Il ne se passe pas un mois sans qu’un fait divers ne se produise sur nos côtes, prouvant le travail exemplaire de la Marine Royale Marocaine, et nous faisant songer, en filigrane, aux actes de vaillance des corsaires d’une autre époque, gardiens et maîtres du grand bleu, à tout jamais mémorables.
En effet, si l’on en croit l’historiographie de ces événements, de la conquête de l’Andalousie et d’une grande partie de l’Ibérie par les Omeyyades au VIIIe siècle à la chute du royaume nasride de Grenade au XVe siècle, des épisodes macabres, dont certains préfèrent rester évasifs, voire taiseux, ont poussé les deux pays du rivage à geler leurs relations pendant des siècles.
Suite à ces épisodes tragiques, aggravés par les diverses opérations de pilonnage menées tambour battant sur nos côtes par les pirates castillans et ceux en provenance d’autres contrées européennes, il a fallu qu’une revanche, justifiée et logique, soit prise. Ce fut, alors, aux corsaires de Tamuda et de Martil qui œuvraient de concert avec leurs confrères à Salé qui ont, à bras le corps, embrassé cette cause.
« Contrairement aux idées véhiculées dans le cinéma occidental, les corsaires issus de nos côtes étaient tout sauf des voleurs ou des gangsters qui besognaient dans les crimes organisés. Ils étaient des gardiens de la dignité de la nation, du territoire et de nos frontières maritimes. Après la Reconquista, ces hommes de fer et de caractère guettaient à longueur de journée les pirates ibériques, helléniques, hollandais, bretons et britanniques. Leur optique initiale était d’exiger d’eux des rançons dignes de ce nom en échange de leurs concitoyens, nourris, logés, blanchis aux confins du Bouregreg, mais surtout tenus en otages pour des raisons évidentes », poursuit notre interlocuteur.
Au cours des XVIe et XVIIe siècles, Tétouan, grand port corsaire et ville située sur la façade méditerranéenne du Maroc, participe à ces événements, devenus un cas d’école dans le bassin occidental de la Méditerranée. Le retour du bâton contre les présides espagnols du long des côtes marocaines constitue un aspect légitime de défense sécuritaire. Tétouan, considérée comme le haut-lieu de rachat des captifs au cours du XVIe siècle et du XVIIe siècle a joué un rôle prépondérant dans ce que d’aucuns appellent l’« économie de la rançon ».
Au-delà des caractéristiques du port, localisé sur la rive gauche de Martil et de sa célèbre rivière, à quelques kilomètres de l’embouchure, la proximité de la « grande place tétouanaise » du détroit de Gibraltar a longtemps constitué un atout stratégique, étant aussi proche de Tanger, Qsar Sghir, Sebta, Badis ou encore Mellilia.
Comme les corsaires de Salé, ceux de Tétouan connaissaient et se souvenaient avec amertume des déchirures intestines de l’après-Reconquista. En effet, dès la chute de Grenade en 1492, des milliers de musulmans ont afflué à Tétouan, à quelques kilomètres de la côte ibérique, et ont constitué une part substantielle de sa population. Des sources contemporaines font état de dizaines de milliers de Morisques qui se seraient réfugiés dans la ville suite au décret d’expulsion de 1609.
«Lorsque les corsaires de Salé arrêtaient des navires européens remplis de marchandises tangéroises, martiliennes ou tétouanaises, lesquelles étaient facilement reconnaissables pour ces experts du détail, ils n’hésitaient pas à les renvoyer à leurs propriétaires initiaux afin d’établir une certaine justice et de mieux faire valoir leur revanche. Ce geste riche en symbolique était, bien sûr, réciproque », conclut l’intellectuel Seddik Maâninou.
