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Sites et monuments historiques : Quelle feuille de route pour préparer le rush de 2030 ? [INTÉGRAL]

Sites et monuments historiques : Quelle feuille de route pour préparer le rush de 2030 ? [INTÉGRAL]

Le Maroc gagnerait à repenser la valorisation de ses sites et monuments historiques, notamment pour en faire des leviers de rayonnement culturel et de développement local à l’horizon 2030.

Ce jeudi 18 avril 2024, le monde a célèbre les monuments et les sites historiques à travers une Journée mondiale dédiée. Le thème « Patrimoine résilient aux catastrophes et aux conflits – Préparation, réponse et rétablissement » a encadré les discussions et les débats à travers les événements organisés, puisque cet enjeu est considéré comme une référence centrale dans le Plan scientifique triennal 2024-2027 élaboré par le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS). Un thème qui prend par ailleurs tout son sens dans notre pays qui a connu un séisme foudroyant le 8 septembre dernier, qui a causé plus de 2900 morts et des dégâts matériels considérables qui ont également touché à différents degrés quelque 27 monuments et sites du patrimoine national bâti. Au-delà de la réhabilitation et des recommandation de l’ICOMOS (voir article ci-bas) pour la restauration de ces sites, se pose la question plus large de la politique et approche nationale pour la sauvegarde et la valorisation des monuments nationaux. 

 

Richesse exceptionnelle
Il y a tout juste 10 ans, le constat était déjà mitigé, entre richesse patrimoniale exceptionnelle et la faible mise en valeur de ce patrimoine au vu de son potentiel.

« Le Maroc dispose de 16.000 sites et monuments historiques. Un patrimoine qui a payé le prix durant plusieurs années du manque de moyens matériels et de l’inconscience », avait déclaré le ministre de la Culture à l’époque, Mohamed Amine Sbihi, en réponse à une question orale à la Chambre des Conseillers sur la protection des monuments historiques contre la dégradation. Ainsi, en 2014 déjà, le ministère déployait plusieurs chantiers « de restauration axés sur la convergence des projets entre plusieurs secteurs ministériels, ayant permis la mobilisation des ressources financières supplémentaires de 150 millions de dirhams chaque année, mettant l’accent sur le rôle de ces sites et monuments historiques ». Si plusieurs avancées ont été réalisées depuis, de nouvelles perspectives imposent de repenser la gestion de ce patrimoine. 

 

Monuments et Coupe du Monde
Alors que le Royaume se prépare à organiser la Coupe du Monde 2030, conjointement avec le Portugal et l’Espagne, se pose la question de la vision à développer pour capitaliser sur les monuments et sites du Maroc, quantitativement et qualitativement, pour en faire un vecteur de promotion de la Culture du Royaume, de son héritage ancestral et de sa profondeur historique. « Les touristes qui feront le déplacement pour la Coupe du Monde ne manqueront pas de comparer leurs expériences de visite des monuments des trois pays. Si nous disposons au Maroc d’un nombre impressionnant de sites, nous sommes encore loin de pouvoir exploiter tout le potentiel qui existe en matière de promotion, de valorisation et d’intégration dans le tourisme local et international de ces sites », explique Pr Abdelati Lahlou, anthropologue et enseignant-chercheur à l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP), notant que « ces monuments ont pour la plupart traversé les âges pour continuer de témoigner, d’inspirer et de démontrer la diversité, le génie ancestral des Marocains », poursuit la même source.
 
Tout à gagner
Avec son patrimoine humain, son patrimoine naturel et son patrimoine immatériel, le Royaume, qui a piqué l’intérêt du monde durant ses exploits footballistiques au Qatar en fin 2022, a été classé il y a quelques jour dans le top 10 des pays aux cultures les plus fascinantes au niveau mondial. Ce classement publié par Insider Monkey, un spécialiste américain de l’investissement, démontre tout le potentiel qui pourrait permettre au pays de continuer à développer sa filière touristique, notamment à travers la mise en valeur de son maillage de 16.000 sites et monuments. « En plus des plans scientifiques et culturels, la mise en valeur de ce patrimoine permettra de gagner également sur le plan civique, car les Marocains pourront mieux connaître et faire connaître leur richesse et leur Histoire. Ça permettra également de créer de l’emploi et des revenus ou encore d’alimenter éventuellement des industries créatives et artistiques. C’est un investissement qu’on devrait consentir au vu de son importance, mais également au vu du retour sur investissement qu’il pourra offrir », conclut le chercheur.

