En poste depuis 2022, l’ambassadeur allemand Robert Dölger est le témoin de l’entente cordiale entre le Maroc et l’Allemagne qui ont transformé une crise diplomatique en une alliance productive. Dans cet échange, il dévoile les véritables ambitions de Berlin sur la migration, la défense et l’énergie verte. Entretien.
Depuis 2021 et l’arrivée du nouveau gouvernement d’Olaf Scholz, les relations bilatérales ont connu un progrès sans précédent, au point que l’on parle d’une nouvelle alliance entre Rabat et Berlin. Est-ce que l’Allemagne voit en le Maroc un futur partenaire stratégique de premier plan en Afrique et au Maghreb ?
– Tout à fait correct. Je me réjouis de l’évolution extrêmement positive de nos relations bilatérales. Situé au carrefour entre l’Europe et l’Afrique, l’Atlantique et la Méditerranée, le Maroc occupe une place importante dans la région, ce qui en fait un interlocuteur incontournable et un partenaire prometteur de l’Allemagne et de l’Union Européenne. Dans le cadre de notre dialogue stratégique, nous explorons donc toujours ensemble, outre les thèmes clés bilatéraux déjà mentionnés, les potentiels d’une coopération régionale et multilatérale. Entre outre, nous avons identifié la sécurité du Sahel et la lutte contre le terrorisme comme un défi commun. Dans le volet de la coopération au développement, le Maroc et l’Allemagne mettent en œuvre des projets triangulaires avec des pays africains, notamment au Sénégal et en Côte d’Ivoire, pour l’autonomisation des femmes et les PME. Depuis plusieurs années, nous coopérons dans le « Compact with Africa », une plateforme de soutien et de collaboration économique entre l’Allemagne et un nombre de pays partenaires africains qui s’engagent dans les réformes structurelles. Le Maroc est également au côté de l’Allemagne au sein du « Club Climat » des pays avec une ambition d’accélérer leur transformation énergétique.
Lors de sa dernière visite au Maroc, le ministre délégué à la Défense a exprimé la volonté de l’Allemagne de conclure un accord dans le domaine de la défense avec le Maroc. Peut-on avoir plus de détails ?
– Le vice-ministre allemand de la Défense a rencontré son homologue marocain, M. Abdellatif Loudiyi, lors de sa récente visite de travail. Les deux ministres ont exprimé leur volonté de consolider et approfondir la coopération. En première étape, nous visons conclure un accord général dans le domaine militaire. Il peut servir comme point de départ pour un certain nombre de projets bilatéraux d’intérêt commun, tels que l’échange d’expertise, la formation et l’entraînement des troupes ou la cyberdéfense. Nous serions également heureux de conclure un accord sur le statut juridique des forces armées stationnées dans nos deux pays, qui permettrait par exemple aux forces allemandes de participer dans des exercices comme l’« African Lion ».
“En première étape, nous visons conclure un accord général dans le domaine militaire”
Concernant la coopération économique, l’Allemagne a déjà fait part de sa volonté d’investir au Maroc dans plusieurs secteurs, notamment les énergies renouvelables, l’hydrogène vert. Y a-t-il des projets en cours de préparation ?
– L’Allemagne et le Maroc collaborent depuis plus de vingt ans pour faire avancer la transition énergétique. L’ambition et le succès du Royaume dans ce domaine forcent l’admiration ! Le gouvernement allemand accompagne les grands projets d’énergie renouvelable qui sont en voie d’être réalisés au Maroc. Par exemple, nous participons au financement du parc éolien Jbal Lahdid dans la région d’Essaouira ainsi que du complexe solaire Noor Midelt.
“Nous participons au financement du parc éolien Jbal Lahdid dans la région d’Essaouira ainsi que du complexe solaire Noor Midelt”
Dans le domaine de l’hydrogène vert, nous soutenons l’émergence du secteur en préparant un projet de référence de 100 MW d’électrolyse en collaboration avec MASEN. De plus, nous collaborons avec l’IRESEN, l’UM6P et l’OCP dans la mise en œuvre d’une plate-forme de recherche et de développement. Le but est de développer des applications d’hydrogène vert, comme l’ammoniac ou le méthanol vert.
