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RÉTRO-VERSO : Aux origines de la tradition «Flouss l’Aïd»

RÉTRO-VERSO : Aux origines de la tradition «Flouss l’Aïd»

Le saviez-vous ? Cette tradition qui consiste à offrir une somme d’argent aux tout-petits le jour de l’Aïd Al-Fitr nous vient des Mamelouks. Retour sur ses origines et ses nombreuses mutations et adaptations.

Qui d’entre nous, dans sa tendre enfance, n’a jamais reçu de cadeau ou de don d’argent lors de la fête d’Al-fitr, ce grand jour où la joie et le partage sont les maîtres mots ? A défaut d’avoir vécu dans une grotte ou sous une roche, la réponse ne peut être que « personne »…

Cette habitude, originaire d’Asie Mineure, a été revisitée pour s’adapter aux coutumes marocaines et surtout au goût du jour. On y apprend, sans surprise, que les cadeaux aux plus jeunes sont autorisés par la Sunna, et que les présents et dons varient d’un pays musulman à l’autre.
 

Des Mamelouks à nos jours
Selon certains récits historiques, cette habitude était connue à l’époque mamelouke sous le nom de «jamkiya». D’ailleurs, en Palestine et en Syrie, ce terme est encore utilisé pour renvoyer aux cadeaux offerts aux enfants le jour de la fête d’Al-Fitr, quelle que soit leur nature. Selon d’autres versions, ce terme renvoie purement et simplement aux vêtements achetés aux enfants pour cette occasion.

Toujours concernant l’époque mamelouke, les cadeaux de la fête n’étaient pas l’apanage des tout-petits. L’Aïdiya était également distribuée aux personnes de haut rang, telles que les princes et les pachas qui recevaient des dinars d’or, de la soie, des perles, des moutons ou des taureaux.

Cette pratique a subsisté du début jusqu’à la fin de l’empire ottoman et s’est également répandue dans les pays de l’ex-empire, comme le Cham, la Palestine et l’Egypte. Au fur et à mesure et au gré des siècles, tous les enfants du monde musulman sont entrés dans la danse. Ainsi, en Turquie, les dons offerts aux enfants lors du Ramazan bayramı ou Şeker bayramı (ou la « Fête du Sucre » en français) est une tradition célébrée depuis au moins six siècles, soit depuis la création et jusqu’à la chute de l’ex-empire ottoman (1299 à 1923). De nos jours, elle est encore plus répandue, dans ce pays où la fête de la rupture du jeûne est célébrée pendant trois jours, selon les rites de l’école de pensée hanafite, c’est-à-dire pendant les trois jours qui suivent la fin du Ramadan.

Durant ces trois jours, les Turcs distribuent des confiseries et des douceurs à leurs proches, amis et à leurs invités, pour la plus grande joie des petits. Si certains enfants sonnent aux portes pour recevoir des gourmandises, comme c’est le cas pour la fête du Halloween, d’autres préfèrent recevoir de l’argent de la part de leur famille, histoire de se sentir plus autonome financièrement.

Avant le début du Şeker bayramı, il est d’usage de faire le ménage, de réaliser des décorations et de confectionner des pâtisseries, notamment, pour les convives qui sont attendus en grand nombre. Tout au long de ces trois jours, chacun se rend chez les membres de sa famille, ses amis et ses voisins afin de leur adresser ses vœux pour le bayram.
 

Les coutumes transmises de siècle en siècle
Néanmoins, ce que l’on appelle communément «l’argent de la fête» est également adressé aux enfants des voisins, des amis, des orphelins, des nécessiteux et des sans-abri.

Les aînés de la famille empruntent les traces de leurs parents et partagent quelques billets avec leurs jeunes frères et sœurs. De même, les fiancés offrent une somme d’argent ou un cadeau digne de ce nom à leur promise lors des échanges de visites familiales le jour de la fête. 

D’après de nombreux jurisconsultes, ces présents sont en accord avec l’esprit de partage préconisé par l’islam et permettent de faire tomber certaines barrières telles que la discorde ou des vices comme la jalousie, en rapprochant les membres de la famille, à condition d’éviter le favoritisme entre les frères et sœurs en bas âge. 

Il va sans dire qu’il n’est pas nécessaire d’offrir la même somme d’argent à tous les membres de la famille, mais plutôt de tenir compte de leur âge, de leurs priorités, de leurs préférences et de leurs besoins.