3 questions à Abdelati Lahlou, anthropologue : « Un effort considérable reste à faire pour classer au moins 10% des 16.000 sites répertoriés »
Au vu du nombre important de monuments inventoriés au Maroc, le classement de nouveaux sites dans la liste du patrimoine de l’UNESCO n’est-il pas insuffisant ?Au vu du nombre important de monuments inventoriés au Maroc, le classement de nouveaux sites dans la liste du patrimoine de l’UNESCO n’est-il pas insuffisant ?
C’est effectivement un enjeu et une question importante et je confirme qu’au vu des 16.000 sites inventoriés depuis quelques décennies déjà au niveau national, le nombre de sites classés dans la liste du Patrimoine de l’UNESCO est encore très réduit. Un effort notable a été fait pour le classement, mais nous en sommes encore à ce jour à 9 éléments classés, à savoir : 6 villes antiques ou médinas (Fès, Marrakech, Meknès, Tétouan, Essaouira et Rabat), le quartier portugais d’El Jadida, Volubilis, l’ensemble d’architecture de terre d’Ait Ben Haddou au Sud de Ouarzazate. Il est évident qu’un effort considérable reste à faire pour classer encore plus de sites, notamment parmi les 23 médinas que compte le Royaume, sans oublier au moins 10% des 16.000 sites répertoriés…
 

En plus du classement, vous avez évoqué l’enjeu de valorisation des sites et des monuments…

Exactement, la valorisation est un enjeu tout aussi important. Comme pour la réhabilitation, il faudrait bien évidemment que la valorisation puisse se faire dans les règles de l’art, afin de permettre d’impulser le tourisme culturel et le développement socio-économique local.
 

Vous avez évoqué un retour sur investissement de cette valorisation. L’investissement de départ doit-il provenir exclusivement de l’Etat ?

Il est certain qu’une part importante de l’investissement de départ sera étatique avec l’implication de diverses institutions centrales ou territoriales. Cela dit, il existe des modèles qui permettent de mettre à contribution des partenariats public-privé ou encore d’impliquer des fondations ainsi que divers bailleurs de fonds. Des modèles de ce genre ont déjà fait leurs preuves au Maroc et ont démontré que la valorisation d’un patrimoine peut, en plus de tous les avantages que j’ai évoqués précédemment, devenir un levier et une source importante de revenus, d’emploi et de développement.

Coopération : Deux nouveaux accords pour la protection du patrimoine culturel
Au-delà du seul patrimoine bâti, deux accords de partenariat portant sur la préservation du patrimoine culturel national à travers la protection de la propriété intellectuelle ont été signés, lundi 15 avril à Rabat, entre le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaïd, le ministre de l’Industrie et du Commerce, Riad Mezzour, et le Directeur général de l’Office marocain de propriété industrielle et commerciale (OMPIC), Abdelaziz Babqiqi. Ces accords représentent un nouveau cadre pour la protection des créations des artisans contre les pratiques pouvant porter atteinte à leurs droits et au patrimoine culturel national. Le premier accord vise à sensibiliser à l’importance de la protection de la propriété industrielle et intellectuelle du patrimoine marocain, et de son rôle en lui conférant plus de rayonnement, tout en associant les professionnels, les artisans et les opérateurs concernés par ce patrimoine à sa protection. En vertu de cet accord, le département de la Culture fournira l’expertise nécessaire au ministère de l’Industrie et du Commerce et à l’OMPIC pour garantir la protection du patrimoine marocain. 

Le deuxième accord, quant à lui, tend à financer les opérations réalisées par le Royaume dans le domaine de l’inscription, à travers l’OMPIC, du patrimoine culturel auprès des institutions internationales, en mettant en place un plan d’action pour organiser les opérations d’inscription des éléments du patrimoine marocain dans le monde.

ICOMOS : Les recommandations pour la reconstruction des monuments sinistrés
Pour la réhabilitation des monuments et sites historiques marocains touchés par le séisme, l’ICOMOS propose une série de recommandations, notamment la mise en place d’un diagnostic précis en concertation avec des experts. Une attention particulière devrait être, selon l’ICOMOS, accordée au patrimoine «modeste» pour une restauration adaptée. La même source estime que la reconstruction des douars doit privilégier l’utilisation de matériaux locaux et des dispositifs parasismiques. Un travail pédagogique auprès des communautés locales et des médias est également recommandé pour valoriser l’architecture vernaculaire. L’ICOMOS suggère l’organisation d’un séminaire national sur la gestion des risques liés au patrimoine, avec la mise en place d’un plan de gestion des risques. Cette dynamique de renouveau architectural dans les régions impactées par le séisme pourrait par ailleurs être étendue à d’autres régions défavorisées. Enfin, le Conseil souligne la nécessité de préserver les pratiques et savoir-faire liés à la construction locale.