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Interview avec Imane Dahou: « Intégrer la cybersécurité dans les programmes universitaires »

Interview avec Imane Dahou: « Intégrer la cybersécurité dans les programmes universitaires »

Imane Dahou, Responsable des services de cybersécurité, fait partie des 50 femmes distinguées dans le classement des « African Women In Development », récompensant l’engagement envers le développement de l’Afrique. Dans cette entrevue, elle expose ses actions pour provoquer un changement transformationnel sur le continent, particulièrement au Maroc, en la matière.

Comment appréhendez-vous votre récente nomination dans le classement des African Women In Development, qui reconnaît les 50 femmes les plus impliquées dans le développement du continent africain ?
J’ai l’honneur et le privilège de figurer dans le classement African Women In Development qui met à l’honneur les 50 femmes les plus engagées dans le développement du continent africain. Ce classement est porté par la fondation Donors for Africa, une ONG qui ambitionne de transformer les communautés africaines en renforçant les capacités des acteurs du changement social, à travers un éventail d’initiatives incluant l’éducation, le développement durable, la santé, l’entrepreneuriat et, bien sûr, la technologie.

D’ailleurs, c’est mon engagement en faveur d’une Tech plus inclusive des femmes africaines qui a été récompensé. Un engagement que je porte très fort depuis l’Europe où j’évolue en tant qu’experte en cybersécurité et enseignante en Gouvernance, Risque et Conformité (GRC).
 

Pourriez-vous nous raconter un peu votre parcours et ce qui vous a motivée à vous engager dans le domaine du développement en Afrique ?

Je suis née et j’ai grandi au Maroc, puis je me suis expatriée en France à l’âge de dix-huit ans. J’ai fréquenté les universités les plus prestigieuses et étudié tour à tour la géopolitique, la stratégie militaire, l’industrie de défense et le droit. Mon engagement a débuté en 2014 lorsque j’ai rejoint l’UNICEF au sein duquel j’ai participé à des actions en faveur des droits des enfants les plus désavantagés, notamment des 276 lycéennes qui ont été enlevées dans une localité de l’Etat de Borno par Boko Haram.

Puis j’ai été catapultée au cœur de l’actualité lors de mon passage par la rédaction de la chaîne d’information continue France 24.Je me suis progressivement spécialisée dans la gestion des risques, la gouvernance et la gestion de crise. Mes expériences sont aussi passionnantes qu’éclectiques. A titre d’exemple, j’ai accompagné la sécurisation de gros projets industriels en Afrique et au Proche-Orient, mais j’ai également participé à l’organisation et à la coordination d’exercices de gestion de crise gouvernementaux.

Passionnée par la diplomatie parallèle, les enjeux de pouvoirs et la géostratégie, j’ai bifurqué dans la cybersécurité en 2019 en rejoignant les cabinets de conseil les plus prestigieux. Désormais, j’accompagne les plus grands groupes dans la définition de leur stratégie de cybersécurité, dans l’élaboration et la mise en œuvre de dispositifs efficaces de gestion des risques et dans leur mise en conformité réglementaire et normative. J’interviens sur l’ensemble de la zone MENA mais également en Amérique.

Bien que résidant en France,  je n’ai de cesse d’accompagner des entreprises établies en Afrique à adresser des problématiques de sécurité. J’ai aussi à cœur d’évangéliser la jeunesse africaine sur les sujets de cybersécurité. Mes motivations viennent sans doute de mon attachement indéfectible à mon continent d’origine et à mon Maroc natal.
 

Comment envisagez-vous l’avenir du développement en Afrique, et quel rôle espérez-vous jouer dans le futur ?

Je suis intimement convaincue que l’Afrique, continent de tous les possibles, voit son avenir se dessiner à travers la transformation numérique. Une évolution cruciale, me diriez-vous – pour répondre aux défis actuels et futurs de secteurs clés tels que la santé, l’éducation et l’agriculture – et qui présente certes des obstacles majeurs, mais également des opportunités significatives, notamment dans les domaines de la cybersécurité et du Green IT.

L’accélération de la digitalisation du continent augmente sa vulnérabilité face aux cyberattaques, particulièrement dans les secteurs vitaux comme les télécommunications et les banques. Pour contrer cette menace, il est impératif de renforcer les capacités en cybersécurité via des politiques publiques solides et une coopération régionale élargie. Parallèlement, le développement d’initiatives Green IT est perçu non seulement comme un impératif écologique, mais aussi comme une chance d’améliorer la sécurité informatique.

L’adoption de technologies telles que le cloud et la virtualisation favorise une utilisation des ressources plus efficace tout en réduisant l’empreinte carbone. Cependant, ces avancées soulèvent aussi des questions de sécurité importantes, exigeant des stratégies de surveillance et de défense adaptées aux infrastructures partagées.

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière l’urgence d’étendre les infrastructures numériques afin d’améliorer l’accès au haut débit et de développer des services en ligne, ce qui constitue une opportunité de préparation à des crises futures. Avec l’avancée technologique, la cybersécurité devient un enjeu encore plus critique pour la protection de ces infrastructures en expansion. L’incorporation croissante de l’Intelligence Artificielle dans les stratégies de cybersécurité illustre bien le potentiel de ces technologies à anticiper et gérer les risques de manière plus efficace, tout en soulignant le besoin accru de régulation et de formation pour sécuriser les environnements numériques.