« Les opérations occidentales de pilonnage, surtout celles menées par les Britanniques, les Irlandais et les Castillans, ont joué les prolongations, à compter d’il y a environ 14 siècles, et ont fait des dégâts même au lendemain de la chute du Royaume nasride à Grenade. Le rôle joué par les corsaires de Salé, mais aussi ceux des côtes nordiques marocaines, relevait donc du droit de l’autodéfense ». Ce témoignage qui en dit long sur la bravoure de nos corsaires est de l’écrivain-journaliste et chercheur Seddik Maâninou.
Il fut donc un temps où les vaillants corsaires de Salé ou du gouvernement du Bouregreg partaient vers la haute mer méditerranéenne et faisaient des patrouilles et des sentinelles dans l’attente d’un navire ou d’un vieux voilier rempli de biens de la même valeur des richesses pillés par ces mêmes pirates.
« Lorsque les navires britanniques transportaient de l’alcool ou de la viande de porc, ces aliments pouvaient tout de même servir, car ils étaient revendus à des pays consommateurs de ces matières », poursuit le fervent défenseur de l’Histoire slaouie, interrogé par nos soins lors d’une récente rencontre.
« Les anciens souks, comme celui de Leghzel, étaient eux aussi dépouillés lors des invasions des pirates européens. Ce qui fait que ces mêmes bazars étaient ravitaillés, au fur et à mesure, lorsque les corsaires slaouis faisaient ce qu’il leur restait à faire », affirme notre interlocuteur, avec un brin de raillerie.
« Au fil du temps, les souks de la cité antique se sont enrichis de marchandises, la prospérité financière est redevenue le lot des marchands autrefois spoliés, et la ville a retrouvé sa grandeur », conclut-il.
Sur sa naissance, les sources ne sont pas unanimes. Certaines la disent née à Chefchaouen en 1493, d’autres dans le royaume de Grenade en 1485. Les origines de son nom ne sont pas concordantes non plus. Aïcha ou Fatima ? Sayyida, Lalla, Moulati ou Cherifa ? Face à ces questions qui opposent les historiens, le mystère persiste autour de cette icône féminine, qui a néanmoins profondément marqué l’histoire du Maroc, de l’Espagne et du Portugal au XVIe siècle.
En revanche, les sources se rejoignent sur son parcours marocain. La jeune femme a passé son enfance à Chefchaouen, ville fondée par son père, Ali Ben Moussa Ben Rachid, en 1471. La parenté de Sayyida Al Hourra est liée, du côté paternel, au pôle mystique du soufi Moulay Abdeslam Ben Mchich, un saint dont le sanctuaire se dresse sur le mont Allam, dans la région de Jbala. Sa mère, Zahra Fernandez, est Espagnole.
En pleine Reconquista andalouse, la jeune adolescente évolue sous la conduite des souverains espagnols qui occupaient simultanément plusieurs villes côtières du Maroc, alors sous la coupe des sultans Wattasides dont le règne était de plus en plus ténu.
A Chefchaouen, cité-état et forteresse, la jeune fille va parfaire son éducation, empreinte de culture, auprès des plus grands intellectuels de l’époque.
A tout juste seize ans, elle a convolé en justes noces avec Mohamed Al-Mandari, second gouverneur de Tétouan. Cette union influente avait pour but de renforcer l’alliance entre les deux familles et de former un front uni contre l’occupation occidentale.
Après avoir perfectionné ses talents de diplomate et de magistrate en assistant son mari, elle lui a succédé en tant que gouverneure de Tétouan à sa mort en 1529. Elle est alors connue sous le nom de « Al Hourra », la femme libre. C’est à cette époque qu’elle s’est alliée à un guerrier qui ne fut autre que le célèbre corsaire ottoman attaché au dey d’Alger, Arudi Barbarossa.
Aux commandes d’une armée et d’un véritable arsenal de guerre, elle a mené d’une poigne d’acier le commerce naval et les expéditions de corsaires en Méditerranée occidentale et s’est illustrée comme une stratège accomplie.
