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Algérie : Tebboune, candidat d’un petit parti islamiste pour un second mandat

Algérie : Tebboune, candidat d’un petit parti islamiste pour un second mandat

Ce que Personne n’avait osé le faire, Abdelkader Bengrina, président du parti Bina (construction) l’a fait. Il marche sur les plates-bandes des militaires pour parrainer Abdelmadjid Tebboune, l’actuel président de la république et faire de lui le candidat de sa formation politique. L’incroyable et inattendue annonce faite ce vendredi 24 mai n’a pas manqué de susciter moult interrogations.

Candidat imposé, en 2019, par le tout puissant chef de l’armée, feu général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la défense nationale et chef d’Etat-major de l’armée, Abdelmadjid Tebboune se voit, cinq ans plus tard, candidat d’un parti politique moribond, sans ancrage populaire et traînant la sulfureuse réputation de parti d’opportunistes. Quelle dégringolade !
 
Malgré son importance, l’annonce est superbement ignorée, jusqu’à l’heure de la rédaction de ces lignes, par les deux canaux officiels de la communication, l’agence de presse nationale, l’APS, et la télévision publique. Deux médias contrôlés par l’armée. C’est le signe de la non-approbation d’une candidature qui se veut l’expression d’un bras de fer que compte engager Tebboune avec les décideurs de l’ombre. Les militaires et leurs services secrets.

Tout a commencé le mardi 21mai par une réunion du président Tebboune avec les chefs des partis politiques représentés aux Assemblées élues (parlement et assemblées cantonales et communales), dans une salle très mal éclairée au centre international des conférences, à Alger. Deux jours plus tard, le jeudi 23 ami, le parti du Front de libération nationale (FLN), le Rassemblement national démocratique (RND), le Mouvement El Bina et le Front El Moustakbal annoncent la formation d’une alliance politique pour « réaliser un consensus national et édifier une Algérie forte ».

Le Secrétaire général du parti du FLN, le plus vieux parti politique algérien et majoritaire au parlement avec 98 sièges sur les 407 que compte l’assemblée nationale, a affirmé que cette alliance « n’est pas conjoncturelle liée à l’échéance présidentielle, mais a vocation à s’étendre au-delà pour prendre des positions dans les domaines politique, juridique et socioéconomique« .

Concernant la participation à la Présidentielle du 7 septembre prochain, le Secrétaire général du RND, Mustapha Yahi, a affirmé, dans une déclaration à la presse, que l’alliance « proposera un candidat consensuel remplissant les conditions requises, notamment la capacité à préserver les acquis réalisés depuis 2019 et à poursuivre les réformes pour atteindre les objectifs fixés », soutenant que l’Algérie « a besoin de partis politiques forts« , rapporte l’agence de presse officielle, l’APS.

Les quatre formations promettent d’avancer ensemble et « prévoient d’élaborer une charte d’éthique axée sur la moralisation de l’action politique dans le cadre d’une démarche commune visant à bâtir un Etat de droit« .

Moins de vingt-quatre heures après l’annonce de l’arrivée de ce nouveau-né de la scène politique algérienne, son maillon le plus faible surprend tout son monde en s’appropriant la candidature du président Tebboune à la prochaine joute électorale présidentielle. Ses partenaires de l’alliance sont pris à contrepied et restent sans voix. Pas le moindre commentaire sur une annonce inattendue.

On a du mal à imaginer le FLN, avec tout ce qu’il prétend avoir comme héritage historique et tout son poids, accrocher son wagon à beaucoup plus faible que lui. Idem pour le RND et même pour le Front d’El-Moustaqbil qui compte plus d’élus dans les assemblées que la formation de Bengrina.
 

Des présidents sortis de la pochette surprise
Jusqu’à preuve du contraire et comme prouvé au fil des ans, le candidat à la magistrature suprême est le poulain choisi par l’armée. Jamais un parti politique ne s’était aventuré à partager avec elle le parrainage du candidat à la présidence. Le rôle des partis politiques se limitent à accompagner le candidat de l’armée dans sa campagne électorale. Sans plus. Parfois, elle s’en passe de cet accompagnement. Comme en 1999 et 2004, pour les deux premiers mandats de Bouteflika.

Autre coutume militaire, l’annonce de la candidature se fait dans les dernières minutes avant la clôture du délai du dépôt de dossier des candidats à la présidentielle. Et c’est toujours un candidat sorti d’une pochette surprise.

