Dans sa première interview avec la presse marocaine, Rob Butler livre à “L’Opinion” la vision de Londres sur l’avenir de l’association entre les deux pays. Un partenariat plus élargi est à l’ordre du jour. Entretien.
Vous êtes venu au Maroc, il y a un mois, avec l’objectif de raffermir le partenariat, quel bilan tirez-vous de cette visite ?
Permettez-moi de dire, d’abord, que j’ai été honoré et ravi d’avoir été nommé Envoyé Commercial du Premier ministre au Maroc. C’est la première fois que je me rends dans le Royaume en cette qualité et je suis ravi de constater la croissance de nos relations commerciales au cours des trois dernières années, depuis l’entrée en vigueur de l’accord d’association, un cadre exhaustif qui permet à nos deux royaumes d’accroître leurs relations commerciales, qui s’élèvent actuellement à 3,4 milliards de livres sterling. Cette visite est un autre exemple de la grande ambition du Royaume-Uni de renforcer les liens commerciaux et d’explorer les possibilités de collaboration dans de nombreux secteurs, notamment les infrastructures, l’aérospatial, les soins de santé, l’agriculture, la croissance propre et l’éducation.
Nous voyons un potentiel considérable au Maroc, étant donné le développement rapide des infrastructures dans le pays, sa position de porte d’entrée vers l’Afrique et vers l’Europe, et la nouvelle formidable de l’accueil par le Maroc de la Coupe du Monde de la FIFA 2030.
Quels sont les objectifs commerciaux que vous vous êtes fixés dans les deux prochaines années ?
Les relations commerciales entre le Royaume-Uni et le Maroc sont en pleine expansion et j’ai hâte de contribuer à la poursuite de cette croissance dans toute la mesure du possible. Lors de mes réunions avec le ministre des Affaires étrangères et le ministre de l’Investissement, nous avons discuté des moyens de sensibiliser les entreprises britanniques et marocaines aux opportunités offertes par le commerce bilatéral. Je m’attache à travailler avec mes partenaires marocains pour soutenir cette démarche, tant ici au Royaume-Uni que lors de mes futures visites au Maroc.
Les échanges commerciaux ont progressé de façon remarquable, mais ils demeurent trop concentrés dans le secteur agricole. Avez-vous une stratégie d’élargissement des échanges sur d’autres secteurs ?
Pendant ma visite au Maroc, je me suis rendu chez Airbus Atlantic et j’ai lancé un partenariat universitaire avec l’université de Huddersfield, le NCUK et la London Academy. Nous continuons à collaborer étroitement avec le Maroc dans le secteur aérospatial, dont les compétences et l’éducation constituent un élément fondamental. Le partenariat avec Huddersfield est un exemple de la croissance rapide des partenariats entre le Royaume-Uni et le Maroc dans le domaine de l’éducation, qui sera un moteur de progrès dans d’autres secteurs. Lors de ma réunion avec le Centre Régional d’Investissement de Casablanca, nous avons discuté des investissements dans le secteur de la santé, qui constitue un autre domaine de croissance au Maroc, et j’ai également rencontré un certain nombre d’entreprises britanniques qui étudient de près les opportunités en matière d’infrastructures en vue de la Coupe du Monde de football en 2030.
Le Royaume-Uni a lancé récemment le programme UK-Export Finance au Maroc. Est-ce que ça fonctionne comme prévu ?
En effet, l’UKEF est l’agence britannique de crédit à l’exportation, c’est un département gouvernemental et la première agence de crédit à l’exportation au monde avec plus de 100 ans d’expérience.
L’UKEF propose des solutions de financement, y compris la garantie du gouvernement britannique, ainsi que des prêts directs, pour les projets qui ont un contenu britannique d’au moins 20%. L’agence de crédit dispose d’une enveloppe dédiée au Maroc pouvant atteindre 4,5 milliards de livres. Cette enveloppe est destinée à financer des projets dans tous les secteurs, y compris des projets d’infrastructures essentielles.
L’UKEF a également une présence locale au Maroc avec une personne dédiée au marché, qui mène un ensemble de discussions avec les parties prenantes publiques et privées autour de projets prometteurs à venir.
Le gouvernement britannique compte investir plus dans les énergies renouvelables et la finance verte au Maroc. Quels sont les investissements programmés ?
Le Maroc dispose d’une expérience solide et d’un énorme potentiel en matière d’énergies renouvelables, qu’il s’agisse d’énergie solaire, éolienne, hydroélectrique ou marémotrice. Nous encourageons les entreprises britanniques à explorer ces possibilités et nous nous réjouissons de la récente «offre d’hydrogène» du gouvernement marocain. En outre, nous collaborons étroitement avec le Maroc dans le cadre d’une série de projets relatifs au climat. Nous co-présidons notamment le projet «Power Breakthrough» et collaborons avec le Conseil de transition énergétique de la COP. Par ailleurs, nous sommes heureux de collaborer avec le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement afin de soutenir l’intégration de critères environnementaux dans les investissements.
