stratégie de Bali
Le 27 mai 2024, la ville de Casablanca a par ailleurs accueilli la troisième réunion de coordination régionale de l’Accord de la FAO sur « les mesures du ressort de l’État du port ». « L’objectif de ces réunions est de promouvoir la coordination régionale pour renforcer l’application de l’Accord et suivre les avancées de la « Stratégie de Bali » adoptée par les Parties à l’Accord en mai 2023. La réunion de Casablanca a rassemblé des délégués de plus de 28 pays et de trois organes régionaux des pêches, offrant une plateforme de discussion sur les stratégies de lutte contre la Pêche Illicite, Non-Déclarée et Non-Réglementée (INDNR) », souligne la FAO dans un récent communiqué, rappelant que « l’Accord, entré en vigueur en 2016, est le premier instrument international contraignant visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la Pêche Illicite, Non-Déclarée et Non-Réglementée (INDNR). Actuellement, l’Accord compte 78 Parties, dont l’Union Européenne qui est considérée comme une Partie au nom de ses États membres ».
Reconnaissance de la FAO
Pour sa part, M. Jean Senahoun, en sa qualité de Représentant de la FAO au Maroc, a affirmé : « La FAO reconnaît les efforts remarquables du Royaume du Maroc dans la mise en œuvre de l’Accord sur les mesures du ressort de l’État du port. Notre collaboration vise à amplifier ces efforts et à garantir des résultats tangibles dans la lutte contre la Pêche Illicite, Non-Déclarée et Non-Réglementée ». A noter que les bonnes pratiques du Maroc en matière de lutte contre la pêche illicite ont été récompensées en marge de la conférence de haut niveau de la Commission Générale des Pêches pour la Méditerranée (CGPM) sur les initiatives MedFish4Ever, tenue en 2019 à Marrakech. Le Royaume avait été récompensé pour l’installation d’un système d’identification des barques nationales de la pêche artisanale par radiofréquence (RFID). Une dynamique nationale qui gagnerait à maintenir son cap pour que la lutte contre la pêche illégale arrive à bon port.
3 questions à Houcine Nibani, biologiste marin « Le Maroc s’est engagé à lutter contre ce phénomène et cela a été matérialisé par plusieurs efforts que nous avons observés ces dernières années »
La dégradation des ressources halieutiques peut-elle être expliquée uniquement par la pêche illicite ?
La dégradation des écosystèmes marins et l’appauvrissement de la diversité biologique marine peuvent bien évidemment s’expliquer partiellement par des phénomènes naturels, notamment le changement climatique. Cela dit, il est évident que le phénomène de dégradation est directement lié aux impacts d’activités humaines comme la pollution ou encore la prolifération d’espèces invasives dont l’apparition a été facilitée par l’augmentation du trafic maritime et la faible adoption des bonnes pratiques de déballastage par exemple. Il faut cependant souligner que l’une des causes les plus conséquentes qui expliquent le phénomène de dégradation des milieux marins n’est autre que les activités de Pêche Illicite, Non déclarée et Non réglementée.
Quelle est votre perspective concernant les efforts du Maroc pour lutter contre ce genre de pratiques ?
Le Maroc s’est engagé à lutter contre ce phénomène et cela a été matérialisé par plusieurs efforts que nous avons observés ces dernières années. Cette dynamique a d’ailleurs pris de l’ampleur durant ces derniers mois. Ajoutez à cela l’engagement du pays dans des initiatives comme « Ocean Decade » des Nations Unies qui a proclamé la période 2021-2030 comme « Décennie des sciences océaniques au service du développement durable » pour soutenir les efforts visant à inverser le cycle de déclin de la santé des océans et à rassembler les acteurs de l’océan du monde entier derrière un cadre commun. On peut également évoquer la collaboration du Maroc avec des institutions comme le Global Fishing Watch qui est en soi indicateur d’une volonté de transparence et de constructivité. Cela dit, le défi de la pêche illicite n’en est pas moins considérable et beaucoup peut être encore fait pour améliorer la lutte contre ce phénomène.
Quelle est, selon vous, l’action prioritaire à privilégier pour lutter contre ce phénomène ?
S’il fallait formuler une seule action prioritaire pour augmenter significativement les résultats de la lutte contre la pêche illicite au Maroc, ce serait bien l’application stricte et intransigeante de la loi. Se doter des moyens techniques et humains nécessaires, ne serait-ce que pour veiller à l’application des lois nationales, déjà existantes dans ce domaine, serait à mon avis un acquis considérable et une étape importante pour limiter la tendance de dégradation des écosystèmes et de la diversité biologique marine. Cela dit, je me permettrai d’ajouter au moins une autre action tout aussi importante, à savoir la concrétisation des engagements nationaux en termes de mise en œuvre d’Aires Marines Protégées. Contrôler c’est bien, sauvegarder tout en contrôlant c’est mieux.
Rapport : Les pratiques de pêche non-durable à la hausse au niveau international
La surpêche, c’est-à-dire l’exploitation des stocks à un niveau d’abondance inférieur au seuil de rendement maximal durable, ne nuit pas seulement à la biodiversité et au fonctionnement des écosystèmes, elle entraîne également une baisse de la production halieutique, qui aura à son tour des conséquences négatives aux plans social et économique. À l’échelle mondiale, 64,6% seulement des stocks halieutiques exploités par les pêcheries maritimes étaient considérés comme étant exploités à un niveau biologiquement durable en 2019. Ce pourcentage marqué par une tendance baissière continue est une source d’inquiétude pour la communauté internationale et toutes les parties concernées, « des mesures et des plans concrets doivent être mis en place d’urgence pour favoriser une pêche durable », souligne la FAO, qui précise que « le pourcentage des stocks exploités à un niveau biologiquement non durable a augmenté depuis la fin des années 1970, passant de 10% en 1974 à 35,4% en 2019. Tous les stocks de poissons sont pris en compte de la même manière dans ces calculs ».
Définitions : Les pratiques de pêche entre légalité, transparence et respect des normes
Le terme « Pêche Illicite, Non-Déclarée et Non-Réglementée » (INDNR) fait référence à l’exploitation des ressources halieutiques qui se fait en dehors des réglementations établies par les gouvernements et les organismes de gestion de la pêche. Les spécialistes font cependant quelques différenciations dans les définitions des différentes pratiques liées à l’INN. Par exemple, la pêche illégale fait généralement référence à la pêche qui enfreint la législation locale ou internationale, telle qu’établie par un organisme de gestion de la pêche. Il peut s’agir de la pêche sans licence ou permis, de la pêche dans une zone fermée, de la pêche avec des engins interdits, de la pêche au-delà d’un quota établi ou de la pêche d’espèces interdites. La pêche non déclarée fait pour sa part référence aux activités de pêche qui ne sont pas signalées aux autorités compétentes ou qui sont mal déclarées et qui enfreignent la législation locale ou internationale. La pêche non réglementée recoupe souvent la pêche illégale, non déclarée et la surpêche. Elle concerne les navires de pêche qui opèrent sans être soumis à aucune réglementation. Il peut s’agir de pêcher dans des zones où des mesures de conservation ou de gestion n’ont pas été mises en place, ou lorsque des navires de pays qui n’ont pas adhéré à l’organisation de gestion concernée pêchent dans ses eaux sans respecter les règles. A noter que la pêche non réglementée ou non déclarée n’est pas toujours criminelle puisqu’il peut s’agir parfois d’une pêche de subsistance dans une région en développement.