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Les enjeux derrière l’éventuelle visite de Volodymyr Zelensky au Royaume (Décryptage)

Les enjeux derrière l’éventuelle visite de Volodymyr Zelensky au Royaume (Décryptage)

Une visite du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, au Maroc serait en cours d’étude, selon l’ambassade d’Ukraine. Une visite censée couronner un long parcours de rapprochement. Décryptage.

 

Cela fait des années que le Maroc et l’Ukraine affichent des signes de rapprochement. Paradoxalement, les relations ont connu un sursaut depuis le début de la guerre russo-ukrainienne qui a pris une dimension tellement planétaire que les deux pays belligérants ont porté la bataille sur le front diplomatique pour arracher le soutien des pays dits du Sud global, dont ceux de l’Afrique.

 

De par son positionnement géographique, sa proximité avec l’Europe et son alliance historique avec les Etats-Unis, le Maroc est perçu par Kiev comme un futur partenaire, d’autant que le Royaume, tout en restant neutre sur le conflit russo-ukrainien, est resté intransigeant sur le respect de l’intégrité territoriale des Etats.

 

Un message saisi allègrement par le gouvernement ukrainien qui a pris acte avec satisfaction de l’évolution du vote du Royaume au niveau de l’Assemblée Générale de l’ONU. La diplomatie ukrainienne, apprend-on de sources bien informées, a vu d’un bon œil le vote favorable du Royaume pour la Résolution du 23 février 2023, qui a appelé au retrait des troupes russes. Bien qu’entretenant de bonnes relations à la fois avec Moscou et Kiev, le Maroc, par la voix du Chef de la diplomatie, Nasser Bourita, a à maintes reprises fait comprendre que sa position sur ce conflit reste guidée par les principes de la Charte des Nations Unies sans s’aligner sur l’un des deux belligérants. Un positionnement subtil qui arrange tout le monde.

 

L’intérêt ukrainien pour le Maroc

 

Dans sa volonté de resserrer les liens avec le Royaume, le gouvernement ukrainien a fait un pas en avant en soutenant officiellement le plan d’autonomie pour le Sahara lors de la visite du ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, en mai 2023 au Maroc dans le cadre d’une tournée africaine. Une visite qui a été perçue à l’époque comme le prélude d’un véritable partenariat. Depuis lors, les contacts se font de plus en plus nombreux, facilités par l’arrivée du nouvel ambassadeur Serhii Saienko à la place d’Oksana Vasilyeva, remerciée par le président Zelensky peu de temps après le déclenchement de la guerre.

 

Le soutien de l’Ukraine à l’intégrité territoriale du Maroc a été perçu comme un signe de bonne volonté pour passer à la vitesse supérieure. Kiev ne cache pas son intérêt pour le Royaume, qu’il perçoit comme une porte d’entrée vers le continent africain. D’où l’intérêt d’un partenariat économique qui a été longuement débattu entre Nasser Bourita et son homologue ukrainien lors de leur tête-à-tête à Rabat. L’Ukraine attachait beaucoup d’importance à cela bien avant la guerre, sachant que Dmytro Kuleba a pris l’initiative de téléphoner à son homologue marocain, le 17 septembre 2020, pour parler de la possibilité d’organiser “la 2ème session de la Commission Intergouvernementale Mixte sur la coopération commerciale, économique, scientifique, technique et culturelle”.

 

Pourquoi une visite présidentielle ?

 

Maintenant, ce rapprochement de longue date pourrait être couronné par une visite du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, au Royaume. “On travaille sur cette option”, confirme l’ambassadeur de Kiev à Rabat, Serhii Saienko, dans une déclaration à “L’Opinion”.

 

Selon l’ambassadeur, ce projet en cours d’étude est “faisable” une fois que le dialogue politique de haut niveau et la coopération sectorielle de long terme seront établis et accordés par deux parties. Pour l’instant, l’idée est proposée et demeure sur la table.