Barberousse quant à lui contrôlait la Méditerranée orientale. Leur association est plus que féconde, car le tandem de choc va multiplier les campagnes en mer, accumulant une petite fortune grâce aux rançons exigées des Espagnols et des Portugais en contrepartie de la libération de leurs prisonniers.
En 1541, elle épousa en secondes noces Ahmed Al Wattassi, Sultan du Maroc, qui fit le voyage jusqu’à Tétouan pour pouvoir se marier avec elle, alors qu’il était de coutume que de telles festivités se déroulaient à Fès, la capitale. Elle a tenu à lui faire savoir qu’en ne se déplaçant pas, elle ne renoncerait pas pour autant à son droit de régner sur Tétouan. De fait, ce fut à Tétouan qu’elle résida en permanence, son époux l’ayant mandatée pour s’occuper des relations avec les Portugais.
En effet, le Gouvernement de Salé ou du Bouregreg ou, comme se plaisent à l’appeler les scénaristes de films occidentaux « le Gouvernement des pirates du Bouregreg » fut un gouvernement maritime qui a existé à l’embouchure dudit fleuve de 1627 à 1668, formée des trois cités de Salé, de Rabat et de la Kasbah des Oudayas, siège du diwane (l’administration gouvernante). Le développement de ces deux dernières cités, situées sur la rive gauche de l’embouchure du Bouregreg, est à l’origine de l’actuelle Capitale du Royaume.
Il s’agit donc d’une association de corsaires. Issue de la venue de populations musulmanes expulsées sur décision du roi Philippe III d’Espagne, cette communauté de pirates, à l’abri des attaques des hauts-fonds protégeant l’entrée de l’embouchure du Bouregreg, a su tirer, avec brio, son épingle du jeu en attaquant des navires et en menant des raids jusqu’en Cornouailles, et même en Islande, où Gudda la Turque a été, comme les Occidentaux aiment tant à s’enorgueillir, capturée. Au Royaume-Uni, souvenez-vous, l’on se rappelle d’elle comme l’un des « Sallee Rovers », dans les aventures de Robinson Crusoé (un personnage fictif, ndlr), prisonnier des Corsaires de Salé.
Salé et Rabat ont, somme toute, été la cible de plusieurs campagnes de pilonnage européennes, lesquelles ont causé d’innombrables pertes matérielles, mais n’ont pas eu de résultats marquants car les Corsaires de Salé reprenaient, de plus belle, leurs forces défensives. La première fois, en 1629, une flottille de sept navires commandés par l’amiral Isaac de Razilly s’est attaquée à la ville de Salé. Leur échec était si cuisant qu’on n’en trouve pas de traces dans les récits historiques d’Outre-mer.
Dans les récits relayés dans l’historiographie, « les Corsaires de Salé », ce gouvernement de l’ombre largement mis en lumière, désigne ces hommes vaillants qui ont opéré entre le 17e et 19e siècles à partir des villes de Salé et de Rabat (telles que nous les connaissons aujourd’hui).
Salé-le-Vieux, l’un des ports les plus importants de l’époque mérinide, faisait office d’arsenal et de base pour les navires en partance du fleuve jusqu’à la Méditerranée pour subvenir aux besoins de la défense militaire d’Al-Andalus.
Dès 1609, après les Hornacheros, ces nantis « trop fiers pour être acculés jusqu’aux bateaux… puis chassés » qui avaient anticipé l’expulsion et quitté l’Espagne avec leurs biens, vint l’arrivée massive des Morisques qui furent expulsés sans pouvoir emporter leurs biens. Ce qui s’est passé par la suite ? Salé, ou Salé-le-Vieux pour situer les événements dans leur contexte, étant peu encline à les accueillir, l’essentiel de l’afflux a fini par se concentrer dans la Kasbah où se réunissaient les Hornacheros fortunés, et ce, dans la ville basse de Salé-le-Neuf, soit de Rabat, comme nous l’a affirmé l’historien, journaliste, écrivain et ancien ministre Seddik Maâninou lors d’une récente rencontre.