De plus, selon de nombreux autres imams sunnites malékites, il convient de surveiller, même à distance, les transactions des jeunes enfants et des adolescents. L’argent de poche est certes un premier pas vers l’autonomie financière et un bon moyen de les sensibiliser à une consommation responsable, mais les tentations à l’heure des réseaux sociaux sont encore plus périlleuses et nécessitent une surveillance parentale sans faille car elles guettent, en premier lieu, les mineurs.

Célébrations : Des coutumes encore à la page
Dire que les traditions de la fête de la rupture (du jeûne) se poursuivent jusqu’à nos jours est un euphémisme. Cependant, accueillir cette fête ne se fait pas sans panache. Bien au contraire, il faut absolument y mettre les formes. Ainsi, dès que la fin du Ramadan se profile à l’horizon, les préparatifs commencent à battre leur plein. Toutes les familles, quel que soit leur budget, mettent les petits plats dans les grands pour honorer ce jour si spécial. Les traditions de ce jour, il y en a à la pelle ! Par exemple, dans certains villages et quartiers populaires, de manière entièrement bénévole, des jeunes nettoient joyeusement les rues et peignent les murs et les trottoirs en signe d’accueil de ce grand jour. Il y en a même qui rivalisent et innovent pour embellir leur quartier, en relayant leurs compétitions sous forme de photos et de vidéos sur les réseaux sociaux.

Dans les mosquées, les gardiens et fidèles des lieux, mais aussi quelques bénévoles se chargent de collecter des dons monétaires au profit des imams, d’autant plus que nombre d’entre eux proviennent de régions éloignées, ce que beaucoup de Marocains font, histoire de remercier et d’honorer ceux qui les ont aidés à apprendre et à psalmodier le Coran, tout au long du mois sacré du Ramadan. Cette somme est souvent remise aux imams le jour de Laylat al-Qadr. De plus, force est de constater que dès les derniers jours du Ramadan, les gares routières et ferroviaires sont bondées de voyageurs avides de passer l’Aïd en famille, quelle que soit la distance qui les sépare.

Le jour J, les hommes partent tôt le matin pour accomplir la prière de l’Aïd, les femmes sont quant à elles à la maison pour agencer les tenues des enfants, préparer les repas, ranger et encenser la maison, etc…

Us et traditions : « Le droit du sel » pour mettre du piment dans son couple
Détrompez-vous, les enfants ne sont pas les seuls à recevoir une somme d’argent le jour de l’Aïd Al Fitr. Au Maroc, depuis bien longtemps, certaines femmes reçoivent ce que l’on appelle, « le droit du sel » ou « hekk el melh ». L’origine de cette appellation est liée au fait que lorsque les femmes au foyer (ou femmes actives) préparent la nourriture pour la famille pendant le ramadan, elles doivent parfois goûter la nourriture sans l’avaler afin de s’assurer qu’elle est modérément salée avant de la servir.

Cette coutume vieille comme le jeûne veut que la femme qui a nourri la famille pendant le mois de ramadan reçoive un cadeau de valeur, généralement une pièce d’or ou une modique somme d’argent que le chef de famille lui remet le matin de l’Aïd.

Cette tradition consiste pour la femme à présenter une assiette de friandises accompagnée d’une tasse de café ou d’un verre de thé au chef de famille à son retour de la prière de l’Aïd, mais il ne la rend pas vide, il y glisse une bague, un bracelet ou une somme d’argent, en guise de cadeau à sa bien-aimée.

Selon de nombreux historiens, «hekk el melh» trouve son origine dans le passé ottoman, lorsqu’un riche marchand, attablé avec sa famille le matin de l’Aïd, répartissait ce que l’on appelle le «cadeau de l’Aïd», composé de pièces d’argent et d’or, entre ses enfants, jusqu’à ce qu’une pièce soit tombée dans la tasse de café et que la femme dise en plaisantant : «C’est ma part». En lavant la tasse, la femme s’est rendu compte que la pièce était de faible valeur. Elle est donc retournée voir son mari en protestant : «Cette somme ne vaut même pas le sel que tu as goûté, c’est-à-dire le prix du café», et le mari l’a alors dédommagée en lui donnant un dinar d’or. La femme alla ensuite le raconter à ses voisines, en déclarant : «Regardez le prix de la dégustation du sel, il n’y a pas de prix pour le café». Depuis, le cadeau offert à l’épouse le matin de l’Aïd est devenu une tradition dans cette partie du monde.

D’autres chercheurs ont fait remarquer que cette tradition existe également en Libye et en Tunisie, où elle est connue sous le nom d’»al-Kabira». 