Ces projets vont accélérer de manière importante l’avancement du secteur d’hydrogène au Maroc, qui est un facteur clé dans la stratégie énergétique de l’Europe et de l’Allemagne, ainsi que pour le développement économique du Maroc.
Pour ce qui est des investissements directs au Maroc, quels sont les objectifs que se fixe l’Allemagne actuellement, sachant qu’elle a multiplié par six son stock d’IDE depuis 2015 ?
– Ces dix dernières années, les investisseurs allemands ont en effet découvert le Maroc comme une destination attractive par sa main-d’œuvre bien qualifiée, ses infrastructures excellentes et sa remarquable stabilité politique. En ce qui concerne les investissements directs depuis 2019, l’Allemagne a avancé pour se placer en quatrième position après la France, les États-Unis et l’Espagne. Les investissements allemands ont créé plus de 40.000 emplois directs au Maroc, tout d’abord dans les secteurs de la logistique, de l’automobile, des components électroniques et du numérique.
En même temps, plus d’une centaine d’entreprises allemandes profitent du Maroc en tant que base logistique pour leurs exportations vers l’Afrique de l’Ouest.
“Plus d’une centaine d’entreprises allemandes profitent du Maroc en tant que base logistique pour leurs exportations vers l’Afrique de l’Ouest”
Enfin, il faut mentionner le secteur de l’aéronautique, dans lequel Airbus – une entreprise partiellement allemande – est acheteur et consommateur de 75% de la production de la filière aéronautique du Maroc. Sans oublier le développement des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert, déjà mentionné, ainsi que le dessalement et l’économie de recyclage, qui offriront encore plus de possibilités pour la technologie allemande au Maroc.
Je suis convaincu que la nouvelle Charte d‘Investissement, l’Offre Maroc pour l’hydrogène vert et les activités de promotion du gouvernement marocain ciblées sur le marché allemand, vont attirer encore plus d’intérêt du côté des entreprises allemandes pour un engagement au Royaume.
“La Charte de l’Investissement va attirer encore plus d’intérêt du côté des entreprises allemandes”.
Concernant l’immigration, des rumeurs circulent sur la volonté de l’Allemagne de mettre en place des centres d’accueil pour migrants au Maroc, est-ce vrai ?
– L’Allemagne est un pays d’immigration depuis longtemps. Aujourd’hui, l’ampleur des changements démographiques en Allemagne fait de l’immigration un sujet crucial pour son développement économique et social. Pour le Maroc, en tant que pays de destination, d’origine et de transit des migrations, la migration est également une question importante.
C’est donc dans un esprit de coopération multidimensionnelle que nous travaillons ensemble sur ce sujet. Un groupe de travail interministériel a été mis en place par nos gouvernements qui commence à développer un partenariat migratoire entre l’Allemagne et le Maroc.
Notre objectif commun est de renforcer la migration légale, de travail, et les échanges des personnes qualifiées. Parallèlement, nous voulons endiguer la migration irrégulière et lutter ainsi contre le trafic des êtres humains et des migrants. C’est dans l’intérêt fondamental de l’Allemagne et du Maroc. Nos deux gouvernements travaillent en étroite collaboration et en toute confiance dans ce domaine. En tant qu’ambassadeur, je me réjouis que nous puissions renforcer ce partenariat avec le Maroc sur un sujet aussi central pour nos deux pays.
Un accord a été signé pour organiser la mobilité de la main-d’œuvre marocaine vers l’Allemagne. Ira-t-on vers un système de quota ?
– La migration vers l’Allemagne est connotée de manière positive par beaucoup de jeunes marocains. Beaucoup de familles marocaines ont des relations en Allemagne qui ont migré dans les années soixante. En même temps, nous sommes conscients des intérêts du Maroc, qui a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée pour son propre développement. Nous constatons que les migrants ramènent leurs connaissances et leur expérience professionnelle dans leur pays d’origine. Notre intention est d’enrichir les perspectives de développement du Maroc par une migration circulaire.