En 1979, pour succéder au défunt Houari Boumediene, l’annonce de la candidature du colonel Chadli Benjedid, alors chef de la 2ème région militaire, a surpris le premier concerné himself. Chadli, ne s’attendait pas à ce que le choix se porte sur lui. Tout se jouait entre Abdelaziz Bouteflika, ministre des affaires étrangères depuis 13 ans et Mohamed Salah Yahiaoui, coordinateur de l’appareil du parti FLN depuis septembre 1977, après avoir dirigé l’académie militaire interarmes de Cherchell durant plusieurs années.

Chadli occupera le palais d’El-Mouradia jusqu’au jour où les généraux Mohamed Lamari, chef d’Etat-major de l’armée et Khaled Nezzar, ministre de la défense nationale, accompagnés du président du conseil Constitutionnel, Abelmalek Benhabilès, débarquent dans le bureau présidentiel pour le déposer. C’était en janvier 1992.

Un autre président sortira, quelques jours plus tard, de la pochette surprise des militaires. L’exilé et banni depuis 28 ans, Mohamed Boudiaf, ramené de la lointaine ville marocaine de Kenitra pour trôner à la tête de l’Etat algérien, sans élections. La bénédiction des généraux suffisait amplement. Pour mauvais casting, on n’hésite pas à éliminer le poulain en public et devant les caméras de la télévision, six mois après l’avoir ramené en grandes pompes. On comblera le vide par un vieux colonel de l’armée de libération nationale, Ali Kafi à la tête d’une direction collégiale, appelée le Haut Conseil de l’Etat, dont le véritable patron n’était autre que le général Khaled Nezzar, ministre de la défense nationale.

De la pochette surprise sortira, aussi, le général retraité Liamine Zeroual qui coulait une retraite paisible dans sa ville natale, Batna. De la capitale des Aurès berceau de la guerre de libération nationale déclenchée le 1er novembre 1954, il sera propulsé au palais d’El-Mouradia après une escale de quelques mois au ministère de la défense nationale. L’homme ne s’attendait nullement à porter le costume de président de la république. Il envisageait de le faire porter à Abdelaziz Bouteflika, l’ancien compagnon de Boumediene à qui on avait barré le chemin d’El-Mouradia en 1979.

Le projet de Zeroual est avorté par les véritables décideurs et ça sera lui qui sera forcé d’occuper le fauteuil présidentiel. Après avoir chauffé le strapontin en qualité de président d’Etat sans élection, le 30 janvier 1994 en succédant à Ali Kafi, il est élu président de la République le 16 novembre 1995 avec 61,3 % des voix.

Ne supportant pas les pressions des généraux de l’ombre, Zeroual démissionne en avril 1999 pour céder la place à Abdelaziz Bouteflika. Finalement, l’ancien ministre des affaires étrangères de Boumediene se voit ouvrir les portes du palais présidentiel au moment où il s’attendait le moins. C’est la logique de la pochette surprise. Il battra le record de longévité à la tête de l’Etat algérien (20 ans) jusqu’à ce qu’il soit débarqué à quelques jours de l’échéance de son quatrième mandat, par celui qu’il avait intronisé à la tête de l’armée par une double casquette. Chef d’Etat-major et vice-ministre de la défense nationale. Le général Ahmed Gaïd Salah ne faillira pas à la tradition militaire dans le choix des locataires du palais d’El-Mouradia. De sa pochette surprise sortira Abdelmadjid Tebboune, l’homme au parcours atypique. De commis discipliné de l’Etat à chef de l’Etat après une traversée du désert, au sens propre du terme, durant laquelle il plantait tomates et patates dans le grand désert algérien, du côté d’Adrar.

Le choix fait par le général Gaïd Salah est contesté par la hiérarchie militaire. Le général Wacini Bouazza, alors patron de la sécurité intérieure, chargé de superviser la fraude électorale au profit de Tebboune, choisit un autre poulain. Azzedine Mihoubi, ministre de la culture sous Bouteflika. Il échouera dans sa tentative et coule, aujourd’hui, un infernal séjour à la prison de Blida après avoir été condamné à 16 ans de prison et dégradé au rang de simple homme de troupe.

 

Qui est Bengrina le nouveau parrain de Tebboune et quel est son poids ?
 
Mais, le plus grand malheur de Tebboune c’est la disparition de son parrain quelques jours après son intronisation. Il sera pris en charge par des hommes qu’il ne connaissait pas et qui ont cherché à le déboulonner dès le début de son mandat quand il était hospitalisé en Allemagne pour cause de Covid-19. En multipliant les concessions et en se soumettant totalement à la volonté du nouveau patron de l’armée, le général Saïd Chengriha, il parvient à aller jusqu’au bout de son mandat bien qu’il a été tronqué de quatre mois.

