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En Normandie, la montée des eaux menace les vestiges du Débarquement

Erosion, submersion: 80 ans après le D-Day, les plages du Débarquement et leurs vestiges sont menacés par la montée des eaux liée au changement climatique, obligeant à repenser l’avenir de ces sites de mémoire.

Sur plus de 100 km, de Ouistreham (Calvados) à Ravenoville (Manche), le littoral normand est jonché de vestiges du 6 juin 1944, bunkers du mur de l’Atlantique, épaves et pièces de collection font vivre une région et revivre aux touristes ce moment d’histoire.
Mais la mer d’où est venue la libération menace aujourd’hui son patrimoine historique: falaises et dunes sont soumises à l’érosion, marais, vallées et polders à la submersion.

Tout à l’ouest, les plages « américaines » d’Utah et Omaha, plus sauvages, « subissent à la fois l’érosion et le risque de submersion », indique Régis Leymarie, délégué adjoint au conservatoire du littoral en Normandie.
Sur le secteur britannique, « c’est également le cas » pour Gold.

Sur Juno et Sword en revanche, « le front de mer est cadenassé de Courseulles à Ouistreham par des ouvrages du XXe siècle » (des digues et enrochements, NDLR), seule la submersion y posera problème.
Et ça va arriver vite.

Les sites du D-Day « n’ont déjà plus rien à voir avec ce qu’ont connu les soldats alliés le 6 juin 1944 », explique le géographe. « On est en train de passer de lieux historiques à lieux d’interprétation de l’histoire ».

Sur les zones basses comme les marais de Gold Beach, à Ver-sur-mer, « le milieu va se transformer dans une dizaine d’années, par phénomène de percolation ».
L’eau de mer passe par le sable sous les digues ou les enrochements, pour remonter derrière et inonder les zones gagnées par l’homme sur la mer aux 18e et 19e siècles.

Le regard perdu vers la Manche, Charles de Vallavieille, maire de Sainte-Marie-du-Mont et directeur du musée Utah Beach se souvient: « J’ai vu des vétérans saluer la mer en pleurant, Utah c’est la plage, c’est l’émotion de la plage ».
Devant le musée fondé par son propre père en 1962 sur la dune, à quelques mètres de la célèbre plage, le maire reconnaît « des difficultés, il ne faut pas les nier ».

« Mais on n’a pas le droit de mettre de pierres, on n’a le droit à rien », indique M. Vallavieille, « la loi protège les digues mais pas les dunes, nous n’avons aucune aide alors que c’est un problème qui touche toute la côte: protégez un endroit et l’eau ira ailleurs ».
Rares sont les mairies disposées à envisager une action à court terme.

Sur la quinzaine de communes contactées par l’AFP ces derniers mois, moins de la moitié ont répondu. Trois autres estiment ne pas être « impactées » ou même « menacées » dans un proche avenir.

Or la mer réalise partout son travail de sape, faisant parfois basculer des bunkers entiers comme à Graye-sur-mer, commune voisine de Courseulles.
Le maire Pascal Thiberge y décrit « une partie des vestiges désormais directement au contact des hautes eaux », et d’autres protégés « à moyen terme à la suite d’aménagements réalisés à l’aide de techniques douces ».

Entre les secteurs américains et britanniques, les falaises du Bessin ne sont pas épargnées.
Sur ces promontoires difficiles d’accès trônaient plusieurs batteries d’artillerie allemandes, comme à la pointe du Hoc, un aplomb rocheux de 30 mètres escaladé par 200 rangers américains au matin du 6 juin.

Propriété du conservatoire du littoral mais géré par l’American Battle Monuments Commission (ABMC), le site, fracturé en profondeur par les bombardements en 1944, est depuis harcelé par l’impact des vagues, le ruissellement, le sel, le dégel et le regel.

Bien consciente du problème, l’ABMC a « sécurisé la zone, consolidé 70 mètres (…) avec des murs en béton armé, installé des micropieux pour stabiliser le sol et un réseau complexe de capteurs surveillant le sous-sol pour déceler tout mouvement important ».
Les sentiers ont été « reculés de 20 mètres » pour assurer la sécurité du public, indique l’agence gardienne des cimetières et mémoriaux militaires américains.

Le niveau de la mer monte actuellement de quelques millimètres par an: « La perception de l’évolution est faible à l’échelle humaine », souligne Régis Leymarie. « C’est sur deux ou trois générations qu’on s’en rend compte ».
« On arrive à la fin des sites du débarquement tels qu’on les connaissait », conclut-il, « la nature va reprendre ses droits ».