L’Agence nationale pour l’emploi du Maroc (ANAPEC) et son homologue allemande collaborent depuis de nombreuses années avec beaucoup de succès.
Avec la nouvelle loi allemande sur l’immigration des travailleurs qualifiés, les personnes qualifiées peuvent travailler encore plus facilement en Allemagne. En même temps, nous voulons offrir aux jeunes professionnels des possibilités de formation et de qualification. Il sera également plus facile de venir en Allemagne pour chercher une formation ou un emploi. Les profils les plus recherchés en Allemagne sont les professionnels de santé, des industries mécaniques et des services de tous genres, comme la gastronomie et les hôtels.
“Notre intention est d’enrichir les perspectives de développement du Maroc par une migration circulaire”
Des milliers de Marocains et de Marocaines viennent déjà chaque année en Allemagne de leur propre initiative ou de celle de leur entreprise, avec ou sans encadrement gouvernemental, pour une formation professionnelle ou un emploi qualifié. Cela montre à quel point le Maroc et l’Allemagne sont déjà étroitement liés par la migration.
Est-ce que vous envisagez d’élargir l’enseignement de l’allemand dans les années à venir et de faciliter davantage l’accès des jeunes marocains aux universités allemandes ?
– En 2023, 6200 étudiants marocains ont choisi d’étudier dans l’une des 400 universités allemandes. Les principales disciplines sont l’ingénierie, le droit, la médecine, les sciences sociales, les mathématiques et les sciences naturelles.
Dans ce contexte, nous travaillons à ancrer davantage la langue allemande dans le système éducatif marocain et à élargir l’offre de cours de langue qualifiés. Le Goethe-Institut a déjà deux bureaux au Maroc et est en train d’élargir son offre linguistique. Avec le ministère marocain de l’Enseignement supérieur, nous développons actuellement des modules d’apprentissage de la langue allemande et de compétences numériques.
Nous souhaitons également renforcer les échanges et la formation spécialisée dans des domaines importants et pertinents de la recherche et du développement (R&D). En outre, l’Office allemand d’échanges universitaires (DAAD) propose, à cet effet, des séjours d’études et de recherche en Allemagne. Dans le cadre de différents programmes, plus de 600 boursiers marocains ont pu s’inscrire l’année dernière dans des universités et des instituts de recherche allemands. En outre, plus de 70 coopérations universitaires entre le Maroc et l’Allemagne ont pu être enregistrées jusqu’en 2023. Ces initiatives montrent à quel point nos deux pays travaillent déjà activement à l’intensification de leur coopération universitaire et scientifique. C’est déjà un grand succès, mais il reste encore beaucoup à faire.
Sahara : La position allemande transcende les clivages politiques
Prise par le gouvernement d’Olaf Scholz, issu d’une coalition entre les socio-démocrates, les verts et les libéraux, la décision de soutenir le Plan d’autonomie pour le Sahara devrait en principe rester pérenne. Sur ce point, Robert Dölger reste attaché aux faits. Il rappelle que la « Déclaration conjointe Maroc-Allemagne » présentée par les deux ministres des Affaires étrangères en août 2022 “est très claire”.
L’Allemagne y réaffirme son soutien de longue date au processus mené par les Nations Unies en vue d’une solution politique réaliste, pragmatique, durable et acceptable pour les deux parties. Aussi, l’Allemagne salue le Plan d’autonomie comme un effort sérieux et crédible et une bonne base pour une solution acceptée par les deux parties.
En outre, poursuit l’ambassadeur, la ministre des Affaires étrangères, Mme Annalena Baerbock, et son homologue, M. Nasser Bourita, réaffirment dans cette déclaration leur soutien actif aux efforts de l’Envoyé personnel du Secrétaire Général des Nations Unies, M. Staffan De Mistura, pour faire avancer le processus politique sur la base des Résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité des Nations Unies, ainsi que leur soutien à la MINURSO.