Il convient toutefois de rappeler que dans le vieux temps, les femmes préparaient les repas dans des conditions plus contraignantes et précaires, en l’absence des moyens commodes, et la famille était souvent plus nombreuse, ce qui les obligeait à passer de longues et pénibles heures à élaborer les mets particuliers de l’Iftar.

Aujourd’hui encore, au cours du mois sacré du ramadan, malgré l’existence de commodités plus sophistiquées, elles ne ménagent aucun effort pour fournir à leur famille des plats délicieux et s’acquitter des tâches ménagères malgré la fatigue du jeûne, sans se faire prier et encore moins se plaindre. C’est pourquoi les Marocains ont introduit, le jour de l’Aïd al-Fitr, ce rituel en l’honneur de leurs épouses et en considération de leur dur labeur tout au long du mois de ramadan.

Préceptes islamiques Religion : Aïd Al-Fitr entre valeurs et coutumes
Les fêtes musulmanes diffèrent de celles de la Jahiliyah (la gentilité, soit l’ensemble des peuples païens, ndlr) dans la mesure où elles sont proches de Dieu et lui obéissent, et qu’elles incluent la glorification et le souvenir du Créateur, comme le Takbir, la participation aux prières collectives et la distribution de la Zakat al-Fitr, tout en exprimant la joie et le bonheur de la bénédiction de l’Aïd et de l’achèvement du jeûne. 

De cette manière, les musulmans transcendent leurs fêtes et les relient à leurs gloires, et la dimension spirituelle de la religion islamique se concrétise dans ces fêtes. L’Aïd a une signification générale et globale qui permet à chacun de participer à la réalisation de ces notions, d’en ressentir les effets bénéfiques et de vivre les événements de l’Aïd au fur et à mesure que le temps passe et que la fête, dans tous les sens du terme, se renouvelle. 

L’Aïd est donc la manifestation de nombreuses valeurs sociales et humanitaires de l’Islam : les cœurs se rapprochent, les membres de la famille se réunissent après la séparation et les amis et les proches se réconcilient après la dissension et la discorde. De plus, l’Aïd vient rappeler les droits des faibles dans la société islamique, afin que la joie s’étende à tous les foyers et que la bénédiction atteigne toutes les familles, ce qui est l’objectif de la législation sur les aumônes d’alFitr. 

Quant à la signification humanitaire de l’Aïd, elle permet à un grand nombre de musulmans de partager leur joie et leur bonheur en même temps, manifestant ainsi leur unité et faisant connaître leur nombre par leur rassemblement, de sorte que la nation se rassemble autour d’un sentiment commun, ce qui renforce les liens intellectuels, spirituels et sociaux.

Religion : Aïd Al-Fitr entre Sunnah et traditions
Les imams Abu Dawud et Tirmidhi ont rapporté dans leur Sunnah que le prophète (que la paix et le salut soient sur lui) est venu à Médine et qu’ils avaient deux jours de villégiature, «et le messager d’Allah (sur lui la paix) a dit : «Allah vous a récompensé par deux meilleurs jours, le jour de l’Aïd al-Fitr et le jour de l’Aïd al-Adha». Depuis, cette fête est considérée comme une récompense pour les jours de jeûne et les nuits de grande dévotion.

Parler de Aïd al-Fitr, c’est parler systématiquement de l’aumône de la fête de la rupture, ou Zakat al-Fitr. Celle-ci est obligatoire pour tout musulman qui a de quoi se nourrir «pendant un jour et une nuit», liton dans la Sunnah et elle est payée avant la prière de l’Aïd. Cependant, le premier acte de l’Aïd demeure la prière, le matin de l’Aïd, environ un tiers d’heure après le lever du soleil, ensuite les gens se rencontrent, échangent des félicitations et rendent visite à leurs familles et à leurs proches, pour honorer «Silat arrahim» ou «le lien de l’utérus».

Les musulmans reçoivent ou rendent visite à leurs amis et voisins et font preuve de bonté envers les pauvres, en toute discrétion, afin de ne pas froisser leurs sentiments et surtout pour ne pas faire dans la fourberie et la charité ostentatoire, considérés comme des vices dans la religion.

Par ailleurs, au Maroc, ainsi que dans de nombreux pays musulmans, il est de coutume que les musulmans mangent et échangent des friandises telles que des gâteaux de l’Aïd remplis de dattes et autres, selon le pays et ses coutumes.

En définitive, célébrer cet aïd est en soi une bonne action. «Les compagnons du Messager d’Allah avaient l’habitude de se dire lorsqu’ils se rencontraient le jour de l’Aïd : Qu’Allah accepte cet acte de nous et de vous», pourrait-on lire dans le recueil Fath al-Bari.