Je souhaite prendre part à l’effort régional et participer à l’élaboration d’une réglementation des technologies de l’information et des questions d’éthique et de sécurité qui en découlent. Il est également impératif de former et de faire émerger des talents dans les domaines de la cybersécurité et de l’Intelligence Artificielle, pour développer des champions africains capables de fournir des solutions souveraines et adaptées aux spécificités du continent.
 

En tant que femme leader reconnue dans le développement, quelles recommandations spécifiques donneriez-vous pour améliorer la cybersécurité au Maroc ?

Je recommanderais de renforcer les capacités institutionnelles en développant des agences nationales de cybersécurité bien équipées, capables de surveiller et de réagir efficacement aux menaces. Il est également essentiel d’investir dans la formation et la sensibilisation à tous les niveaux éducatifs, y compris l’intégration de la cybersécurité dans les programmes universitaires et la création de certifications professionnelles.
Encourager la collaboration entre les secteurs public et privé est crucial pour partager les ressources et les meilleures pratiques.

Par ailleurs, actualiser régulièrement le cadre réglementaire aidera à protéger les données et la vie privée, tout en décourageant les activités malveillantes. Enfin, promouvoir une culture de la sécurité où chaque employé se sent responsable est fondamental pour maintenir la sécurité au niveau organisationnel. Ces efforts combinés permettront non seulement de fortifier la cybersécurité au Maroc, mais aussi de servir de modèle pour d’autres nations.
 

Comment voyez-vous le rôle des femmes dans ce domaine traditionnellement dominé par les hommes ?

 
Le rôle des femmes dans des domaines traditionnellement dominés par les hommes, comme la cybersécurité, est essentiel non seulement pour diversifier les perspectives, mais aussi pour enrichir les processus de décision et l’innovation. L’implication accrue des femmes peut favoriser une approche plus globale et nuancée de la sécurité numérique, qui est essentielle pour contrer les menaces toujours plus complexes.
 

Pouvez-vous partager vos insights sur les défis spécifiques que rencontrent les femmes marocaines dans le domaine de la cybersécurité et comment les surmonter pour réussir ?

Concernant les défis spécifiques que rencontrent les femmes marocaines dans le domaine de la cybersécurité, ils incluent souvent le manque de représentation féminine, les stéréotypes de genre et un accès limité à certaines formations spécialisées.

Pour surmonter ces obstacles, il est crucial de mettre en place des politiques d’encouragement actif, comme des bourses pour les femmes en STEM, des programmes de mentorat et des réseaux de soutien professionnel dédiés, qui peuvent aider à créer un environnement plus accueillant et inclusif. En outre, la sensibilisation et l’éducation sur l’égalité des genres dès le plus jeune âge peuvent contribuer à remodeler les perceptions et à ouvrir plus largement le domaine aux femmes.
 

Quelles initiatives avez-vous mises en place ou envisagez-vous de mettre en place pour induire un changement transformatif en Afrique ?

Pour induire un changement transformatif en Afrique, je participe activement à plusieurs initiatives. Je me consacre au mentorat, soutenant et guidant les jeunes professionnels, en particulier les femmes, qui aspirent à évoluer dans le domaine de la cybersécurité. Je suis également régulièrement invitée comme speaker et enseignante, où je m’efforce d’évangéliser sur les sujets de cybersécurité. J’aime souligner que ce domaine ne se limite pas à la technique, mais offre un vaste éventail de possibilités et recrute des profils très diversifiés, ce qui est essentiel pour enrichir et renforcer le secteur.

Je travaille aussi sur un projet de podcast, destiné à mettre en lumière des rôles modèles africains qui créent de l’impact et de la valeur dans ce domaine encore trop peu investi par nos jeunes.
 

Comment ces initiatives adressent-elles les problématiques spécifiques aux femmes et aux communautés marginalisées ?

Hélas, sans le soutien des gouvernements et des politiques publiques adéquates, les initiatives individuelles, aussi bien intentionnées soient-elles, peuvent ne pas atteindre les femmes africaines les plus marginalisées qui font face à des défis immédiats et critiques tels que la santé et l’éducation. Pour que ces initiatives en cybersécurité et technologie aient un impact réel et durable, elles doivent être intégrées dans des programmes plus larges de développement socio-économique soutenus par les États.

Cela implique que les gouvernements reconnaissent et intègrent la cybersécurité et l’éducation technologique comme des composantes essentielles de leurs stratégies de développement national. Par exemple, en incorporant des programmes d’éducation numérique dans les écoles, en soutenant financièrement les formations en technologie pour les femmes, ou en créant des partenariats public-privé pour développer des infrastructures qui facilitent l’accès technologique dans les zones rurales et défavorisées.

Ainsi, en combinant les efforts individuels avec des politiques publiques robustes, on peut espérer une transformation plus inclusive et équitable qui permettra de toucher et de soutenir efficacement les femmes et les communautés les plus marginalisées en Afrique.