Aujourd’hui, le Maroc est confronté à un stress hydrique important qui risque d’avoir des répercussions sur ses exportations agricoles vers le marché européen et britannique. L’année dernière, il y a eu des suspensions d’exportation. Quelles sont les solutions que vous pouvez préconiser pour garantir la durabilité des exportations ?
Dans le cadre de notre accord d’association bilatérale, le Royaume-Uni et le Maroc s’engagent étroitement dans le commerce agricole, et nous disposons également d’un certain nombre de moyens pour discuter des défis actuels liés au stress hydrique et aux risques climatiques. À titre d’exemple, je suis ravi de voir des partenariats bilatéraux soutenir l’agriculture durable, comme le partenariat Sustainable Agriculture for Africa (SAFA) qui vise à révolutionner les pratiques agricoles à travers le continent. Il s’agit d’une initiative conjointe impliquant l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P-Maroc), Rothamsted Research, et l’Université de Cranfield, Royaume-Uni, soutenue par le Groupe OCP.
Le journal “Daily Express” a révélé en décembre 2023 que le gouvernement britannique cherche à conclure un nouvel accord commercial et sécuritaire majeur avec le Maroc. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet ?
Le Maroc et le Royaume-Uni continuent de coopérer étroitement à l’élaboration de l’accord d’association. Nous sommes enthousiastes de tenir la troisième session du Conseil d’association cette année, après le succès du deuxième Conseil en février 2023, qui a vu des progrès sur les règles d’origine, les marchés publics et les barrières non tarifaires dans le secteur de l’agriculture. Je suis persuadé que le prochain Conseil d’association comprendra un ordre du jour vaste qui permettra d’approfondir les partenariats commerciaux entre nos deux royaumes.
Maroc / Royaume-Uni : Une lune de miel ininterrompue depuis le Brexit
Depuis que le Royaume-Uni a consommé son divorce avec l’Union Européenne, Londres a commencé rapidement à chercher des marchés alternatifs dans le cadre d’une nouvelle politique de développement à l’international censée redorer le blason de la Grande Bretagne en tant que grande puissance. “Make Britain great again”, c’est l’objectif que se fixent les Britanniques après le Brexit. Dans cette nouvelle vision, le Maroc a sa place. Londres y voit une porte d’entrée en Afrique et, surtout, un fournisseur de premier plan de produits agricoles bon marché avec un potentiel énorme en énergies renouvelables. Très important pour un pays désindustrialisé qui compte verdir son économie. L’accord d’association signé en 2019 s’avère un grand succès dans la mesure où il a propulsé les échanges économiques à un niveau inédit (3,4 milliards de livres sterling, soit l’équivalent de 40 milliards de dirhams). Force est de constater que le négoce bilatéral a explosé de 2019 à 2024 en se multipliant quasiment par deux. Londres ne compte pas s’arrêter là, le gouvernement britannique a lancé dès 2023 le programme UK-Export Finance qui vise à financer les entreprises marocaines et britanniques à l’export. Au-delà du commerce, Londres a les yeux rivés sur l’éducation en s’employant à renforcer la présence des campus de ses universités et de ses grandes écoles au Maroc, profitant savamment de l’engouement croissant des jeunes marocains pour la langue de Shakespeare. Politiquement parlant, l’entente cordiale règne entre les deux pays qui multiplient l’échange de visites à tous les niveaux. C’est pour toutes ces raisons que le Chef de la diplomatie britannique, David Cameron, a plaidé pour “un partenariat renforcé” tandis que plusieurs députés conservateurs, à l’instar de Liam Fox, plaident pour que leur pays reconnaisse officiellement la marocanité du Sahara. Un geste qui marquerait une nouvelle étape dans les relations maroco-britanniques.
Portrait : Rob Butler : Le plus British des envoyés spéciaux
Rob Butler est le député conservateur d’Aylesbury. Il a été élu à l’issue des élections générales du 12 décembre 2019. La vie professionnelle de Rob Butler a commencé en tant que présentateur et reporter de journaux télévisés, d’abord à la BBC, puis à Channel 5. De 2005 jusqu’à son élection, il a travaillé à son compte en tant que consultant en communication, travaillant avec de grandes et petites entreprises et organisations dans le monde entier. Entre 2020 et 2022, Butler a été membre du Comité spécial de la justice. Il a également siégé aux commissions parlementaires chargées d’examiner des projets de loi couvrant tous les sujets, du terrorisme aux pensions des anciens combattants, en passant par le vol de machines agricoles et l’avenir des médias. Il a présenté avec succès un projet de loi d’initiative parlementaire visant à étendre le dépistage de drogues aux ex-détenus dans les locaux approuvés. Rob Butler est membre du programme parlementaire des forces armées pour le commandement stratégique, ayant précédemment participé aux programmes de la RAF et de la Royal Navy. En décembre 2023, il a été nommé envoyé commercial du Premier ministre au Maroc. Rappelons que M. Butler est décoré de l’Ordre de l’Empire britannique.