L’annonce d’une présidentielle anticipée dont la date a été fixée pour le 7 septembre prochain, a introduit le doute dans l’esprit de Tebboune quant à une reconduction pour un second mandat. Un second mandat qui sera synonyme de délivrance pour un homme qui craint fort de se retrouver derrière les barreaux après son départ d’El-Mouradia.

En entamant une campagne électorale précoce en allant discourir devant les travailleurs à l’occasion de la fête internationale du travail, le 1er mai avant d’aller présenter son bilan, dix jours plus tard, à la hiérarchie militaire tout en tressant des louanges à Chengriha et à ses généraux, Tebboune attendait un signe qui l’assure d’un second mandat. Ce signe tarde à venir. Il semble ignorer ou oublier la tradition des militaires dans la désignation du candidat à la présidentielle. Pressé, il se laisse entraîner par un Abdelkader Bengrina, opportuniste à souhait, qui rêve de jouer au décideur de l’ombre, lui aussi. Un rôle qui ne lui sied guère.

Agé de 62 ans, ce natif de la ville d’Ouargla dans le sud algérien, est venu tardivement à la politique en adhérant à HAMAS qui prend la nouvelle appellation, Mouvement pour la Société de la Paix (MSP) dont le fondateur est feu cheikh Mahfoud Nahnah. Il se fraye un chemin jusqu’à devenir le chef de protocole du cheikh. « C’est lui qui lui porte son cartable, lui prépare la chaise pour s’asseoir, veille sur son bien être etc. » témoigne un ancien journaliste qui a connu les deux hommes. Cette attention très particulière qu’il rendît au leader du parti lui sera bénéfique. Il fera partie des premiers ministres de la formation islamiste entrés dans le gouvernement d’Ahmed Ouyahia sous la présidence de Liamine Zeroual, le 24 juin 1997. Ministre du tourisme et de l’artisanat traditionnel, il le restera jusqu’au 23 décembre 1999, date de la nomination du premier gouvernement sous Abdelaziz Bouteflika. 

A l’affut d’un nouveau poste ministériel, Bengrina ne voyant rien venir, change de crèmerie. Il suit, en 2009, Abdelmadjid Menasra, entré en dissidence avec le MSP, pour fonder le Mouvement pour la Prédication et le Changement (MPC). Quatre ans plus tard constatant l’échec de cette formation politique à se faire une place sur une scène politique exsangue, où il n’y a plus de place que pour les flagorneurs et courtisans du régime, il crée en 2013 sa propre formation politique, Al-Bina Alwatani (la construction nationale). Un an plus tard, son parti est agréé. En 2019, à la présidentielle annoncée comme gagnée par Tebboune, le candidat du général Gaïd Salah, il sert de lièvre pour sortir de l’anonymat.

Si Tebboune se contenta de 4 millions de voix sur les 24 que compte le corps électoral algérien, pour devenir président de la république, Bengrina, occupera la deuxième place, avec un million de voix, dans un historique scrutin largement boycotté par les Algériens et qui s’est distingué par la plus grande fraude électorale jamais vue dans le monde.

En 2021, Bengrina engage sa formation politique dans des élections législatives marquées, elles aussi, par une fraude monstrueuse, et de laquelle il sort en cinquième position avec 49 sièges sur 470. Il obtient 106.203 voix sur plus de 25 millions d’électeurs inscrits mais dont seuls 23,02% s’étaient rendus aux urnes.

Ces chiffres sont assez éloquents pour donner un aperçu sur le poids et l’influence d’Abdelkader Bengrina sur la scène politique algérienne. Le nouveau parrain d’Abdelmadjid Tebboune. Il y a de quoi s’interroger sur le deal passé entre les deux hommes. Est-ce la une manière de forcer la main à l’armée de se presser pour fixer son choix sur Tebboune pour le prochain mandat ? Nous ne pensons pas que ce soit la meilleure manière de le faire. Est-ce que Bengrina s’est entendu avec les militaires pour griller la carte Tebboune ? Sachant que Bengrina ne saurait jamais prendre la moindre initiative sans avoir assurer ses arrières. Est-ce une faction militaire hostile à Chengriha et aux services de sécurité qui ont donné l’assurance à Tebboune de défier leurs adversaires en s’appuyant sur une formation politique quel que soit son poids ? Autant de questions et beaucoup d’autres méritent réponse. Cela ne saurait tarder. On n‘est qu’à 15 jours de la convocation du corps électoral, prévue pour le 8 juin, et à quelques encablures de l’ouverture de la campagne électorale.
 

in Atalayar