 

Il est peu probable que le premier déplacement d’un président ukrainien au Maroc soit prévu à court terme, d’autant plus que l’agenda international du président Zelensky est hyper focalisé sur la guerre. En recul sur le front, l’armée ukrainienne est en difficulté actuellement face aux troupes russes qui avancent. Dans un tel contexte, le président ukrainien reste occupé à mobiliser l’aide militaire auprès de ses alliés.

 

Hub céréalier : L’enjeu majeur

 

Au-delà du timing, cette visite, pour le moment hypothétique, s’inscrit dans la volonté de l’Ukraine de renforcer les liens bilatéraux au plus haut niveau. L’Ukraine, rappelons-le, a fait part de son ambition de faire du Maroc un hub céréalier vers l’Afrique. Il s’agit de l’un des projets de coopération bilatérale les plus importants pour les Ukrainiens. Ce projet de grande envergure consiste à faire du Royaume une plateforme de stockage et de transit des céréales ukrainiennes vers le continent à travers ses installations portuaires. Un projet dont l’ambassadeur a dévoilé les détails en exclusivité lors d’une interview accordée précédemment à “L’Opinion”. Le projet a d’ores et déjà été discuté entre les autorités des deux pays. Ce qui manque c’est le passage à l’acte. Raison pour laquelle l’ambassade d’Ukraine tâche d’organiser des visites d’experts pour étudier la faisabilité du chantier et le volet technique.

 

En proposant une telle offre, l’Ukraine estime qu’elle est dans l’intérêt du Maroc qui cherche un approvisionnement durable au moment où il est confronté à une sécheresse inédite. La guerre a brutalement coupé les livraisons de l’Ukraine qui fut, jusqu’en 2020, l’un des premiers fournisseurs. Le Royaume en a importé pour 2,7 milliards de dirhams de blé après un record enregistré en 2018 (3 milliards de dirhams).

 

Aussi, le fait que le Royaume devienne une plateforme de transit vers l’Afrique ne peut que renforcer la crédibilité de l’initiative de la Façade atlantique, que l’Ukraine soutient d’ailleurs, et donner une portée géopolitique majeure au port Dakhla Atlantique, dont les travaux avancent.

 

L’un des principaux fournisseurs mondiaux de l’huile de tournesol, l’orge, le maïs et le blé, l’Ukraine tente de trouver des schémas logistiques alternatifs pour sécuriser ses exportations de blé vers le monde afin de surmonter les complications de passage par la mer Noire où les lignes sont bloquées à cause de la guerre contre la Russie. L’accord céréalier, rappelons-le, n’a pas été renouvelé, ce qui a rendu difficile la navigation pour les navires civils.

 

Pour contourner la mer Noire, l’Ukraine a commencé à acheminer son blé par voie terrestre par les pays européens en exploitant leurs ports. Fervents défenseurs de la cause ukrainienne, les pays de l’UE se sont évertués à ouvrir leurs territoires aux céréales ukrainiennes dans le cadre des “couloirs de solidarité”. Maintenant, la situation semble plus propice au commerce maritime qu’avant. Les combats sont si intenses en mer Noire que même la flotte russe a dû s’y retirer à cause des frappes ukrainiennes qui ont fait couler beaucoup de bâtiments russes. Par conséquent, les navires ukrainiens passent de plus en plus souvent par les eaux territoriales de ses voisins européens tels que la Roumanie et la Bulgarie avant de traverser le détroit du Bosphore en Turquie.

 

Pour rappel, le Maroc a été l’un des premiers pays arabes à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine le 30 décembre 1991. Un an plus tard, les deux pays ont signé, à New York, le Protocole relatif à l’établissement des relations diplomatiques.

 

Puis, comme il n’y avait pas d’intérêts majeurs, l’Ukraine a été représentée au Maroc, jusqu’en 2000, par son Ambassade à Tunis. Après l’établissement d’une mission diplomatique officielle, le premier Ambassadeur d’Ukraine à Rabat a pris ses fonctions le 17 novembre 2000.